Katherine Pancol : « L’écriture est quelque chose de magique et mystérieux »

Katherine Pancol : « L’écriture est quelque chose de magique et mystérieux »

Ancienne journaliste devenue romancière, Katherine Pancol est la présidente d’honneur de la 26e Fête du livre du Var. Auteure de 20 romans, Katherine Pancol est traduite dans 34 pays, dont les États-Unis. À l’occasion de cette grande fête de la littérature, l’écrivaine présentera son dernier roman, La Mariée portait des bottes jaunes, une saga foisonnante de 752 pages. Rencontre.

Katherine Pancol, vous êtes la présidente de l’édition 2023 de la Fête du livre du Var. Que représente pour vous cette distinction ?

Depuis que j’ai accepté cette présidence, j’ai presque tous les jours des interviews ! Je suis très flattée quand on me demande de présider un événement, c’est très gratifiant. Ravie également de revenir à Toulon pour cette fête.

Pendant ces trois jours de festivités dédiés au livre, vous allez notamment présenter votre nouveau roman La Mariée portait des bottes jaunes. Cette fois, cette saga se déroule dans le Bordelais, au cœur d’un domaine vinicole. Pourquoi cette région et ce métier comme cadre ? 

On ne choisit pas le sujet du livre, c’est lui qui vous choisit. Parmi toutes les idées qui surviennent, certaines partent mais celles qui restent s’assemblent. Pourquoi le XIIe siècle pour Joséphine et la mode pour Hortense (ndlr : héroïnes de la trilogie qui débute avec Les Yeux jaunes des crocodiles) ? Ou les ferrailleurs pour Stella (ndlr : héroïne de la saga Muchachas) ? C’est pareil pour les titres de mes livres. L’écriture est quelque chose de très mystérieux, on ne peut pas vraiment l’expliquer. Vous allez dans des endroits comme le Bordelais, vous croyez le connaître. Vous retournez dans une grande librairie de Bordeaux, Mollat, qui organise souvent des rencontres et conférences avec les écrivains. Vous logez dans un château, vous y faites des rencontres et là, une nouvelle couche de sédimentation se met en place. Cela commence à faire un gros mille-feuille. J’ai le déclic et j’écris. L’écriture part d’un détail parfois. Hortense est venue d’un détail, Joséphine aussi. Puis certains par grands paquets – les vins primeurs, les œnologues… Cette lente macération s’opère comme pour le vin, la cuisine, fabriquer un escalier, toutes ces choses artisanales. C’est mystérieux et magique. Ensuite, quand l’idée s’impose, je me documente beaucoup. La véracité des détails est essentielle.

Vous n’êtes plus journaliste mais, afin de créer vos romans, vous restez une enquêtrice ?

De nombreux romanciers procèdent ainsi. Comme on le découvre dans les carnets d’enquête de Zola – il effectuait des repérages et des reportages pour préparer ses romans –, ou la correspondance de Flaubert et son influence sur l’œuvre de Guy de Maupassant. Tous notent et se nourrissent de détails, sur les métiers, les milieux… 

Dans cette histoire de Mariée, il s’agit de nouveau d’une histoire de famille ? Et de découvrir les ressorts de la nature humaine dans un nouveau milieu ? 

Oui, c’est pareil. On prend un personnage et on le fait évoluer avec les événements qui lui arrivent. C’est comme dans Giono, des histoires de terres et d’argent, des rêves réalisés ou pas, et comment ces personnages vivent ensemble. J’aime écrire cette littérature semblable à la littérature américaine, décrivant des histoires et des milieux qui disent des choses sur les personnages. Il s’agit d’un paysage immense, contrairement à l’autofiction. Sans limites.

À l’instar de Colette, auteure mise à l’honneur par la Fête du Livre du Var et l’un de vos modèles, vous pensez qu’il faut écrire « avec ses sens, avec les odeurs, les couleurs, les touchers, les bruits » ?

Cela fait partie de ma personnalité. C’est lié aussi à mon premier roman, Moi d’abord. Après ce grand succès perturbant, je suis partie vivre à New York. La littérature américaine est comme ça aussi, pas loin du cinéma, avec la description des couleurs, des bruits, des odeurs… C’est très concret, il n’y a pas beaucoup de commentaires ni de choses abstraites ou trop conceptuelles. J’y ai habité une dizaine d’années et cela m’a considérablement marquée. Contrairement à ma vie en France, je ne côtoyais que des étrangers, le monde entier s’y retrouvait. J’ai suivi des cours d’écriture créative à l’université de Columbia : un vrai coffre à trésors ! En France, j’étais une grosse paresseuse, je ne faisais pas l’effort de lire en anglais. Mais à New York, je ne me suis pas contentée des traductions. Par exemple, lire Lolita dans la langue d’origine m’a permis de réaliser encore mieux à quel point il s’agissait d’un chef-d’œuvre. J’ai pu ainsi étudier tous les auteurs au plus près de leur écriture.

752 pages pour votre nouveau roman tout de même ? Alors que, selon vos dires, vous ne savez pas où vous allez en écrivant ?

Il faut se laisser porter par les personnages et l’histoire ! L’important c’est de bien construire les personnages. Ils vous apprennent le reste pendant que vous écrivez. Quand vous rentrez dans la tête de vos héros, vous ressentez comme eux. C’est leur réalité qui s’impose à vous et vous guide dans l’écriture.

L’un de vos autres maîtres en littérature est Balzac. Que lui empruntez-vous ? La multitude de personnages ? L’imagination foisonnante ?

