03 Oct Christine Lidon, Madame la Présidente !
Femme, niçoise, issue du rock’n’roll… Rien ne jouait en faveur de Christine Lidon pour qu’un jour elle devienne Présidente de la fameuse SACEM, Société des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs de Musiques. Portrait de cette femme étonnante et pleine de… paradoxes.
Christine Lidon est née à Nice le 29 septembre 1961. Elle est autrice, compositrice, chanteuse et musicienne française. Elle est également la première femme élue présidente de la SACEM en juin 2023. Il est grand temps que Nice prenne conscience des talents qu’elle recèle, afin qu’ils ne soient pas toujours forcés de partir à Paris ou ailleurs. Sachons les garder et les valoriser.
Les débuts
Le rock’n’roll fut le détonateur de tout ce qui a suivi dans la vie de Christine Lidon, et ce sans se soucier des règles. C’est alors l’adolescence, arrivée comme une tornade. Dans les recoins du Lycée du Parc Impérial, une copine lui révèle les secrets de 3 accords au piano, de ceux qui électrisent l’âme : ceux de Sympathy for the Devil des Rolling Stones. Facile ! Les enseignements du conservatoire sont balayés d’un revers de main, la pratique de la musique classique ne collant pas avec le tempérament rebelle de Christine. En trois mois, elle pouvait enfin jouer des morceaux, se libérer, se laisser emporter par les vibrations. Elle crée alors avec une bande de nanas déterminées, le groupe Choc Treatment. Ensemble, elles enfilent guitares, basse pour Christine, et batterie, comme des armures pour conquérir la scène dans un local prêté par un certain Mathias du groupe punk leader du moment, Abject. Leur son était brut, sauvage, c’était leur façon à elles de dire « Pourquoi pas nous ?« . Elles électrifient les clubs et déchaînent des tempêtes sonores dans la nuit. Puis Bordeaux crie son nom, comme un appel à l’aventure. Avec sa pote guitariste (ex-vestiaire du fameux club Le Monseigneur à Nice, pour les connaisseurs), elle file à toute vitesse vers cette scène exotique. Les Strychnine et leur son enragé les attendaient là. Elles donnent tout. C’est l’époque des riffs furieux, des mélodies en fusion. La musique les a portées, et elles ont tout balancé, créant des groupes, semant des accords dans le vent.
Puis Nice la rappelle à nouveau. Bernard Segard, un guitariste niçois qui commençait à être connu, était en quête d’une basse qui gronde. Le groupe n’avait même pas de nom au départ, et quand le chanteur s’est fait la malle, elle décide de prendre les choses en main. Bernard voulait chanter, mais pas seul. Toutefois, pour elle, pas question de ne « passer » que les plats et n’être que la nana mignonne qui fait les chœurs. Ce sera un duo.
Les Bandits, groupe fétiche
La scène était son terrain de jeu, l’endroit où elle pouvait transmettre toute son énergie. Ils ont trimé dur, enchaînant les concerts, même dans des bouges miteux jusqu’à ce que Patrice Fabien, un ovni dans l’industrie musicale, créateur d’un des premiers labels alternatifs, Reflexes, les découvre. Il sent leur potentiel, les pousse à briser leurs chaînes et à venir enregistrer des maquettes à Paris. Les Bandits venaient de naître. C’est à ce moment que Bernard quitte le groupe et que Patrick Giordano (ex-Moko, groupe mythique niçois que managea le regretté Barney Willem) le remplace en lead guitare. Comme dans tous les groupes, l’aventure dure ce qu’elle dure et le combo splitte dans le milieu des années 80, en raison du départ de Christine, reconnaît-elle. Mais avant cela, le Power trio écume l’hexagone en y laissant des traces indélébiles, tant leur énergie était folle et leurs mélodies savoureuses. Le groupe Téléphone, qui les avait pris en première partie sur 3 concerts, flashe et les rappelle pour une quinzaine de dates. Suivront le Printemps de Bourges, les Transmusicales de Rennes et bien d’autres festivals et lieux mythiques.
