René Corbier : un bâtisseur au service de la Culture

René Corbier : un bâtisseur au service de la Culture

René Corbier a récemment quitté la direction de Scène 55 à Mougins. Ce grand serviteur du service Public et de la Culture continue pourtant d’accompagner de jeunes créateurs, de transmettre, de rendre possible des aventures humaines… Son regard aigu, son exigence, son désir de rendre accessible une création de qualité au plus grand nombre, son accompagnement bienveillant des acteurs culturels en font un exemple pour tous ceux qui ont eu la chance de le côtoyer, et pour tous ceux qui bénéficient de son expérience. Nous l’avons rencontré

Les débuts

René Corbier a suivi une double formation lors de ses études : Philosophie à l’Université de Lyon, en même temps qu’un diplôme de l’Institut de Sciences Politiques. Parallèlement, il entame une formation continue qui débouche sur un diplôme d’État, le DEFA, couvrant à la fois les secteurs culture, jeunesse et social. Tout ceci pour travailler à l’articulation entre conception de projets et travail sur le terrain. Toute sa vie, il s’est efforcé, consciemment ou non, de construire un projet professionnel qui respecte ces deux objectifs-là. Sa conception du Service Public et de la Culture donne déjà toute la dimension exceptionnelle de son militantisme et de son empathie.

Il débutera sa carrière en intérim à Monaco, à la direction de la jeunesse et de la culture, dont il garde un bon souvenir et des amis. Au bout d’un an, au cœur des années 70, il intègre son premier « vrai poste » au Syndicat intercommunal des Campelières (Le Cannet, Mougins, Mouans-Sartoux) jusqu’à en devenir progressivement le secrétaire général. Il y restera 8 ans. Il reconnaît aujourd’hui y avoir pris beaucoup de plaisir, et y avoir énormément appris, n’ayant alors aucune expérience de l’administration municipale. Il a notamment suivi et conduit la construction du gymnase des Campelières, réorganisé l’enseignement sportif à la piscine et accompagné le développement d’activités socio-éducatives. Il y a aussi créé le FIMCA, Festival international de Marionnettes et formes animées, sous forme de biennale, avec un grand succès. 

L’arrivée sur la Croisette

Nous sommes en 1983. Un jour, il reçoit un appel qui comptera dans sa carrière. François Erlenbach, alors directeur de cabinet d’Anne-Marie Dupuy, maire de Cannes à l’époque, lui fait une proposition : créer une direction de la culture à la Ville de Cannes. 

Il existait alors sur la Croisette une bibliothèque qui dépendait de la Direction Générale des Services, une modeste école de musique dans des préfabriqués au Palm Beach, et le Musée de La Castre. Mais aussi un Office Municipal de la Culture (OMACC) destiné à conduire des projets comme Les Nuits du Suquet, Les Nuits de Lérins, ou le Festival de Café-Théâtre avec l’inoubliable Jean-Pierre Carriau, dont il prend la direction et lance une réorganisation, dans une période où beaucoup de villes faisaient de même, sous l’impulsion de Jack Lang. Petit à petit, il transfère tous les services de l’OMACC, qui était une association, aux services municipaux, créant cette fameuse Direction et dans la foulée – entre autres événements – le Festival de danse, aujourd’hui géré par le Palais des Festivals et qui s’est considérablement développé sous la direction de Brigitte Lefèvre, puis de Didier Deschamps.

René Corbier œuvre à la mise en place de cette Direction de la Culture jusqu’à l’élection de Michel Mouillot à la mairie. Il est amené à poursuivre avec lui jusqu’à ce que celui-ci quitte ses fonctions et laisse sa place à l’ambassadeur Delaunay, avec qui René travaillera aussi. Quand Bernard Brochand est élu, contre toute attente, et comme les fois précédentes, René est reconduit dans ses fonctions. Il en garde un très bon souvenir, car pour lui, Bernard Brochand aura été un maire formidable, qui a restructuré la ville, l’a redynamisée, l’a rendue plus saine et a été à l’origine de beaucoup de grands projets qui l’ont transformée. Même s’il reconnaît que travailler avec lui n’était pas un long fleuve tranquille, il ne peut s’empêcher de l’avoir trouvé exigeant et visionnaire. 

