Des ombres sur l’arc-en-ciel

Des ombres sur l’arc-en-ciel

Je n’irai pas par quatre chemins, faire tourner le ballon comme on dit : certaines réactions, lors de la 35e journée du Championnat de France de football, ont été à vomir…

À La Strada, nous aimons le sport. Récemment nous avons lancé une série de portraits de sportifs ou anciens sportifs, qui ont aujourd’hui un impact par leur activité culturelle et/ou sociétale. Jean-Pierre Dick et Éric Di Meco, puis prochainement Jo Wilfried Tsonga ou Serge Betsen, invités du prochain Beach Sport Festival, cet été à Saint-Laurent-du-Var. Bref, nous n’avons de cesse de défendre le sport, car pour nous, il est éminemment culturel – voire politique, au niveau professionnel. Et non, tous les sportifs ne sont pas des bourrins, titulaires d’un Bac -2, avec un ballon à la place du cerveau. Pourtant, force est de constater que le weekend de la 35e journée de Ligue 1 aura été un moment de grande déception pour beaucoup d’amoureux de ce sport, populaire s’il en est… 

Rappel des faits. Le 17 mai avait lieu la Journée Mondiale de lutte contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie, une date symbolique pour commémorer la décision de l’OMS, le 17 mai 1990 (il y a seulement trois décennies!), de ne plus considérer l’homosexualité comme une maladie mentale. Une période de l’année logiquement choisie depuis 2019 par la Ligue de Football Professionnelle pour lancer sa traditionnelle campagne de communication sous le slogan Homos ou hétéros, on porte tous le même maillot, avec des numéros au flocage arc-en-ciel. « La lutte contre l’homophobie est un des piliers du plan de lutte contre les discriminations du football professionnel français. Dans ce contexte, pour la cinquième année consécutive, une journée dédiée de Ligue 1 Uber Eats et de Ligue 2 BKT constituera un temps de forte sensibilisation du grand public. Menée sur les terrains et les plateformes digitales, cette campagne s’inscrit en complément des actions menées tout au long de la saison dans les clubs« , pouvait-on lire sur le site de la LFP.

Mais, on avait beau s’y attendre, cette année encore la campagne a donné lieu à un cirque dont on se serait bien passé, certains joueurs s’étant opposés au port de cette tunique aux couleurs arc-en-ciel. L’an passé, Idrissa Gueye du PSG avait annoncé son refus, et il y a quelques saisons, l’ex-Monégasque Falcao, fervent évangéliste, n’avait pas voulu s’afficher avec un brassard arc-en-ciel. Toujours la même rengaine de la part de ceux qui font ce choix. Ils sont à nouveau plusieurs « rebelles » en carton, évoluant à Toulouse, Brest ou encore Guingamp. L’un d’eux, Zakaria Aboukhlal, a expliqué sa position sur les réseaux sociaux : s’il dit « respecter tous les individus, quelles que soient leurs préférences, genre, religion« , ce monsieur demande également qu’on respecte « ses propres croyances. » Un autre, Mostafa Mohamed, a déclaré : « Je respecte toutes les différences. Je respecte toutes les croyances et toutes les convictions. Ce respect s’étend aux autres mais comprend également le respect de mes croyances personnelles. Vu mes racines, ma culture, l’importance de mes convictions et croyances, il n’était pas possible pour moi de participer à cette campagne« . Mais, messieurs, on ne vous demande pas de soutenir la cause LGBTQI+, chacun est libre de défendre ce qu’il juge important selon ses convictions ; il est question ici de condamner toutes les discriminations, l’homophobie, le fait d’agresser verbalement ou physiquement une personne pour son orientation sexuelle ! D’autant que, petit aparté, aux yeux de la République, et ce depuis la promulgation de la loi sur le mariage pour tous il y a 10 ans quasiment jour pour jour, deux personnes du même sexe peuvent en toute légalité s’unir, se retrouvant de fait, protégées par la loi. Et c’est tant mieux. Libre à soi de vivre la vie qu’on a choisi, ou qui s’est imposée à nous.

