Cannes donne carte blanche à l’humour

Cannes donne carte blanche à l’humour

Dans le cadre de Terrasse On Air, l’événement cannois qui rassemble une ribambelle d’artistes tout l’été sur le toit-terrasse du Palais des Festivals, le festival Performance d’Acteur a eu carte blanche pour deux soirées. Au programme : Alex Jaffray, le 30 juillet, et Alexis Le Rossignol, le 4 août.

Il est depuis 15 ans le chroniqueur musical le plus spirituel de la télévision publique, dans l’émission Télématin, il est aussi compositeur et producteur, mais aujourd’hui, c’est sur scène qu’on le découvre. Alex Jaffray est un passionné de musique, vous l’aurez compris. Et ce qu’il aime particulièrement, c’est la raconter, pointer ses travers, en narrer les savoureuses anecdotes, bref, en rire.

« Le musique a parfois mauvaise réputation. Rapport à… la drogue. Prenez Keith Richards, le guitariste des Stones : le mec s’est quand même tartiné le pif avec la moitié de la production annuelle de Colombie et il est toujours là, mais, en même temps, on ne peut pas le blâmer ! Eh vous savez quel âge ont les Stones lorsqu’on additionne leurs âges ? 294 ans, la Tour Eiffel, elle en a 130 ! En même temps c’est normal qu’ils se droguent, il faut bien supporter leurs propres conditions : en 50 ans de carrière, ils ont fait 48 tournées mondiales, ce qui revient à 40 villes par tournée, sans compter les passages télé et les 550 concerts privés. Bref, ce sont au total 2470 concerts et à la fin de chaque concert, ils jouent le même morceau ! « Satisfaction ». À un moment donné, obligé, tu te drogues… Sauf que, lui, quand tu lui demandes combien de fois ils l’ont joué, il te répondra « juste 5 fois »… Non, la drogue n’a pas que des inconvénients… » Voilà un peu l’état d’esprit du bonhomme.

Alex Jaffray a signé des musiques de films, de séries, de génériques… C’est un mec du sérail, il sait de quoi il parle ! Son spectacle Le Son d’Alex constitue une véritable encyclopédie de l’Histoire de la musique. Très documenté, on y découvre notamment les bonnes vieilles habitudes du plagiat, heu pardon, des inspirations, notamment dans la très classieuse Grande Musique. Prenez John Williams, celui qui a pondu le génial générique de Star Wars. Eh bien, écoutez Crimes sans châtiment écrit par un certain Wolfgang Korngold 42 ans plus tôt… Et remontez encore d’un demi-siècle, et vous tomberez sur le thème de Manon Lescaut de Puccini. Ni vu ni connu !

Accompagné d’un sampleur gavé de musiques, et alignant les vannes pour nous faire voyager de la Préhistoire à Pierre Bachelet, des Daft Punk à Booba en passant par Bach, Morricone ou encore Maître Gims, vous allez enfin comprendre pourquoi la musique est un métier d’escroc. Ce n’est pas moi qui le dis, je tiens à le préciser ! D’ailleurs, les DJs et les braqueurs de banques n’utilisent-ils pas la régulièrement la même phrase, nous indique-t-il très justement ? « Put your hands up in the air, Put your hands up in the air… »

Quelques jours plus tard, c’est à un autre échappé du service public que vous aurez à faire ! Vous avez peut-être déjà entendu La drôle d’humeur d’Alexis Le Rossignol, dans l’émission de ce cher Nagui, La Bande Originale, sur France Inter. Lui, c’est le bonhomme attachant, le loser magnifique, le « boy next door », la verve en plus. Garçon un peu à part, un peu singulier, un peu naïf aussi, il a vécu des histoires improbables et a longtemps cherché sa voie. Alexis Le Rossignol, c’est ce copain qui subit la vie, mais qui s’en sort toujours. L’air de rien, derrière sa nonchalance et son air désabusé, ses textes sont truffés de petites trouvailles et de références à la vie moderne, à ses excès et ses travers. Bon, et comme la plupart de ses compères de la vanne sur Inter, il est plutôt engagé (à gauche), ce qui n’est pas pour nous déplaire !

Le 9 mai 2019, CNews a écrit à son sujet: “de digressions en digressions, il a l’art de sublimer le quotidien de son humour délicieusement absurde”. Bon, CNews ce n’est pas Télérama ou La Strada, mais ça donne une idée. D’ailleurs, la production nous indique dans l’oreillette que « le spectacle n’est pas composé uniquement d’humour délicieusement absurde. Il y a aussi pas mal d’humour délicieusement fin et un peu d’humour délicieusement trash« . Et du trash, ça fait toujours plaisir.

Quand on vous dit qu’Alex Le Rossignol est singulier, ce n’est pas seulement pour son patronyme qui a dû le faire galérer lorsqu’il fréquentait les bancs du collège Abbé-Pierre, à Nueil-les-Aubiers, obscure petite ville des Deux-Sèvres. Ses habitants sont appelés les Nueillaubrais, mais là on se fiche en fait. Il est singulier parce qu’il représente une certaine idée de la France, celle de Province. C’est un mec comme vous (du moins, vous, messieurs) et moi. D’ailleurs, il a passé son confinement dans son Bocage natal, chez ses parents, en toute simplicité, où il a notamment réalisé quelques vidéos sympas (voir ci-dessous) et imaginé quelques tutos pour fabriquer son propre papier toilette, ou trouver la meilleure manière d’enfiler ses vêtements, compilés dans un Confinement pour les nuls.

Alors, certes, ces deux gars ne s’appellent pas Jean-Marie Bigard ou Gad Elmaleh (bien que ce dernier en connaisse un rayon en termes de plagiat), ils ne sont pas encore des « têtes d’affiche », mais est-ce vraiment nécessaire pour se payer une bonne tranche de rigolade ?

(photos : Alex Jaffray © Franck Harscouet / Alexis Le Rossignol © DR)