Made in Cannes

C’est à cette époque que René Corbier commence à programmer. Pour lui, il y avait une place à prendre à côté de celle du Palais des Festivals, très grand public, avec des tournées internationales de qualité. Le voilà donc également chargé par la Ville de créer un lieu de proximité pour un public azuréen curieux. Plusieurs conditions sont posées par le maire Bernard Brochand : qu’il soit situé à La Bocca, au Théâtre de la Licorne, que René Corbier en assure lui-même la direction artistique, et qu’il soit accessible au plus grand nombre avec des prix très réduits. Tout le monde le donnait perdant, prétextant que les talents formés à Cannes ne suffiraient pas, et qu’au bout de 2 ans les possibilités de programmation s’épuiseraient. Que nenni, le label Made In Cannes durera 13 ans ! 

On n’aura jamais vu un directeur de la Culture aussi présent dans les salles de spectacle et les musées de la région, voire au-delà. Il pouvait assumer cette tâche, grâce à l’équipe adorable et compétente qu’il avait mise en place, reconnait-il. Il crée aussi un festival en direction du jeune public qui manquait alors cruellement. C’est la direction de la Communication de l’époque qui choisira un titre des plus original : P’tits Cannes à You.

Quand David Lisnard, ex-premier adjoint pour qui il avait beaucoup d’estime, est élu, il est le cinquième maire que René Corbier voit passer depuis son arrivée à la Direction de la Culture. Il décide alors de faire valoir ses droits à la retraite. Au bout de 30 ans à ce poste, il avait besoin de faire une pause, après une carrière de bâtisseur bien remplie. Et de laisser la place à un(e) directeur(trice) plus jeune pour porter les projets de la nouvelle administration.

Une retraite plus qu’active

Mais la Culture et l’envie de bâtir ne le lâcheront pas. Et cette fois, c’est Nicole Bourret, Présidente de l’association Logis des Jeunes de Provence, qui tient une résidence de 200 chambres pour jeunes travailleurs au centre de Cannes, l’Espace Mimont, qui le contacte. L’objectif : venir renforcer son conseil d’administration. Il propose alors de créer des résidences de création artistique, car ce lieu avait tout pour : chambres, petite salle de spectacle et studio de danse de 200 m2. Le projet est accepté à l’unanimité. René Corbier va chercher les financements, et à l’époque, la DRAC et la Région soutiennent le projet. Rejoints plus tard par le Département et la Ville de Cannes. Il faut dire que cette dernière, qui participait au financement de l’Espace Mimont, était déjà partenaire. L’espace continue d’accompagner les jeunes compagnies : chaque année, une douzaine, principalement de la région, est accompagnée financièrement, est logée et bénéficie d’un espace de création.  De nombreuses rencontres se font aujourd’hui encore entre ces compagnies et les jeunes travailleurs vivant à Mimont. Depuis, René Corbier en est devenu le vice-président.

On se dit alors que la retraite est enfin, vraiment, méritée… Mais, six mois après la fin de cette aventure, le maire de Mougins, Richard Galy, que René avait croisé lors de réunions du conseil d’administration de l’École de Danse de Rosella Hightower Cannes-Mougins et avec qui il avait sympathisé, lui demande d’être conseil pour la construction d’une salle de spectacle. Et lorsqu’il prend connaissance du projet, il est séduit. Il accepte alors de travailler aux côtés de Richard Galy et de son adjoint à la Culture, Michel Bianchi, pour trouver un nom à cette nouvelle scène, une identité, former son équipe, car il y avait là une douzaine d’employés municipaux novices dans ce secteur. Et quasiment tous sont aujourd’hui encore à leur poste ! Même si travailler avec toutes ces personnes était un plaisir, René Corbier n’y est allé qu’à condition que l’on respecte certaines exigences éthiques et professionnelles. Confiance totale. Son expertise dans le spectacle vivant, son intérêt pour la danse et pour le théâtre de marionnettes, ont fait le reste. C’était en 2015, il avait accepté de venir aider 6 mois… Il en repartira seulement fin 2024 ! Belle période, pour un bâtisseur de sa trempe que de trouver une page blanche, et de pouvoir engager tout son savoir-faire et son énergie pour « construire » un bel outil comme Scène55, labellisé Scène conventionnée d’intérêt national en 2021, après seulement quelques années de fonctionnement… et malgré la Covid.

L’art d’être grand-père

René Corbier a certainement été un des directeurs de la Culture du Sud Est qui a vu le plus grand nombre de spectacles, curieux et friand qu’il était de tout ce qui pouvait être vu ou entendu. Chose plus rare qu’il n’y paraît. Grand serviteur du Service Public et de la Culture, il a fondé, avec son épouse, une famille de militants au service des autres. Unis depuis 1974, après son service militaire, ils s’étaient rencontrés à Sciences Po. Il aime à dire que son épouse est son double, car il a une grande confiance en son jugement, son regard, son goût artistique. Il travaille pratiquement en équipe avec elle. Même si, bien entendu, celle-ci a eu sa propre carrière :  dans les hôpitaux, les congrès, puis auprès de la direction générale du Festival de Cannes pendant 7 ou 8 ans, avant de finir son aventure professionnelle avec la Cie Arketal, qui vient de cesser ses activités. 

