26 Mar Les choix intimes mènent la danse
Danseur, chorégraphe, mais aussi plasticien, le Marseillais Nacim Battou est artiste associé à Théâtres en Dracénie depuis 3 ans. Cette année, pour la 8e édition du festival l’ImpruDanse, il revisite le pas de deux entre l’artiste et le public : une chronique chorégraphique, une exposition numérique… et bien d’autres surprises atypiques !
Pouvez-vous nous rappeler votre parcours de danseur et de chorégraphe ? Vous êtes issu de la danse Hip-hop ?
La première fois que je suis entré dans un théâtre, j’étais âgé de 19 ans, et cela a été la révélation. J’ai arrêté alors ce que je faisais pour me consacrer à l’art et à la culture. Autodidacte, j’ai été danseur pendant 15-20 ans dans plusieurs compagnies. J’avais beaucoup de commandes de solos. J’ai tourné au Brésil, en Guyane… J’ai eu un déclic lors d’un solo au Liban, à la limite de la Syrie, au côté du compositeur Ibrahim Maalouf. Un moment magique. J’y suis resté trois semaines, je me suis senti traversé par ce pays. En 2017, j’ai créé ma compagnie afin de raconter cette expérience. Mes idées ne pouvaient pas s’exprimer dans mon environnement précédent. En fait, j’ai toujours eu envie de m’exprimer via l’art. Au CE2 déjà, je réunissais des amis afin de créer un spectacle, puis j’ai continué au centre aéré, au lycée… Cela remet en cause le déterminisme social !
Votre compagnie s’appelle Ayaghma. Que signifie ce mot ?
C’est un mot de la langue Tamazight, langue berbère des Kabyles. Ayaghma signifie mon frère, mon semblable, mon ami. Cela symbolise aussi l’accolade fraternelle, ou la marque de sororité, le geste de prendre dans ses bras. C’est mon père qui a trouvé le nom de ma compagnie. Lui l’ouvrier qui jusque-là ne se mêlait pas de danse ou de chorégraphie. Ce nom était évident pour lui. Cela compte beaucoup pour moi que ce soit précisément lui qui ait trouvé ce nom.
Vous êtes artiste associé depuis 3 ans à Théâtres en Dracénie. Que se passe-t-il de spécial lors de ce 8e festival L’ImpruDanse ?
C’est la relation entre le Théâtre et moi qui est très spéciale ! Je me sens à la maison. Maria Claverie-Ricard, la directrice, est quelqu’un qui suit ses artistes au-delà de ses missions. Elle laisse la place aux projets originaux, à la marge. Émilie Lalande, spécialiste du jeune public, est artiste associée également. Ce festival s’étend sur trois semaines et je serai présent du début à la fin. Je fais même l’ouverture avec mes danseurs. Un grand moment festif, un peu partout dans la ville. Je vais partager des soirées avec d’autres chorégraphes, on va faire la fête ensemble. L’occasion de croiser autant de collègues provoque une émulation très particulière. Comment les œuvres discutent les unes avec les autres ? Je suis très excité de voir ce que cela va donner. Draguignan devient un endroit de rencontres, et le travail réalisé par Maria et les équipes fait que le public est prêt à vivre ce festival. On sent l’appétence du public pour la danse. Les lieux n’ont de sens que s’ils relationnent avec le monde, avec la beauté du monde comme avec son côté sombre. Nous allons dialoguer avec les lieux, dans les endroits populaires. Je lis beaucoup Shakespeare en ce moment. Cet auteur faisait justement du théâtre populaire, au milieu de la vraie vie, pendant que les gens buvaient de la bière. Ce n’était pas réservé aux initiés. Il faut aussi être exigeant et aller chercher des publics éloignés du théâtre. Le théâtre c’est pour tout le monde ! Draguignan n’est pas une capitale, et arriver à faire un événement de cette envergure, c’est un joli tour de force. C’est beau que cela puisse exister, j’arrive à m’émerveiller de cela. Le quotidien, l’actualité actuellement sont tellement inquiétants que c’est une chance de pouvoir continuer à dialoguer avec les gens, autour d’un spectacle, d’un verre, que les gens se croisent…
Vous présenterez votre spectacle Notre dernière nuit, que vous résumez ainsi : « Un voyage initiatique entre la folie, la grâce et le désespoir supposé d’un dernier instant de vie. » Comment a germé cette idée, déclinée en trois épisodes L’Effondrement, L’Espoir et Voir pour la première fois ?
Cette série se déroule sur trois samedis d’affilée (ndlr: ép.1, 30 mars, Auditorium Pôle culturel Chabran / ép.2, 6 avr, Chapelle de l’observance / ép.3, 13 avr, Parc Chabran). Le cadre m’intéressait. Le précédent spectacle Dividus est toujours en tournée, je trouve ça fou et fabuleux. Je voulais repartir sur un spectacle de cette ampleur. Le rapport artiste-public peut être très frustrant dans mon métier. J’avais envie d’avoir le public au plus près, de le rencontrer de façon plus directe, dans des espaces nouveaux. Cette Dernière nuit se situe la veille de la fin du monde. Plus largement, on se trouve avant un basculement, une rupture amoureuse, ou même la fin d’une colo… Un jour nouveau arrive, rien ne sera plus comme avant. L’Effondrement intervient quand on s’aperçoit que l’on ne peut plus rien faire. L’Espoir prend place dans un lieu de spiritualité, et Voir pour la première fois se joue en plein air, change le regard qu’on porte sur les choses, le couple, les gens… C’est le nouveau regard avant la fin… Les artistes seront en cercle, à moins d’un mètre du public. On verra le corps des danseurs virtuoses, leur peau, leur respiration, avec le ciel derrière… Une expérience sensorielle et immersive.
Qui est l’auteur du texte poème qui commence par :
« Une nuit calme
Pour nous épargner
S’effondrer ensemble… » (1)
C’est moi ! Le projet est long à expliquer (trois épisodes d’une heure chacun). Je voulais trouver une autre manière d’en parler. Le texte s’est imposé… J’ai adoré faire ça. Je suis entré dans le monde de l’art en autodidacte. Le problème de la légitimité se pose, mais je tente des choses. Par exemple aujourd’hui, nous avons écrit une chanson avec les danseurs. Du temps de Pina Bausch, les temps de résidence étaient très longs ce qui permettait de développer des singularités dont on se sert encore aujourd’hui. J’ai l’ambition de trouver le cadre de travail qui permet ça. Je vois ma compagnie comme une bande de compagnons : le prolongement d’une pensée collective. Mais comme cela peut nous enfermer, je veux sans cesse aller chercher d’autres formes.
Parlez-nous de votre installation immersive En attendant l’aurore ?
Il s’agit de ma première exposition. Un voyage onirique d’une quinzaine de minutes, qui met le spectateur au centre de l’histoire. J’adore l’idée d’être toujours un débutant, de tenter des choses et des médias nouveaux. Dans ma compagnie, nous sommes tous au service du projet. Je suis garant du cadre mais les autres membres sont garant d’autres créations ; le chemin m’intéresse même si tout n’est pas parfait. Comment se révèle-t-on en tant que personne ? Quels sont nos choix intimes ? Le costume de super héros ne m’intéresse pas, les choses plus fragiles en revanche oui. J’aime faire travailler mes danseurs dans les chemins de traverses, les faire se rencontrer. Ils viennent de disciplines différentes, avec des langages différents, et ils dialoguent. Dans mes rêves, je suis un spécialiste de la recherche ! Cela me sert pour travailler dans différents domaines, c’est très stimulant, très performatif, et permet de vivre une expérience particulière.
Le 6 avril, vous participerez également à une table ronde avec deux autres chorégraphes Marion Motin et Hamid Ben Mahi…
C’est une première à Draguignan. Hamid a une grande expérience, et a commencé également le Hip-hop en autodidacte. Et Marion a une grande connaissance de l’audiovisuel. Nos univers sont complètement différents. Nous verrons ce qui intimement, conceptuellement, nous nourrit et quelle est notre démarche. Quel sens donne-t-on à notre métier ? C’est rare que nous nous croisions et que nous ayons ainsi la parole.
L’ouverture du Festival, ces trois épisodes chorégraphiés, cette exposition, cette table-ronde… C’est votre façon de « rencontrer le public autrement » ?
Une occasion en plus ! Pour le public de Draguignan, tout sera nouveau. Seront-t-ils au rendez-vous ? Et le public extérieur ? Ce festival brasse des gens de toute la région. Il est très reconnu par les institutions comme par les particuliers. J’ai hâte de rencontrer ce(s) public(s) !
L’IMPRUDANSE, 8e EDITION
Créé en 2017, le festival L’ImpruDanse est devenu un rendez-vous incontournable de la danse contemporaine. 6 lieux investis, 5 brunchs, 3 projections documentaires au Musée des Beaux-Arts, 1 expo photo, 1 expo numérique… La 8e édition s’étale sur 3 semaines, du 23 mars au 13 avril, avec 14 spectacles, des impromptus, des inédits, des master classes, des projections, des expositions et, grande nouveauté, un festival OFF. Quant aux invités, de grands noms de la danse sont attendus : Angelin Preljocaj, Carolyne Carlson, Jean-Claude Galotta, Marion Motin, Ousmane Sy, Anne Nguyen, Hamid Ben Mahi, Émilie Lalande, Damien Drouin… et Nacim Battou.
23 mars au 13 avril, Théâtre de l’Esplanade & lieux divers, Draguignan. Rens: theatresendracenie.com
(1) « Une nuit calme
Pour nous épargner
S’effondrer ensemble
S’arrêter pour respirer pleinement
Ne rien dire, ne rien penser
Essayer de ne rien dire
Ne rien penser
S’agiter pour trouver la paix
Savoir sans l’ombre d’un doute que la fin est proche
Qu’elle nous emportera
S’inviter soi-même à la contemplation
Et se perdre dans des souvenirs enivrants
Être saisi par sa propre chute,
Tellement immédiate et soudaine…
Ne pas l’avoir vu venir malgré tout
Écouter le bruit assourdissant du dehors
Vouloir de petits silences
Juste pour soi
Les demander si fort
Le souffle coupé
Puis, dans un soupir
Lever les yeux au ciel
Comprendre que je n’étais pas seul
Et enfin…
Voir pour la première fois »
photo : Nacim Battou © Patrica Martinez Oz