Au théâtre, la vraie vie

Au théâtre, la vraie vie

Pendant un mois, plusieurs scènes maralpines se tiennent la main pour offrir des récits de vie qui tous nous touchent : c’est le festival Trajectoires.

Entre le « trajet » et la « trajectoire » s’immiscent les aléas et le hasard, loin de l’autodétermination et des décisions arbitraires. C’est sur cette jolie notion, à forte charge poétique et réaliste, que réside l’intention du festival Trajectoires, dédié aux chemins de vie, aux parcours qui font de chacun de nous des êtres singuliers. Ancré au Forum Jacques Prévert à Carros et initié il y a 6 ans par Pierre Caussin, désormais directeur artistique de la Scène55 à Mougins (voir La Strada n°370), l’événement porte en lui une volonté de diffuser des pièces de théâtre et formes jouées sur un vaste territoire. Par ces partenariats avec les scènes conventionnées (Théâtre de Grasse, Théâtre National de Nice, Scène55 à Mougins, Théâtre de la Licorne à Cannes et la médiathèque de Mouans-Sartoux), il en résulte une occasion de découvrir des œuvres et des interprétations toutes reliées par les récits de vie. Un maillage concret et porteur, pour tous les âges. Évitant de ranger les choses dans des cases, ce festival trouve aussi sa singularité par une approche conviviale et collée au réel, où l’enjeu est de voir et écouter ensemble des spectacles dont les sujets intéressent autant les jeunes enfants et ados que les tout-petits et tout-vieux.

Les mutations de l’âge

Avec #preuvedamour, Vanessa Banzo joue seule ce que vivent, seuls, de nombreux jeunes gens, accrochés à leur téléphone, désireux d’entrer dans le « game », et happés par les mécanismes et schémas de ce que les réseaux sociaux fabriquent et permettent. Jusqu’au harcèlement… Une pièce que l’on souhaiterait obligatoire, tant elle dit ce que les adultes souvent ne savent pas dire ou ne perçoivent pas. 

Dans ce désir de faire partie du groupe résident l’engagement et l’esthétique du corps, qu’Arthur Perole nomme Tendre carcasse. Oui, c’est en douceur qu’il aborde, dans cette pièce pour quatre danseurs déjantés, les questions perçantes de regard, d’identité et d’injonctions, alors que notre corps est en mutation et notre intérieur en plein déménagement.

Ça va mieux en le disant

Avec Les Sœurs Hilton de Valérie Lesort et Christian Hecq, il s’agit d’un voyage temporel inspiré de la vraie vie de ces sœurs siamoises, bêtes de foire ou « monstres humains » – freaks – devenues stars bien qu’isolées et exploitées, puis tristement oubliées (voir article ci-dessous). 

Contre cette inéluctable fuite des choses et des sentiments, Fabien Gorgeart met en scène Les Gratitudes où la comédienne et ex-sociétaire de la Comédie Française Catherine Hiegel joue magistralement une dame vive et touchante, mais dont l’usage de la parole disparaît au fil des jours, elle qui fut parolière. Inspiré du roman de Delphine de Vigan, ce récit-là est drôle, urgent, et les mots filent avant que l’angoisse de les perdre ne prenne le dessus et que l’essentiel ne se faufile entre les lames du temps.

Nos labyrinthiques destinées

Embarqués dans les souvenirs enfouis de famille, les personnages joués par Lamine Diagne et Raymond Dikoumé dans la pièce Françé convoquent leurs ancêtres et évoquent le passé, de la grande histoire de France telle qu’on la déploie souvent de façon si raccourcie et figée, à celle qu’ils revisitent en d’innombrables plis, retraçant les réalités coloniales, manques de reconnaissance et ignorances répétées, entre rires et larmes. 

Sur les traces d’Ulysse, l’odyssée d’une jeune enfant mise en scène par Yiorgos Karakantzas dans Mythos, rejoue les grands enjeux de la mythologie grecque. Dans un jeu d’échelle (au sens de la dimension), la fragilité des marionnettes et la fugacité des jeux d’ombres sont prises dans des mappings vidéo, et voilà que la petite condition humaine se perd dans le labyrinthe d’un vaste monde où les épreuves de la vie ne peuvent qu’être dépassées. Une pièce délicate et ample, sans paroles mais truffées d’idées livrées en bouquets.

Outre la pièce Gisèle Halimi, Une farouche liberté, reprenant les combats de Gisèle Halimi (voir article ci-dessous), voilà le programme pour un mois de janvier récité. Et puisque le festival Trajectoires s’étend jusqu’en février, nous vous en ferons le dernier détail dans notre prochaine édition !

9 jan au 8 fév, festival Trajectoires. Rens: forumcarros.com/trajectoires

photo : Françé © DR

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