Quand on aime un auteur, on s’imbibe de ce qu’il écrit. J’ai beaucoup lu et je lis beaucoup encore. Par exemple, La Cousine Bette est un livre que je relis une fois par an, et je redécouvre encore des détails ! J’ai lu très tôt, j’ai tout lu toute seule, à la bibliothèque, je lisais les auteurs par ordre alphabétique : Balzac m’a pris du temps ! J’ai dévoré nombre d’auteurs français et nombre d’Anglo-saxons.

J’ai appris à écrire en lisant. J’ai appris cela à mes enfants, à regarder les détails dans les films aussi, le rythme, la structure. Je leur parlais de ça. Ma fille est réalisatrice, et mon fils lit tout le temps ! Nous avons cela en commun notamment. L’écriture c’est de l’artisanat. Quand on vit dans un milieu, on s’en imprègne et on apprend sans le savoir. Mon papa s’appelait Balzac et ma maman Colette !

La place des femmes dans vos romans a-t-elle évolué ? Et celle des hommes ?

J’ai tout de suite compris que les femmes étaient les personnages forts, les vraies héroïnes, contrairement aux hommes. Elles sont de plus en plus reconnues, on leur redonne enfin leur place. Que ce soit en peinture, en science, en médecine, les femmes sont encore derrière les hommes mais on les redécouvre. Moi je leur ai toujours donné la première place, celle qu’elles méritaient. C’est pourquoi à mes débuts on me taxait de féministe ! Côté hommes, j’aime le personnage d’Ambroise dans mon dernier livre. Il est démuni, désenchanté mais séduisant.

La vigne semble l’un des principaux personnages de votre nouveau livre ?

Le Bordelais n’existerait pas sans la vigne. Ce personnage est là sans être là. Le milieu vinicole c’est une incroyable société, très fermée, très bourgeoise. Agenouillée le matin dans les vignes et le soir en smoking dans une soirée selon les occasions. Les mains dans la terre et avec un fort rôle social en même temps. Comme le pétrole au Texas !

L’humour et la dérision s’invitent souvent dans vos écrits ?

L’humour est une manière élégante et tonifiante de réagir à ce qui vous arrive dans la vie. L’humour permet de se protéger, de se dégager d’une situation tragique, de prendre du recul… On retrouve bien cela dans la littérature de l’Est : quand vous êtes complètement désespérés, l’absurde ou un détail grotesque surgissent, on rit de cette absurdité, et quand vous riez vous êtes sauvés. Sinon, on étouffe !

Vous dites qu’écrire est une drogue, que cela vous emmène ailleurs ?

J’ai aussi appris la vie dans les livres. Cela contrebalançait ce qui m’arrivait. J’ai grandi avec les livres, ils représentaient une autre famille, une autre manière de vivre. J’ai toujours des livres avec moi. J’ai des goûts très éclectiques : Balzac, Colette mais aussi Céline, Bukowski… Pas de liseuse, un livre physique. J’ai besoin de toucher du papier, c’est vital.

Vous qui êtes particulièrement sollicitée, quelle est la question que l’on ne vous a pas encore posée ou qu’aimeriez-vous évoquer pour conclure cet entretien ?

L’écriture, les livres, c’est tellement vivant. En ce moment, je suis à New York. J’aime y retourner, pour ses musées, les coins que j’aime. Cela m’inspire. Saisir des instants, des détails, des scènes, des échanges, des regards, saisir ces fameuses choses de la vie, cela me rend heureuse, je mords dans la vie. Le réalisateur Rossellini disait que les plus belles histoires sont dans la vie, qu’il suffit de se pencher. Hier, j’ai pris l’autobus tout en haut de la ville, depuis Harlem, et je suis descendue tout en bas de Manhattan. J’ai regardé les gens. Vous traversez ainsi toutes les couches de la population et pour moi, cela mélange l’écriture et la vie. Colette disait que les sensations s’échappent quand on veut les écrire. Et qu’ »il faut avec les mots de tout le monde écrire comme personne« .

Depuis que je suis à New York, je rédige de petits textes (voir compte Instagram @katherinepancolofficiel). Cette ville est magique, plus que d’autres villes américaines. La pulsation de cette ville, la joie, la colère, le désespoir… C’est très important quand on écrit de regarder les autres, d’observer. Dans cet autobus, un homme s’est énervé en espagnol parce que la porte ne s’ouvrait pas et une femme, éteinte, tassée, qui serrait les lèvres, les sourcils et son sac, s’est encore plus serrée de colère devant cet homme. C’est difficile d’expliquer ces différentes sensations. Mais c’est ça écrire et c’est compliqué aussi à retraduire dans une interview !

REPÈRES BIO
Naissance au Maroc, à Casablanca
Baccalauréat décroché à 16 ans
Études de Lettres Modernes (jusqu’au doctorat)
Professeur de français et latin à Lausanne
Journaliste à Paris Match, Cosmopolitan, Elle et Le Journal du dimanche
Premier roman Moi d’abord (300 000 exemplaires)
Première trilogie vendue à 2 millions d’exemplaires, un film adapté du tome 1 : Les Yeux jaunes des crocodiles

REPÈRES BIBLIO
Moi d’abord (1979)
Scarlett, si possible (1985) 
Encore une danse (1998)
Embrassez-moi (2003)
Les Yeux jaunes des crocodiles (2006)
La Valse lente des tortues (2008)
Les Écureuils de Central Park sont tristes le lundi (2010) 
Muchachas (2014)
Muchachas 2 (2014)
Muchachas 3 (2014)
Trois baisers (2017)
Bed Bug (2019) 
La Mariée portait des bottes jaunes (2023)

photo: Katherine Pancol © Sylvie Lancrenon

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