Ils ont eu trois fils qui tous travaillent pour le service public, avec ce fond humaniste et culturel qui est le véritable sceau de la famille. Son fils aîné, François, administrateur territorial, qui, après avoir été Directeur Général des Services de la Ville de Dunkerque pendant 7 ans, a été appelé par la Ville de Bordeaux où il est devenu DGS et a pu constituer son équipe et une nouvelle direction de la Culture. Il a trois filles, que René Corbier va souvent visiter. Car il a découvert un art : celui d’être grand-père, ce qui le comble et pourrait même lui faire oublier sa vocation de bâtisseur. Le plus jeune, Jean-Baptiste, est Conservateur des bibliothèques à Lyon, en charge du pilotage de toutes les médiathèques de l’ouest de la ville. Homme de livres d’une grande exigence, il vient d’avoir une petite fille, un nouveau ravissement pour René Corbier. Quant au cadet, Vincent, père de deux enfants, juriste, il a choisi de rester dans notre région, puisqu’il est directeur des affaires culturelles de Mouans-Sartoux, et en charge du fameux Festival du Livre. Avant cela, il s’était illustré à la Délégation Musique et Danse du 06 avec une patte particulière qui a permis aux musiques actuelles de se développer. 

Un bilan de bâtisseur

René Corbier est un homme rare. Personnellement, il m’a aidé à communiquer avec l’Administration, au temps de ma « période punk ». Il m’a permis d’organiser des concerts assez agités, à une époque où Nice vivait sous une chape de plomb. Il soutenait la MJC Picaud, mais il lui a fallu beaucoup de patience avec ses dirigeants, et avec moi, pour que des événements puissent s’y tenir. René Corbier a toujours transmis, a toujours veillé à organiser des tours de table, à dégeler les rapports et faire du lien. Et la Culture, qu’est-ce d’autre si ce n’est du lien social ? N’est-elle pas le fondement de notre République ? Il est un exemple pour toutes les générations qui ont eu la chance de travailler avec lui. Il est rare de nos jours qu’un fonctionnaire ait autant marqué son époque. C’est bien ce qui manque dans moult domaines de nos jours : l’abnégation, l’éthique, l’humanisme, la créativité, la détermination. Il aura bâti une direction de la Culture à Cannes, aidé à créer et à implanter à Cannes l’ERACM (École Régionale d’Acteur), réorganisé les Musées de Cannes, consolidé l’Orchestre de Cannes, accompagné la labellisation comme Conservatoire à Rayonnement Départemental Musique-Théâtre de l’école de musique, créé le label Made In Cannes, le festival P’tits Cannes à You, fait sortir de terre Scène55 à Mougins… 

René Corbier est un bâtisseur, mais il a aussi été un tuteur pour nombre de jeunes créateurs ou d’acteurs de la Culture. Ses résidences à l’Espace Mimont en sont la preuve : il n’a jamais oublié ni la jeune création ni les publics en difficulté. Car ce progressiste a toujours veillé à l’équité, à l’accessibilité à la Culture et aux services publics en général. Avec sa femme, il est parvenu à donner ce goût du service et du collectif à ses propres fils. Avec toujours la même joie de transmettre. D’ailleurs quand Pierre Caussin lui a succédé à Scène55, René Corbier était heureux de voir qu’il allait apporter une autre dimension à la salle, et ferait certainement passer les frontières du département à ce lieu par une autre méthode de travail. Il a trouvé une équipe sereine et en place, qui lui permettra de s’appuyer sur le travail de son prédécesseur et développer cet outil exceptionnel. 

René Corbier, c’est la longévité faite homme, c’est la promesse de pérennité et de sérénité pour les projets qu’il a mis en place. Il ne s’est jamais accroché à un fauteuil, n’a jamais rien lâché de son exigence de qualité pour le plus grand nombre, dans le droit fil d’hommes de culture tels que Jean Vilar et d’André Malraux. Souhaitons qu’il puisse encore longtemps donner des coups de pouce, peut-être avoir encore quelques coups de génie, avec cette bonhommie, cette efficacité et cette éthique légendaires. Serein, il se consacre désormais à des activités de consultant dans les domaines de la Culture et de l’emploi artistique.

photo : René Corbier © Jérémy Guido

Tags: