Verna is back !

Verna is back !

Jean-Luc Verna est un artiste complet, « multimédia », pourrait-on dire. Il dessine, conçoit des installations, sculpte, fait de la vidéo, de la musique, danse… Son apparence physique est tout à fait remarquable, certains s’en trouvent choqués, surtout les puritains, quelques pseudo-bien-pensants, et ceux qui louchent sur l’extrême droite. Ses tatouages et ses piercings sont une sorte de filtre qui lui permet de « trier immédiatement les andouilles des autres. Je fais peur à qui je dois et je dégoûte qui je dois« . Il expose à l’Espace À VENDRE. Nous l’avons rencontré.

Reconnu nationalement et internationalement, Jean-Luc Verna fait partie de cette nouvelle scène niçoise qui a dû s’exiler, tant elle n’est pas reconnue chez elle. Nice possède une scène plastique qui a su se régénérer en dehors de toute école, c’est l’un des éléments qui devrait conforter son statut dans la « course » au titre de Capitale Européenne de la Culture 2028. Encore faudrait-il en tenir compte, mais comme le dit si bien le proverbe : « Nul n’est prophète en son pays« . Son exposition à l’Espace À VENDRE, intitulée – Vous n’êtes pas un peu beaucoup maquillé ? – Non, est un événement exceptionnel, comme le fut l’exposition de Philippe Ramette, il y a quelques années… C’est un acte militant qui ouvre la voie à l’avènement d’une nouvelle scène niçoise !

Comment es-tu arrivé à l’Art ?

Né dans une famille qui ne fréquentait ni musées ni galeries, qui lisait peu et surtout de la littérature populaire, et qui était nourrie surtout de télé et de musique pop, j’ai découvert, petit, par bribes : Janis Joplin, Noureev, Rafaella Carrà… Rien sur les arts plastiques, aussi j’ai d’abord voulu être danseur (mais interdiction formelle d’une mère moqueuse et d’un beau-père stupide et homophobe). Puis j’ai découvert la chanteuse Siouxsie Sioux, la new wave et le post punk, et j’ai voulu être chanteur. J’ai dû attendre 25 ans pour faire ces deux choses. J’avais toujours dessiné, sans y penser, pour m’isoler, alors un jour je me suis présenté au concours de la villa Thiole, où Patrice Giuge m’a révélé la beauté de l’Art et de la culture, en tant que force d’affranchissement et de construction ; comme au lycée, Madame Sidet, ma prof de dessin/histoire de l’art me l’avait déjà fait sentir 10 ans auparavant, et devait faire pour moi l’essentiel de mon existence. Après ce fut la Villa Arson, à une période lumineuse de son histoire (encore bravo et merci Christian Bernard) et le reste s’est enchainé, à vitesse variable.

Tu évoques les écoles d’art. Tu as été enseignant, qu’en as-tu retiré ?

Être enseignant est un métier qui bien sûr a beaucoup changé, comme la société, ces 25 dernières années… Pour le meilleur et pour le pire. J’ai eu la chance de croiser et de faire partie des trajectoires de jeunes artistes qui furent mes étudiants et qui maintenant sont de superbes artistes en arts plastiques, mais aussi en musique. N’en citer que quelques-unes ou quelques-uns serait injuste pour celles et ceux que j’oublie aujourd’hui, mais bravo à Karim Ghelloussi, Hippolyte Hentgen, Sarah Maison, Elsa Lefevre, King Baxter, Mathilde Fernandez, Valentina Traïanova, Eun Eoung Lee, Rémi Voche, Lou Lou Wang… Tant mieux si je leur ai été utile et agréable. En tout cas, ils m’ont aussi construit, et continuent à me réchauffer le cœur et à conserver le peu de foi que j’ai en l’humanité en général.

Vue de l’exposition de Jean-Luc Verna © Gérard Taride

Et par rapport à l’administration ?

Les directions passent, les équipes changent (trop lentement quelquefois certes…). Moi, je fais ce que j’ai à faire, de la manière que je choisis et à mon rythme. Vingt-cinq ans de bons résultats et de solides amitiés et de respect me valident suffisamment. Pour ce qui est de la Villa Arson, et les faits divers en ont notamment parlé pour des histoires sombres de dérapages sexistes, je tiens à préciser qu’il y a toujours quelques profs, hommes, blancs, de plus de 50 ans, qui y enseignent encore et qui sont des gens bien. Le remplacement des hommes par des femmes ne garantit pas en soi de la probité d’une équipe. La toxicité n’est pas affaire de genre, et les hommes et les femmes partagent parfaitement les pires aspects de l’humain. Merci de ne rien essentialiser, jamais…

Tu es un artiste multimédia. Pourquoi cette voie ?

Chanter pour des gens qui ne se sentent pas forcement légitimes de rentrer dans une galerie, danser pour encore un autre public, faire des expos en des lieux institutionnels français et étrangers, mais aussi dans des lieux émergents, associatifs ou scolaires, imprimer des publications à bas prix pour les gens qui viennent d’un milieu pauvre, dont je suis issu, jouer au théâtre pour des gens qui ne me connaissent pas du tout, apparaitre dans des films… Tout cela, c’est être artiste pour une plus grande partie de la société, toucher plusieurs couches de population, ne pas juste pouvoir être considéré comme un caniche pour la grande bourgeoisie ; mais aussi comme un clown populaire, un fregoli, qui va ou on ne l’attend pas, qui chante du Barbara ou du Léo Ferré dans les cabarets, qui fait un concert à la Biennale de Venise, qui danse partout en Europe grâce à la chorégraphe Gisèle Vienne, depuis 18 ans. Rencontrer tout le monde, tous ces gens différents, trouver ma communauté dans le grand Tout, courber les préjugés des autres et aussi les miens, rencontrer des gens merveilleux chez les riches et chez les modestes, et aussi des gens atroces, à gauche comme à droite… Voilà pourquoi.

Le dessin reste toutefois ton médium de prédilection.

Le dessin, c’est ce qui me permet de m’envisager physiquement, de gérer mon rapport au temps, au vieillissement, à ma posture physique et à mon rapport au travail d’atelier. Je me figure le monde avant de le vivre.

Continues-tu de danser ?

Je commence à être un peu vieux et abimé, mais oui, je danse et je suis chorégraphe. Ma Cie SATB a déjà produit une pièce que j’ai bien tournée dans de très beaux lieux. Mon corps sera toujours un outil, quel qu’en soit l’état ou le poids. Je travaille actuellement sur trois projets lents à mettre en place, mais c’est en bonne voie.

Les années 80, Siouxie… La musique aussi a toujours été très présente dans ton univers ?

La musique, c’est la bande-son de ma vie. Travailler aux côtés de mon ami Stephen O’Malley, du groupe Suno, et de Pita Rehberg a beaucoup ouvert mon champ lexical. Mon groupe I Apologize, fort de notre nouveau batteur génial, prépare un nouveau set et une tournée. Deux clips sont sortis d’une collaboration que j’ai commis avec un petit groupe. Je me suis infiniment amusé à reprendre Depeche Mode et… Judy Garland ! (rires) C’est Brice Dellsperger, mon complice de toujours, et le cinéaste, et ami, Amaury Voslion qui ont signé ces deux objets autant artistiques que promotionnels. Bravo à eux.

Puisque tu évoques tes proches, peux-tu nous parler du rôle de ton mari dans cette aventure musicale ?

Mon mari, Jules Guyot, est mon associé dans notre structure appelée le STUDIOLO. Elle réunit mes activités liées à la danse, aux arts vivants, aux arts plastiques, aux projets d’art public — comme les trois niveaux de la gare de métro toulousaine Toulouse Lautrec, aujourd’hui en construction… Mais aussi les conférences, les créations de bijoux ou de vêtements (comme dernièrement avec le styliste Naco), la gestion de notre nouveau site internet et l’interface avec la galerie Air de Paris, avec qui je travaille depuis 33 ans. Il est mon agent, mon œil extérieur, celui qui gère les à-côtés des tournées, il a une grande expertise étant donné ses études d’histoire de l’art et de juriste. Et je l’aime.

Nice est ta ville d’origine, on sait très bien que le retour ne fut pas aussi simple. Pourquoi ?

Trente-sept ans dans une grande ville comme Nice constituée au final d’une somme de villages (tout comme Paris d’ailleurs) et d’autant plus dans un minuscule milieu (celui de l’art ou des artistes), ça signe de solides amitiés, mais aussi d’indéfectibles inimitiés. Pour ce qui est de la rue, disons que bien avant d’être tatoué, et depuis l’enfance, les regards n’ont pas été très aimables : trop pédé, trop maquillé, trop punkoïd, les cheveux trop haut crêpés, la résille trop déchirée, la démarche trop théâtrale… Jusqu’à mes dents cassées à coups de pied, mes côtes cassées, mes courses folles pour échapper aux attaques… Jusqu’à ce que je ne coure plus. Et pour les rares soirs de vernissage, les moqueries étaient les mêmes. Sans compter les dames « bien comme il faut » des amis du musée qui serraient leur sac à main à mon passage, alors que j’étais déjà collectionné au MoMA de New York ! (rires) « Odi profanum vulgus » (NDLR : « Je hais le vulgaire profane »)… L’ermitage est une habitude que j’ai acquise à Nice. À un moment, la poignée de gens ignobles et toxiques a occulté les nombreuses personnes que j’adore dans cette ville. Il y en a beaucoup, mais à un moment il a fallu que je parte. Et curieusement, dès que je suis parti, ma carrière a vraiment décollé, et la danse, la musique et le théâtre sont venus grossir l’inflorescence de ma vie d’artiste…

Que penses-tu de la manière dont la ville (et pas seulement la municipalité) traite ses artistes ? Je pense à Ramette, Perrin et bien d’autres…

Nice adore Ben, et César, et Arman, Chagall un peu, Dolla beaucoup, Sosno (rires), Jenifer, Dick Rivers pas assez, Denise Fabre…

Il semble que l’entre-soi y fasse quelques « dégâts » ?

