Faire monde à la Villa Arson

Faire monde à la Villa Arson

La nouvelle directrice du Centre d’art contemporain de la Villa Arson, à Nice, est (enfin) nommée : il s’agit de Marie-Ann Yemsi. Nous avons rencontré cette femme qui veut « faire Monde« , faire ensemble, ouvrir, partager, réfléchir à ce que doit devenir un centre d’art au XXIe siècle, dans cette période où le repli par trop s’impose avec la peur de l’autre. Un souffle de liberté, de créativité, de convivialité, enrobé d’une humilité et d’une humanité qui font du bien. 

Marie-Ann Yemsi est la nouvelle directrice de la Villa Arson, un lieu, à ses yeux, unique en France, car il associe dans un même site : un centre d’art, une école d’art et un lieu de résidence internationale pour les artistes, jetant ainsi de nombreuses passerelles avec l’Université Nice Côte d’Azur. Dans les années 70, des visionnaires ont décidé que l’art devait être au cœur de la vie pour toutes et tous, et c’est dans le cadre de cette décentralisation culturelle, tient-elle à rappeler, qu’est arrivé ce pôle de la Villa Arson. Un site architectural exceptionnel pensé par Michel Marot, qui l’a conçu comme un village, avec toutes les entités ouvertes sur un parc, et faisant en quelque sorte la jonction entre passé, présent, futur. Le cœur de son projet, indique-t-elle est de réinterpréter l’essence même de la Villa Arson : voilà pourquoi elle l’a intitulé Faire monde.

Pour Marie-Ann Yemsi, les écoles d’art sont traversées par des questions très contemporaines comme « le mouvement lancé suite au meurtre de George Floyd, ou les mouvements qui posent la question des droits des femmes à disposer de leur corps, du consentement« , et les jeunes générations sont bien en droit de demander des comptes. « Ces questions-là sont centrales. Maintenant, on fait avec et il ne m’appartient pas ni de réécrire l’histoire, mais de la faire avancer très certainement ».

Sa présence à ce poste, selon elle, dit aussi des choses quant à cette transformation du monde : seulement deux femmes ont occupé la direction de la Villa Arson en 40 ans. Dont elle, née de parents étrangers (mère allemande, père camerounais), qui ont choisi la France par engagement, pour son histoire et ses principes républicains. Marie-Ann Yemsi a fait Sciences-Po, avec une spécialisation en sociologie des relations internationales ; un « refuge » pour elle, dont elle célèbre la politique d’intégration. C’est notamment pour cette raison qu’elle soutient La Relève, projet initié par Rima Abdul Malak, ex-Ministre de la Culture, destiné à encourager la diversité sociale dans les métiers de la culture et à créer un vivier de jeunes pouvant, à l’avenir, diriger des institutions culturelles. Rachida Dati, qui lui a succédé, l’a mis en œuvre et Marie-Ann Yemsi a fait partie du comité de sélection. Bénéficiaire de cet accueil bienveillant à Sciences Po, elle a souhaité qu’il en soit de même pour les cadres culturels qui, jusque-là, ont toujours eu les mêmes profils, bénéficiant d’un entourage familial cultivé, privilégié. Une manière d’éviter un entre-soi hermétique au renouvellement.

L’art comme lieu d’hospitalité et de partage

Faire monde est donc le projet qui anime Marie-Ann Yemsi pour la Villa Arson, dont l’essence est de faire appel à l’art comme lieu d’hospitalité et de partage. Elle a travaillé pour des projets dans le « Sud global » ou sur le continent africain, elle y a conseillé des entités comme de nouveaux musées par exemple… Et là-bas, il n’y a pas d’argent public. Ce sont des entités privées sans infrastructures et sans réseaux culturels, dans des régions où il n’y a, quelquefois, pas d’écoles. Il faut vraiment trouver des idées simples et efficaces. Elle donne un exemple frappant : « J’ai travaillé pour un grand opérateur culturel au Maroc, le plus grand opérateur privé qui a un musée à Marrakech. On s’est aperçu que, pour faire venir les communautés proches qui n’avaient pas accès aux espaces gentrifiés de Marrakech, l’idée la plus simple a été de faire un couscous tous les vendredis, avant les ouvertures ou pendant les expositions. Parce que c’est aussi ça, le partage. » Bien sûr, tout le monde est venu pour manger gratis, au début. Mais elle avait pris soin de mettre en place des médiateurs afin qu’ils expliquent aux mamans que ce qui se passait au Musée, en dehors de l’école coranique, était tout à fait acceptable pour leurs enfants qui participaient aux activités. Elle en a également profité pour organiser des cours d’alphabétisation à destination des mères.