Ces joueurs demandent visiblement du « respect ». Mais cette notion de respect ne saurait justifier toutes les intolérances… Car au fond n’est-ce pas ce qu’ils réclament, que l’on respecte leur intolérance? On est logiquement en droit de penser que certains dissimulent leur homophobie au prétexte de leur foi. D’autant que ces mêmes joueurs ne sont pas plus gênés que ça d’arborer un maillot couvert de marques d’alcool ou de paris sportifs, choses par ailleurs proscrites par leur religion… Mais là n’est pas la question, nous n’avons pas affaire à un problème de religion, puisqu’une écrasante majorité de sportifs musulmans et catholiques ont accepté de porter ce maillot arc-en-ciel. 

Heureusement, tous ces joueurs n’ont pas été alignés sur les feuilles de match, et pourraient se voir sanctionnés par leurs clubs respectifs. Mais comment avancer réellement lorsque quelques coaches, que certains continuent à tort de qualifier d’éducateurs, tiennent également des propos lunaires loin de clarifier la situation ! Comme Eric Roy, entraîneur de Brest, qui évoque au sujet de cette campagne, une question de timing « catastrophique (…) Ne le fais pas dans les quatre derniers matchs quand les clubs jouent leur survie. » Sauf que la journée contre l’homophobie, c’est le 17 mai Monsieur Roy, pas le 15 août… Et de poursuivre: « Il y a des joueurs à qui ça pose problème. Chacun est libre de ses opinions, personnellement, ça ne me pose pas de problème« .

Pourtant, c’en est un de problème. Contrairement à ce qu’on a pu entendre lors des conférences d’après-match, voire sur certains plateaux de télévision, l’homophobie n’est pas une opinion. C’est un délit ! Et que l’on ne vienne pas nous parler de liberté d’expression. Il y a des droits et des devoirs, des lois et des sanctions. Personne ne peut se hisser au-dessus des autres, tout comme personne ne peut porter atteinte aux droits des autres. D’ailleurs, lorsque l’UEFA fait sa campagne No to racism, condamnant les discriminations en raison de son origine et/ou de sa couleur de peau, des joueurs se sont-ils élevés contre cela ?

Il est parfois difficile de défendre le football, dans sa dimension professionnelle, quand quelques éléments perturbateurs donnent du grain à moudre à tous ses détracteurs qui opposent volontiers le sport et les sportifs à la culture et l’intellect. Cela peut paraître cliché, mais les joueurs de football sont des modèles pour de nombreux jeunes. Dès lors, de tels comportements pourraient mettre à mal les (maigres) progrès accomplis grâce aux débats et discussions engagées sur le sujet des discriminations depuis plusieurs années. Il faut beaucoup plus qu’une opération de communication pour faire évoluer les mentalités dans le football, le sport en général, et dans notre société d’ailleurs, car toute cette affaire est symptomatique de la situation de la France vis-à-vis des discriminations sexuelles, sexistes, racistes, sociales… Il faut engager un travail de fond dans les écoles de la République, les clubs de sport, toutes disciplines confondues, et au sein même des structures professionnelles. Si l’éducation est le nerf de la guerre, nous pensons que la Culture a aussi son rôle à jouer dans cette entreprise de longue haleine.

À ce propos, le documentaire Homos en France, coécrit par Vincent Dedienne et Aurélia Perreau, diffusé sur France 2 le 16 mai (visible en replay), raconte l’expérience intime d’être lesbienne, homo, bi ou pan aujourd’hui en France, au travers de personnes connues et moins connues, comme l’ex-footballeur professionnel Ouissem Belgacem, auteur de l’autobiographie Adieu ma honte, qui témoigne dans le film. Absolument personne n’est préparé à la violence que déclenchent toutes ces formes de discriminations. Qu’ils soient traités à la télévision, au cinéma, dans un livre, en chanson, ou sur scène, ces témoignages sont aujourd’hui plus qu’indispensables si ce n’est salutaires, pour toutes celles et ceux que la honte, ou la peur, empêche encore de revendiquer leur orientation sexuelle.