L’entre-soi fait des dégâts partout, dans tous les corps de métiers et toutes les soi-disant communautés…

Pourquoi l’Espace A VENDRE pour ce retour à « funky town », comme l’indique la galerie ?

Bertrand Baraudou est un homme honnête (c’est si rare), humain (c’est très rare), il connait et aime l’art (c’est encore plus rare), et avec Cédric Tesseire et son équipe de la Station, c’est bien la seule personne avec qui j’ai le désir de travailler.

Tu produis beaucoup en ce moment : sculpture, dessins, installation… Exposeras-tu de nouvelles pièces ?

Hormis quelques rares pièces un peu plus anciennes, je ne montrerai que des nouveautés exclusives, dont quelques dessins faits pour cette occasion spéciale.

Seront présentées notamment des cassettes d’entretiens avec Béatrice Dalle, ainsi qu’un documentaire sur toi. Peux-tu nous en parler ?

Sur cette K7 audio éditée par les éditions suisses Ripopée, Béatrice lit le texte que j’ai écrit pour ma pièce de danse. C’est sa voix qui baignait la nudité des danseuses et danseurs au plateau. Le documentaire commandé par AMART films est quant à lui une création d’Amaury Voslion, et le fruit de notre entente immédiate. Plus qu’un documentaire, c’est un objet filmique qui kaléidoscope mes différentes incarnations d’homme et d’artiste.

Les cassettes ne sont-elles pas la trace d’un certain goût pour le vintage 80’s ?

Les cassettes reviennent en force ! C’est fou, non ? Après le retour du vinyle… Les sons plats des MP3 sont bons pour les merdes autotunées, ou la musique commerciale au kilomètre. Fuck la dématérialisation !

Vue de l’exposition de Jean-Luc Verna © Gérard Taride

Passage obligé de cette interview : comment a commencé cette démarche de faire de ton corps une œuvre d’art ?

Mon corps n’est pas une œuvre d’art. C’est juste un outil pour l’art et l’expression de ma liberté en tant qu’individu de faire ce que bon me semble de ma peau. De plus, socialement, c’est un tamis parfait pour trier immédiatement les andouilles des autres. Je fais peur à qui je dois et je dégoûte qui je dois. Les autres, heureusement nombreuses et nombreux, sont celles et ceux avec qui je peux interagir ou pas. Jouer avec le tatouage, les régimes, la chirurgie, c’est aussi un moyen de rester supportable à moi-même, à travers cette fatidique aventure qu’est le vieillissement. « Getting old is not for sissies« , disait Bette Davis (NDLR : « Vieillir n’est pas pour les poules mouillées »).

L’Art Contemporain français parle beaucoup de lui-même, mais ton attitude et ta démarche semblent totalement détachées de ces a priori. Qu’en est-il à l’international ?

Je demeure une personne singulière dans le paysage artistique de par mon apparence bien sûr, mais aussi de par l’esthétique que je défends, de par ma polysémie, de par mon caractère (dans un milieu où l’on doit se taire pour avancer), de par mon impossibilité de me compromettre avec des partenaires potentiels que je n’estimerais pas. C’est une somme de facteurs qui ralentissent beaucoup, certes, mais qui ne m’empêchent pas de travailler en France, en Europe et aux USA.

Question importante et couarde : à quelle question aurais-tu aimé répondre ?

Je tiens juste à remercier mes amis et Véronique Garibal, que j’aime plus que tout. Sa mère Hélène, qui me servit de famille quand je me suis tiré de chez mon horrible mère. Les Verbes d’États qui organisaient des événements rock-peinture-vidéo dans une ville de Nice qui bougeait (toi Michel et Evelyne, couple d’une beauté solaire qui me brûlait la rétine). Merci Dolla d’avoir été un super prof. Merci Jean-Marc Réole, pour la culture, les rires et cette folle beauté. Merci Louis-Frédéric Apostoly pour notre premier groupe musical et tant de souvenirs. Merci Michel Estublier, tu es mort l’an dernier, mais pas pour moi. Merci Eric Fostinelli, pareil. Les Dum Dum Boys, inoxydables. Mémé Cécile, ma grand-mère roumaine veuve d’un héros de guerre, qui vendait des billets de loterie. Bisous Claire, ma cousine. Quant à la liste des gens que je déteste, ils et elles se connaissent, je n’ai pas à le leur rappeler… Et que l’on m’apporte une tourte de blettes !

Jusqu’au 7 jan, Espace A VENDRE, Nice. Rens: espace-avendre.com

photo Une : Jean-Luc Verna © Gérard Taride