Gérard Taride, libre comme l’Art

Gérard Taride, libre comme l’Art

Gérard Taride est un créateur au long cours. Ce musicien parvenu à la maturité, qui a grandi dans les ateliers de l’École de Nice et aux côtés des grands du jazz, semble avoir trouvé avec les arts plastiques le meilleur moyen de nous livrer son questionnement sur la fièvre qui infecte nos sociétés : violence, emballement médiatique, harcèlement des réseaux sociaux, cupidité… Sans présupposés, il ose !

Les prémices

Gérard Taride est un plasticien atypique, d’abord parce qu’il émerge grâce à des expositions monumentales où les thématiques sociétales interpellent alors qu’il ne vient pas du sérail de l’art contemporain. Il a baigné pourtant depuis l’enfance dans la musique et l’art grâce à son père Bernard Taride, artiste lui-même, très proche de l’École de Nice mais aussi grand passionné et érudit de jazz, sa deuxième passion. Ce quincailler d’un calme et d’une bienveillance rares a illuminé la Côte de son humour et de son swing. Gérard grâce à lui a connu tous les grands du jazz qui logeaient à la maison quand ils venaient à la Grande Parade du Jazz de Nice : Gillespie au petit déjeuner affublé d’une perruque empruntée dans la salle de bains, ça vous marque un gamin… Son père l’amenait aussi avec lui quand il allait voir ses amis de l’École de Nice : ainsi Gérard a-t-il découvert Arman et se souvient de cette voiture que le nouveau réaliste fit exploser dans une carrière dans le cadre d’une performance… et tant d’autres anecdotes qui l’ont marqué. Fahri lui aussi le marquera d’une manière indélébile avec ses collections de robots et d’objets tellement avant-gardistes et originaux. Et Sosno avec ses premières oblitérations de photos…

La musique

Cependant Gérard commence par la pratique du piano classique et de la danse. Il participe d’ailleurs dès la prime enfance aux spectacles de Cousin Bibi… Mais très vite la batterie prendra le dessus et le mènera au conservatoire pendant les années lycée. Il commence alors à jouer en parallèle avec un ou deux groupes et là… c’est le break, le premier ! Il quitte tout : lycée, conservatoire, pour suivre son groupe Ganja, avec qui les choses prennent une tournure sérieuse. Les maisons de disques se succèdent comme les tournées. Le son de départ se formate jusqu’à devenir Plein Sud, groupe de beaux gosses qui pratique une musique de variété qui connaîtra un certain succès. Les TV et galas s’enchainent, mais Gérard n’aime pas le formatage ni les contraintes, et le groupe s’arrête. Cette période lui a permis de vivre avec ses amis qui resteront pour lui une véritable famille. 

L’expérimentation comme métier

Que faire après cette agitation, ces tournées ? Gérard décide avec un membre du groupe et un autre musicien de monter une société de création de t-shirts. C’est le grand boom de l’époque. Il va en dessiner les modèles et les motifs… Le design, c’est un peu de l’art, et c’est aussi concret. Et Gérard se débrouille, il apprend, il invente… Ça marche. D’une petite échoppe à Juan les Pins, la structure devient nationale. Les trois amis se retrouvent à la tête de plusieurs boutiques. Mais la guerre du Golfe arrive et fait exploser leurs rêves. C’est alors que Thierry, son partenaire de toujours, guitariste de Plein Sud, associé dans l’aventure stylistique, lui demande de le rejoindre dans l’aventure d’une enseigne de meubles design et d’accessoires de décoration : XXL. Il faut reconnaître que Gérard a démontré très tôt qu’il possède un feeling pour le style, le dessin et la création. C’est là qu’il apprend aussi bien la photo, le graphisme, la vidéo… Car il gère et crée beaucoup de choses : mobilier, accessoires déco, catalogues, scénographies pour les magasins et stands… Il commence aussi à cette époque à créer des multiples pour décorer les murs des pièces où se retrouveront les meubles et la déco qu’il a imaginée. « Je ne trouvais pas ce que je voulais sur le marché, et ma conception de la déco ne pouvait pas admettre des murs nus… » Ses travaux sont inspirés du Pop Art, il détourne certains matériaux et process grâce à ses fournisseurs et il choisit de faire des images sur un support à l’époque très innovant : le Plexiglas. Le succès est au rendez-vous et il commercialisera ses images sur des réseaux nationaux et internationaux, dans le domaine de la décoration. Il passera plus d’une dizaine d’années à créer pour XXL, qui poursuit aujourd’hui encore son chemin. Sans lui, car Gérard ne suivra pas les visions d’un des partenaires. Encore un break. Et un nouvel épisode. Fort de sa culture technique et de son bagage autodidacte, il crée sa boite : Pure Design.

Illustration projet Help Yourself, exposition MythologieS, Saint-Raphaël © Gérard Taride