Les Bandits vivront alors des retrouvailles en pointillés qui ne fonctionneront jamais complètement, jusqu’à l’année dernière, lorsqu’ils évoquent la possibilité de rejouer ensemble. Les répétitions commencent alors avec le même désir de tout défoncer. Mais encore un grain de sable : le guitariste déclare forfait pour des raisons personnelles… Il fallait tout de même pallier cette défection, car un concert était prévu au Petit Bain, une super salle rock parisienne, à l’occasion d’un festival au top : Les Femmes s’en Mêlent. Alors, faute de Bandits, on aura Contrebande. « Comme d’habitude, il s’agit de transformer un mal en bien… Au moins, ça m’aura donné l’impulsion de refaire un truc. Delphine Ciampi (ex-Spider X , Les Wampas , Le Baron, Claire Deterzi ), mon amie de 30 ans, une guitariste « gretschienne » , ou baryton, qui a un son comme personne et avec qui j’avais joué à Los Angeles et Tokyo, m’encourage dans cette démarche. Avec, nous créons Contrebande. Le concept : un All Female star rock band transgénérationnel qui se crée et s’enrichit au gré des rencontres avec des musiciennes, chanteuses, autrices, compositrices comme Princess Erika, le power trio stoner rock Grandma’s Ashes, la bassiste Isabelle Marceddu, avec qui j’avais fondé Les Blondes au milieu des années 2000, Laura Mayne du groupe Native, et Arlette Kotchounian, à l’origine du fameux morceau chanté par Nicoletta, La musique« , nous confie-t-elle.
Ce collectif célèbre les autrices-compositrices à travers des reprises emblématiques et des titres du répertoire de Christine dans un set énergique et jubilatoire, concentré d’espoir où le rock, très sûr allié des révolutions, pour ses ondes de choc autant que pour son sens de la dérision, est évidemment à l’honneur. C’est ainsi que le directeur des FrancoFolies à La Rochelle trouve là une énergie qui l’inspire et les programme pour l’édition 2023.
Christine et la pop française
En 1987, Christine Lidon entame une carrière solo avec l’album Avalanches qui sort en 1989 chez Philips, avant que ne suive Feu ! en 1994. Cette entrée dans la pop française va lui offrir des opportunités inattendues. Ainsi la première fois qu’un artiste lui demande un texte, c’est Axel Bauer, en 1990. Et en 1993, c’est LE TUBE avec les Natives : Si la vie demande ça. Christine est devenue une autrice demandée ! Mais des deuils successifs la poussent à tout remettre en doute. Malgré l’insistance de ses proches, elle décide de faire un tour du monde pour se confronter à elle-même, sans environnement favorable, loin cette vie. Le tube des Natives lui permettant financièrement de se lancer dans cette aventure et cette introspection. Ce besoin s’accroit avec la rencontre de la littérature de Carlos Castaneda, mais le déclic aura lieu lors de séances de travail avec Alejandro Jodorowski. Cinéaste atypique, il est aussi un grand maître du tarot marseillais qu’il utilise comme une méthode psychanalytique avec une dimension spirituelle particulière. À l’époque, il donnait des cours gratuitement dans un café à mi-chemin entre philosophie et spiritualité. Elle y trouve un questionnement et un besoin de quête. Car, pour Jodrowski « l’alchimiste », tout n’est pas de trouver, il est tout aussi important de chercher, car ici réside pour lui l’un des moteurs de la vie. Alors, elle part en quête d’elle-même, de valeurs…
Rappelons-nous qu’en 1995, il n’y a ni smartphone ni réseaux sociaux et le net n’en est qu’à ses premiers balbutiements. « Partir loin, c’est se retrouver seule et voir ce qu’on vaut sans support. » Elle entreprend donc son tour du monde en solitaire, de Mexico à Tokyo, en passant par Los Angeles, San Francisco et Tahiti, où elle est initiée au ukulélé. Suivront Sydney et une rencontre avec la chanteuse Renée Geyer avec qui elle enregistre un duo. Puis Bali et la Thaïlande, où elle joue avec Laurent Sinclair de Taxi Girl, avant le Cambodge, le Vietnam, Hong Kong, la Chine… À Tokyo, elle retrouve la guitariste Delphine Ciampi et participe à l’album de son groupe japonais Pilar Stupa. Finalement la musique est partout sur sa route…
À son retour, elle poursuit l’écriture, d’abord pour le 1er album de Calogero, puis pour David Halliday. Elle part à Montréal travailler avec Daniel Lavoie, avec qui elle écrit des chansons dont l’une deviendra un titre phare de Lara Fabian, Je suis mon coeur. Il y aura aussi des collaborations avec Nolwen Leroy, Sylvie Vartan et bien d’autres. En 2007, elle se tourne vers le spectacle vivant en participant à la création musicale du cirque équestre, Ô Cirque, pour plus de 80 dates en France et à Madrid.
