Une Américaine chez Matisse

Une Américaine chez Matisse

À Nice, le Musée Matisse présente une rétrospective de Shirley Jaffe, peintre américaine subjuguée par le maître français. Après une exposition de son vivant en 1994, où elle avait pu travailler au Musée, admirer certaines œuvres et sceller ainsi sa relation avec la peinture d’Henri Matisse, 30 ans après, cette rétrospective éclaire sur l’importance de cette relation sur son travail, d’où son titre : Shirley Jaffe, avant et après Matisse.

Une histoire plastique 

Alors dirigé par Xavier Girard, le Musée Matisse présentait en 1994 une exposition sur Shirley Jaffe, inédite pour l’époque. Celle-ci opérait uniquement un retour sur ses dernières années, car l’artiste, très discrète, ne voulait pas de rétrospective, préférant montrer son travail du moment. Trois décennies plus tard, l’établissement niçois lui dédie une nouvelle exposition, sur laquelle Claudine Grammont, ex-directrice du musée, et Aymeric Jeudi, son successeur (voir encadré) ont travaillé pendant 2 ans, et commissariée par Frédéric Paul, conservateur des collections modernes au Centre Pompidou. Mais aujourd’hui, nous avons affaire à une rétrospective complète, afin de comprendre comment l’artiste en est arrivée à ses œuvres des années 90-2000, de comprendre la manière donc les formes géométriques qu’elle a conçues font référence de toute évidence à un vocabulaire de formes matissiennes.

Cette exposition poursuit également le souhait émis depuis quelques années de montrer quelques-uns des artistes américains de la seconde moitié du 20e siècle qui ont « vu » Matisse, comme Tom Wesselmann, artiste pop américain, présenté au printemps dernier, dans le cadre du 60e anniversaire du Musée Matisse. Une année qui se conclut donc avec Shirley Jaffe.

Il y a depuis le 20e siècle, et surtout le début des années 2000, un effet de « balancier » entre Matisse et Picasso. « C’est important aujourd’hui de dire que Matisse est un artiste vivant parce qu’il y a de plus en plus d’artistes contemporains qui regardent Matisse. Ça va aussi bien des plasticiens aux dessinateurs, ou jusqu’à des gens qui font de la mode. C’est assez vaste et assez éclectique. Mais il y a comme ça un regard sur Matisse qui est vraiment très actuel« , explique Aymeric Jeudi. « Depuis 3 ou 4 ans, il y a vraiment un « moment Matisse » assez important, où l’on voit de grandes expos à Paris, à Bâle, en ce moment, ou au Met à New York, par exemple. Ça concerne des artistes de tous les horizons, de tous les pays. Il redevient un point de convergence important. »

La rencontre avec Matisse

La comparaison s’est toujours imposée entre les derniers travaux du maître français et les tableaux de maturité de l’Américaine. Shirley Jaffe n’en parlait pas volontiers. Pourtant l’on sait maintenant quel impact eut sur elle l’exposition de l’intégrale des gouaches découpées de Matisse – totalement impossible de nos jours – présentée par François Mathey au Musée des Arts Décoratifs, en 1961 à Paris. Quelques années auparavant, en 1956, une très grande rétrospective de Matisse au Musée national d’Art moderne constituait aussi un point de convergence pour toute cette génération d’artistes. Tout comme, l’année suivante, la grande exposition consacrée à la chapelle de Vence, à la Maison de la Pensée Française. Pour Shirley Jaffe, c’est un exemple assez probant parce qu’elle ira voir toutes ces expositions Matisse et, chose rare, en parlera et racontera comment l’exposition des gouaches découpées en 61 l’a complètement bouleversée.

À Nice, Aymeric Jeudi adresse aujourd’hui un clin d’œil marquant à Shirley Jaffe, en exposant Fleurs et fruits et La danseuse créole, des œuvres qu’elle a vues dans ces grandes expositions et lorsqu’elle a travaillé au cœur du musée niçois pour son expo en 1994. « Ça aussi, c’est intéressant. C’est savoir que ces expositions, quand il y a des peintres vivants et qu’ils rencontrent Matisse, ça va laisser encore des traces dans le futur« , relate le nouveau directeur. Ce n’est donc pas par hasard que Jaffe revient à nouveau à Nice. S’il n’était pas bien facile d’échanger avec elle, l’exposition compte bien instaurer un dialogue entre ces deux immenses artistes. Et l’on est curieux de savoir ce qu’ils vont bien pouvoir se dire : de l’accueil jusqu’aux abords de la dernière salle, en passant par la collection permanente où les œuvres en gouaches découpées se déploient. Aujourd’hui, c’est Matisse qui invite !

AYMERIC JEUDI, NOUVEAU DIRECTEUR
Aymeric Jeudi succède à Claudine Grammont à la direction du Musée Matisse. Né à Nancy en 1987, il s’intéresse très tôt à l’art et à la vie muséale, plus encore lors de son cursus universitaire en histoire contemporaine à l’Université de Nancy. Durant et après ses études, il obtient des postes dans les musées, ce n’est donc pas par hasard qu’il débute sa carrière au Centre Pompidou à Metz. Il part ensuite travailler pour le Ministère des Affaires Étrangères, dans le secteur culturel. Il passe 4 ans en Roumanie, à l’ambassade de France à Bucarest, où il travaille notamment avec le Musée des Beaux-Arts de la capitale roumaine sur l’inclusivité des déficients visuels. De retour en France, il collabore avec Jean-Jacques Aillagon à Nice, à la fois sur les programmations d’expositions pour la Biennale des Arts et sur la candidature de la ville à l’UNESCO. En 2019, il devient adjoint à la directrice du Musée Matisse, Claudine Grammont, et responsable de la mise en œuvre de son projet scientifique. Durant sa mission, il développe des axes stratégiques de l’établissement et favorise des dynamiques de collaboration entre le musée, ses partenaires institutionnels, l’État et des dizaines d’acteurs du territoire. C’est au terme du processus de recrutement lancé par la Ville de Nice, qu’il est nommé à la direction de l’établissement niçois.

Jusqu’au 8 jan 2024, Musée Matisse, Nice. Rens: musee-matisse-nice.org

photo: Shirley Jaffe dans son atelier © DR

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