23 Mai Jean Marc Pharisien : chroniques photographiques
Jean Marc Pharisien est un personnage étonnant. Il expose actuellement à l’Espace à vendre, à Nice, une série de photos qui constituent un des témoignages les plus importants de l’histoire de la scène plastique azuréenne depuis les années 90/2000.
Pourtant, il se dit uniquement technicien de la photo, car il a constitué ce patrimoine pour se détendre. Ben Vautier l’appelle « le fantôme timide« , tant il a fait tout cela dans un total anonymat, mais avec une humanité rare… Admettra-t-il un jour qu’il est photographe ? Des années 80 à nos jours, vous retrouvez dans cette exposition tous les acteurs de la scène artistique : plasticiens, photographes, performeurs, poètes, littérateurs… souvent lors de vernissages ou de rencontres. À partir du 25 mai, il sortira également de grands portraits, pour un second vernissage. Ne vous privez pas d’en commander, ces clichés sont des témoins de l’Histoire de l’Art récente et sont exceptionnels.
Technicien ou photographe ?
Petit génie de la technique, Jean Marc Pharisien a toujours été intéressé par les trouvailles technologiques. Jeune, il échangeait avec des ingénieurs de l’aérospatiale qui partageaient avec lui la passion de l’aéromodélisme. Il abandonne par la suite le lycée : excellent en maths, son prof le saquait pour des fautes d’orthographe… Quant à ses avions, ils se sont tous écrasés pour une sombre histoire de brouillage. Il monte une nouvelle fois en tours/minute et décide de participer à un concours pour y montrer des photos aériennes, faites avec un Instamatic fixé dans le dernier modèle d’avion qu’il pouvait faire voler : un drone avant l’heure… Voyez déjà le bricoleur. Mais il est encore adolescent et les tirages coûtent cher. Il décide d’aller donner la main dans un labo pour les tirer lui-même. La photo vient d’entrer dans sa vie, et le tirage avec… Il le suivra toute sa vie. Après avoir travaillé dans plusieurs laboratoires, et tenu un magasin photo à Nice, où il faisait lui-même les tirages, il atterrit à Monaco avec un job enfin paisible. C’est là qu’une rencontre marquera sa vie : celle avec Helmut Newton. Ce dernier cherche des tirages particuliers que personne ne parvient à faire. Notre « MacGyver » y arrive très bien, habitué qu’il est à bidouiller depuis le jeune âge.
Par la suite, il collaborera de plus en plus avec Newton à tel point qu’il quittera son job pour se consacrer à ces travaux spécifiques de tirage. Après son départ de Monaco, il réalise des reproductions d’œuvres de différents artistes pour boucler les fins de mois et se consacre au tirage papier des clichés de Newton. Leur collaboration s’intensifie alors pour ne plus que se consacrer exclusivement aux travaux du prestigieux photographe australien, jusqu’à sa mort en 2004. Il aura d’ailleurs beaucoup de mal ensuite à travailler pour d’autres tant il fut lié au maître. Aussi s’essaiera-t-il à d’autres tâches, comme monter une sorte de site internet pour produits photos rares, mais le commerce n’est pas sa tasse de thé… Entre-temps notre petit génie passe de l’argentique, la photo traditionnelle, à la photo digitale, car il veut archiver les siennes et les tirer à l’imprimante professionnelle. Refusant l’approximation, notez qu’il est devenu là encore un expert du tirage digital qu’il effectue toujours pour des photographes « coup de cœur », ainsi que pour des événements comme Photo Menton et le Festival photo de Mouans-Sartoux.
Témoin d’une époque
Tout au long d’une carrière tumultueuse, Jean Marc Pharisien a vécu des coups durs et surtout une séparation difficile. Il est au fond du trou et la photo lui permettra de s’en sortir. Le hasard met Marc Sanchez sur sa route : à cette époque directeur de la Galerie d’Art contemporain des Musées de Nice (GAC), ce dernier ne supportait plus le laboratoire avec qui il travaillait, car on n’y portait pas l’art contemporain en grande estime, paradoxe funeste… Il contacte un jour Jean Marc pour travailler avec lui, et décide de le « trainer » à l’exposition de Bernard Pagès qu’il organise à la GAC. Pharisien ne comprend pas cette installation de barils de pétrole et de bottes de paille … Marc lui explique. Jean Marc reste et fait des photos du vernissage.
À partir de là, les artistes pour qui il a travaillé seront ses poissons-pilotes et l’aideront à trouver ses sujets photographiques, les utilisant comme guides pour un who’s who alors nécessaire. C’est comme cela que, de fil en aiguille, il participe à tous les vernissages. Il est entré dans les murs, s’est fait sa place, et plus personne ne se demandait qui il était ni ce qu’il faisait là. Une position qui lui a permis de se faire oublier et de faire des clichés exceptionnels : Jean Marc Pharisien a toujours su saisir le moment important, avec une humanité rare, loin des pratiques des photographes de presse ou des paparazzi. Tous ses clichés ont une histoire, et l’on peut se demander comment, sans connaître l’art ni les artistes, il est parvenu à un tel résultat. S’il ne se dit que technicien de la photo, il est indéniablement un photographe et une sorte de poète qui a toujours su sentir et saisir l’intensité des liens et des histoires de chacune des personnes qu’il captait avec son objectif.
C’est ce don naturel qui fait de ces clichés des merveilles. Ils sont aussi les meilleures archives de l’ébullition révolue de la scène artistique niçoise, du temps où Nice rayonnait par son audace et son talent… L’Espace à vendre célèbre ainsi ses 20 ans en invitant Jean Marc Pharisien, un artiste qui a photographié les décennies qui ont précédé l’ouverture de la galerie… Un choix classieux qui permettra d’inscrire son travail dans l’histoire de la scène artistique locale. Car, de César à Ben, de la Villa Arson à la plage des Ponchettes, d’interviews en performances, c’est tout un pan d’événements artistiques à Nice qu’il a vu passer sous son œil, qui est révélé à la manière de planches contact. Environ deux décennies d’une histoire collective et commune. C’est la première réelle exposition personnelle de Jean Marc Pharisien, n’hésitez pas à lui commander des tirages, et allez voir ses grands portraits qu’il vernira le 25 mai. Offrez-vous un peu d’histoire de l’Art, elle a tellement fait briller notre région… et nos vies !
Jusqu’au 15 juin, Espace à vendre, Nice. Rens: espace-avendre.com
photo : Helmut Newton (à gauche), 1990 © Jean-Marc Pharisien