Son dernier comeback à Nice
En 2008, elle retourne vivre à Nice par amour et intègre le centre d’art contemporain La Station, où elle est résidente permanente. Elle lance des ateliers de création de chanson pour les enfants de 5 à 17 ans : Dessine-moi une chanson. En 2012, elle forme un duo avec Olivier Debos autour des textes d’Henri Michaux. En 2013, elle se joint à l’association Il Était Un Truc pour la création de Balade en sons et images. En 2015, elle sort un nouvel album, Vers la Mer, avec son groupe Les Blondes, dont elle est guitariste et chanteuse, réalisé par Henry Padovani, guitariste de la formation originelle de Police. En 2016, elle participe à la création musicale de la pièce Vaccum Cleaner écrite par Johanna Piraino, créée au Théâtre National de Nice avec Elise Clary et Caroline Duval, mise en scène par Philippe Sohier et Delphine Zana. Puis elle s’associe à Caroline Duval, art-thérapeute, spécialiste de la petite enfance, pour créer un spectacle très jeune public autour de l’histoire du rock, Concert rock pour BB mais pas que…
Christine, productrice
En 2018, elle crée avec sa cousine Nice Prod, un label pour produire de jeunes artistes. Elles signent 4 groupes dont les Grandma’s Ashes qui ont sorti un album cette année, This too shall pass, et qui remplissent aujourd’hui La Maroquinerie à Paris : « La première fois que j’ai vu ce power girl trio dans un squat de Montreuil, je suis restée bouche bée pendant tout le concert. Et pourtant ce n’était pas mon style rock de base. Youri Lenquette que j’ai appelé pour les photographier était lui-même médusé. C’est la grâce, la puissance, la classe« , nous avoue-t-elle.
L’aventure SACEM…
Christine Lidon devient membre de Conseil d’administration de la SACEM en 2013 et suit un cycle d’études européennes à l’École Nationale d’Administration. Toujours apprendre ! Peu à peu, elle se démarque par ses activités sur le terrain et ses revendications féministes. Très peu de femmes y siègent… Elle a conscience que dès que l’on devient administrateur.rice, on peut agir. Et c’est ce qu’elle fait dès son arrivée à la SACEM, en évoquant Dessine-moi une chanson, les ateliers pour enfants qu’elle a lancés à La Station. Le concept était simple : aller dans une classe, débrider l’imagination des enfants, les accompagner dans l’écriture pour aboutir à une chanson. Puis, elle les invitait dans son studio à La Station pour enregistrer leur création. Tout cela pour que les gamins comprennent que ce qu’ils voyaient sur Youtube n’était pas l’œuvre du St Esprit. Cela valorisait l’écriture. La SACEM est séduite par la démarche, et en 2015, ce que Christine faisait chaque année avec deux ou trois classes niçoises, devient La fabrique à chansons. Il a fallu plusieurs visites chez plusieurs ministres successifs de l’éducation avant que Najat Vallaud-Belkacem, réagisse positivement. C’est pour Christine un moyen de palier le problème d’éducation musicale évident dans notre pays : « Vous êtes bien d’accord, Madame la Ministre, que tous les enfants ne peuvent entrer au Conservatoire« , dira-t-elle à son interlocutrice. La SACEM propose alors le projet aux sociétaires auteurs-compositeurs dont un grand nombre se montrent intéressés.