Retour à la création

Gérard Taride n’a pas fait ses expériences de plasticien dans une école, comme l’art contemporain l’impose de nos jours. Il a affiné sa technique par sa curiosité et dans les divers métiers créatifs qu’il a embrassés. Mais une rencontre va changer sa vie : Simone Dibo Cohen, amie de son père, qui s’intéresse à lui et à ses images sur Plexiglas. Elle organise alors des expos chez un ophtalmologue et lui propose d’exposer. Why not ? Première en 2008 : tout est vendu. Sidérée, cette dame des Arts lui en demande une autre, toujours chez le même ophtalmologue, mais à Lyon cette fois. Même résultat. Devenue Présidente de l’Union Méditerranéenne de l’Art Moderne (UMAM), Simone Dibo Cohen propose à Gérard de participer aux expositions de la Biennale au Château-Musée Grimaldi de Cagnes-sur-Mer où, sur deux sessions, il crée des installations. Ce concept l’attire, car il fait appel à toutes les compétences qu’il a acquises au long de son parcours créatif et professionnel. Il réalise ainsi un mix entre scénographie, musique, son, vidéo et photographie. Simone Dibo Cohen croit en lui et lui propose alors d’exposer à la Galerie Lympia, au Port de Nice, dans le cadre de l’exposition collective Liberté, Liberté chérie en 2019. Un protocole s’est installé entre eux : elle ne cherche pas à savoir ce qu’il présente, ce qui n’est pas son habitude, car elle qui est très exigeante. Ici sa création monte d’un cran. Il traite des médias, de la censure (déjà), des fake news, de ce flot qui commence à affoler tout un chacun : la violence des informations et leur diffusion, la rapidité et la profusion du net, le manque de repères qui mène à la confusion, cette « prison dorée » que chacun bâtit lui-même au quotidien, au beau milieu de cette fièvre que transmettent médias et réseaux sociaux. Son installation est comme un pavé dans la mare. Gérard semble avoir trouvé quelque chose qui l’attire encore plus vers l’art… Le public le remarque. 

L’UMAM revient en 2021 au Château-Musée Grimaldi à Cagnes-sur-Mer. Il signe une installation sur le thème Moi-Je : encore et toujours des micros, des appareils photo, mais aussi les miroirs chers à son père, Bernard Taride, avec qui il signe ce travail… Une boucle semble être bouclée. L’émotion qu’elle produit pousse Simone Dibo Cohen à inviter Gérard en 2022 pour une autre exposition collective, ExodeS, qui investit plusieurs lieux de la ville de Saint-Raphaël. Gérard choisit un endroit dont personne ne veut : un night-club désaffecté, une sorte de blockhaus sombre, situé non loin de la plage… Il y crée l’installation Les enfants perdus. Sur les murs figurent les fiches de centaines d’enfants perdus dans le chaos de l’exode. Dans le centre de cet espace sombre siègent des centaines d’oursons calcinés. Une installation coup de poing qui se fixe dans la mémoire. Le faible éclairage lie le visiteur à chaque petit visage et les oursons calcinés rappellent cette réalité historique crue, terrifiante et par trop oubliée… Le public, les critiques sont sidérés, émus, interpelés.

Un été 2024 exceptionnel

Lauréat du Prix de la Ville de Cagnes-sur-Mer, lors de l’exposition Moi-Je, Gérard est invité à investir à nouveau le Château-Musée Grimaldi cet été pour un solo show qui débutera le 4 juillet : Notes interdites. Il revient aussi exposer à Saint-Raphaël, du 14 juin au 12 octobre, où Simone Dibo Cohen signe une nouvelle exposition collective avec l’UMAM : MythologieS, d’Achille à Batman. Du sommet du Mont Olympe aux ruelles sombres de Gotham City, MythologieS explore ces récits épiques qui attisent l’imaginaire collectif depuis la nuit des temps. Composée d’une centaine de peintures, sculptures, dessins et autres installations, cette exposition est à découvrir dans trois lieux symboliques de la Ville de Saint-Raphaël : le Centre culturel, le Musée archéologique et le Jardin Bonaparte. 

Taride y présente Help yourself, une installation dans une ancienne chapelle, comme une exploration audacieuse des frontières entre divin et quotidien, entre sacré et profane. Au cœur de cet ancien lieu de culte, une tour imposante s’élève, ses quatre faces recouvertes de visuels évoquant des scènes mythologiques. Les voilages majestueux imprimés de scènes antiques, suspendus en arrière-plan sur les murs de la chapelle, ajoutent une dimension supplémentaire à cette construction qui évoque la Tour de Babel. Help Yourself un titre ambivalent qui, au premier degré, signifie au visiteur : Servez-vous. En effet, cette tour est aussi un distributeur automatique de divinités ou superhéros héros modernes. Littéralement Help Yourself veut dire aide-toi… Mais, selon le vers qui referme la fable Le Chartier embourbé de Jean de La Fontaine, le ciel t’aidera-t-il ? L’utilisation du distributeur automatique comme moyen de distribution des divinités interpelle. La spiritualité ne ferait-elle que répondre à un besoin de consommation ? Pourrait-elle être diffusée comme un café ou soda ? Il est vrai que lorsque l’on voit certains prédicateurs ou prêcheurs on peut se le demander… L’Homme s’inventerait-il des mythes pour mieux se les offrir ? Il faut dire qu’un banal distributeur automatique ne peut que devenir le catalyseur d’une réflexion plus vaste sur la nature de la foi et de l’éthique dans nos sociétés contemporaines quand on sait qu’il est là pour distribuer des divinités et des mythes antiques et modernes …

Gérard Taride continue donc son questionnement sur cet « emballement » et ces contradictions qui vident de leur sens les sociétés modernes. Toujours avec un certain décalage et un humour acide, il semble nous dire que tout s’achète et tout se vend, et craint que cette tendance inique nous mène dans le mur. 

MythologieS, de Achille à Batman, 14 juin au 12 oct, Centre culturel, Musée archéologique et Jardin Bonaparte, Saint-Raphaël. Rens : saint-raphael.com – FB UMAM
Notes interdites, dès le 14 juil, Château-Musée Grimaldi, Cagnes-sur-Mer. Rens: cagnes-sur-mer.fr

photo Une : Gérard Taride prépare son exposition Notes Interdites, au Château-Musée Grimaldi de Cagnes-sur-Mer

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