Pour Marie-Ann Yemsi, cet exemple n’est pas hors contexte, car il pose la question de l’accueil : Qui ? Comment ? Avoir travaillé au Palais de Tokyo (dont elle faisait partie du conseil d’administration pendant 6 ans, jusqu’à juin dernier) lui a donné conscience d’une plus grande responsabilité dans le secteur public, car les activités y sont gratuites et continueront de l’être. « En ce sens, on doit aussi réfléchir à qui on accueille, comment on accueille, comment faire venir le plus grand nombre, comment on peut intéresser en luttant contre « l’arrogance » de l’art« . Pour Faire monde, elle veut constituer un groupe de travail pour que les différents acteurs de la Villa Arson réfléchissent à l’hospitalité, à l’accueil… Car le décentrage et les problèmes d’horaires d’ouverture peuvent être un exemple d’écueil à un accès facile. Faire monde, c’est ouvrir, échanger dans la villa, échanger avec le tissu local, régional. D’ailleurs, sa première exposition en mars devrait se faire en association avec le Centre d’Art contemporain des Capucins d’Embrun : à la Villa Arson, un artiste viendra proposer un workshop aux étudiants et travaillera avec des artistes qui seront présentés durant l’été à Embrun, en ruralité. Une autre façon de réfléchir à ce que pourrait être l’hospitalité curatoriale, une façon de nouer des liens entre la Villa Arson, qui a le privilège de dépendre du Ministère de la Culture, et certains centres d’art qui ne sont pas nationaux et disposent de moyens plus modestes.

Trouver une « écologie des expositions »

Une autre ambition, c’est trouver une « écologie des expositions » qui ne se limite pas au recyclage… Il s’agit alors de « faire ensemble », de mutualiser, de penser un temps à la Villa puis de poursuivre le projet ailleurs. Comme ce projet avec Les Capuçins. Il s’agit de penser ce qu’est un centre d’art au XXIe siècle, où qu’il se trouve. Pour elle, ça ne concerne pas que le Centre Pompidou ou le Palais de Tokyo : « La vision de ce que peut être la conception d’un événement qui se passe entre des murs blancs est arrivée à bout de souffle, et nous sommes nombreux à vouloir nous poser la question. Il faut activer, renouveler nos pensées, renouveler l’attention envers les publics. Dans un contexte qui est celui de la France, de l’Europe, et du Monde, extrêmement anxiogène, comment offrir aussi un espace de répit, de poésie, un espace qui déplie les imaginaires ? On ne peut pas échapper au fait qu’on est dans une phase de repli, de repli derrière des frontières, de peur de tout, de peur de l’autre« . Elle pense l’art comme un espace non pas pacifié mais sûr, qui n’est pas consensuel, mais où l’on doit pouvoir débattre en se sentant protégé et libre de s’exprimer.

Histoire, pédagogie et professionnalisation

Même si elle a travaillé pour des entités privées, Marie-Ann Yemsi est restée indépendante pendant ces 18 dernières années. Et d’une certaine manière, continue de l’être, car elle travaille sur des projets initiés avant sa nomination et qui ont l’avantage d’offrir une ouverture internationale à la Villa Arson. Elle prépare une biennale au Canada qui se tiendra an 2026. Elle est aussi lauréate de la Villa Albertine, ce qui lui permet de faire des recherches pour un projet d’exposition, la même année. En fait, il est important pour elle de sortir de sa zone de confort. Le Ministère de la Culture était favorable à cet état de fait, ainsi qu’au projet de Faire Monde.

Elle a décidé par ailleurs de mettre un coup de projecteur sur 40 ans d’archives des expositions organisées sur le site niçois, dont les 17 années assurées par son ex-directeur Eric Mangion, afin rappeler à quel point la Villa Arson a été – et reste toujours – un lieu d’expérimentation, d’émergence artistique. Pour ce faire, l’arrivée d’Alice Dusapin, nouvelle responsable des éditions, l’a ravie. Elle note d’ailleurs des zones d’ombre, comme le manque de présence féminine dans cet inventaire, lui faisant penser que ses prédécesseurs n’ont pas été visionnaires à tous les niveaux… Elle veut réactiver des zones de lumières en tissant des liens entre toutes ces histoires, afin d’en créer d’autres à l’avenir. 

Dès son arrivée, Marie-Ann Yemsi a trouvé remarquable l’exposition des étudiants, Sweet days of discipline, visible jusqu’au 2 février prochain. Elle veut continuer de leur donner le moyen d’être vus, comme avec la galerie d’essais, où tous les jeudis les artistes en herbe peuvent faire des essais avec leurs enseignants autour de questions curatoriales ou d’accrochage. Elle prévoit même de mettre en place un workshop autour de ces questions. La professionnalisation des étudiants lui tient à cœur : par exemple, sur les médiations, qu’elle veut densifier et qui leur fournira une expérience professionnelle rémunérée. 

Tout ceci, elle veut le faire grâce à un management horizontal, en écoutant les idées de son équipe et en mettant des choses en commun. Il en va de même pour ce quelle prévoit en direction des enseignant.e.s, afin que celles et ceux qui le désirent puissent tisser des liens autour des questions pédagogiques, des workshops ou des ateliers. Toujours dans le prolongement de son prédécesseur.

Faire Monde laisse rêveur… Croisons les doigts pour que Marie-Ann Yemsi puisse développer toutes ses idées. Dans une période de repli, elles font du bien. Mais elle s’installe à un moment où les budgets de la Culture sont serrés et où la Ministre veut fermer certaines écoles d’art, afin de ne garder que « des écoles performantes, avec les mêmes chances de réussite, et la même ouverture pour tous« . On ne peut qu’être inquiet, car qu’est-ce que la performance et la réussite en art ?

Rens: villa-arson.fr

photo : Marie Ann Yemsi © Daniel Nicolaevsky Maria

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