Le projet a pris peu à peu de l’ampleur sous l’égide de l’action culturelle de la SACEM et s’est étendu au jazz, à la musique électronique et même à la musique contemporaine dans les lycées. Aujourd’hui, 230 classes et donc 230 artistes travaillent sur cet autre projet que l’on appelle La fabrique à musique.
Cette action, qui doit encore s’amplifier, est à la recherche de fonds, car jusque-là ce sont les 25% de la taxe sur la copie privée qui servent à le financer, mais ce n’est pas suffisant. D’ailleurs, cette taxe est toujours en danger. La SACEM insiste constamment auprès des parlementaires, auprès de tout le monde, pour montrer à quel point ce système est vertueux. Et quand Christine les rencontre, elle donne toujours l’exemple de la Fabrique pour en souligner l’importance.
…et sa Présidence
À la suite de 3 mandats, dont 2 en tant que vice-présidente, étape par étape Christine Lidon est devenue Présidente de la SACEM. C’est d’ailleurs la première femme à occuper ce poste depuis la création de la maison en 1851. Mais aussi la première femme niçoise : « Première femme, ça représente un combat. Je prends ça plus comme un défi que comme une consécration. Une aventure humaine et professionnelle où l’on doit sans cesse s’interroger sur sa façon de faire. En fait, ce rôle de présidente demande beaucoup de détermination et beaucoup d’humilité. » Il est vrai qu’à la Sacem, Christine avait déjà œuvré pour cette cause en créant une commission pour l’égalité femmes/hommes. « Pourquoi n’y avait-t-il que 17 % de femmes inscrites à la Sacem ? », se demandait-elle (le chiffre a augmenté depuis). Il fallait donc se poser les bonnes questions pour essayer de trouver des solutions. Des réseaux d’entraide se sont alors formés, ce qui lui a aussi permis de trouver la force : le collectif. « J’ai toujours encouragé les femmes, même quand j’étais petite. Et autour de ce combat, en fin de compte, il y a beaucoup de femmes, d’autres compositrices qui se sont révélées. » Après son élection, celles qui siégeaient déjà au conseil d’administration de la SACEM se sont senties plus légères. Sa plus grande récompense !
« L’important est de se rassembler. Cela vaut aussi pour tous les combats sur le droit des auteurs. Comment s’unir pour combattre leur paupérisation, pour ne pas être mis de côté une fois le syndrome « nouveauté » passé ? Comment l’intelligence artificielle pourrait-elle évoluer sans spolier les créateurs de contenus ? La culture est une solution à ce monde qui va mal ! De tout temps, elle a soigné les populations et je suis persuadée qu’un seul truc peut sauver le monde : c’est l’art ! Ce qui me fait peur c’est quand je vois de jeunes artistes ne pas exprimer leur folie et s’enfermer dans des calculs. Rachid Taha disait : « Je chante pour aller au bout de ma folie ». On devrait juste apprendre à dépasser ses limites. Mais ça demande du courage et paradoxalement de l’humilité. Le modèle économique de la SACEM est celui d’une coopérative. Certes, il y a toujours mieux à faire, nous créons des outils pour faciliter la vie des sociétaires et luttons pour une répartition juste. Nous avons également une action culturelle forte qui accompagne grand nombre de projets. Notre slogan est tout de même : la SACEM fait vivre ceux qui nous font rêver !«
photo: Christine Lidon © DR