
03 Nov Opéra de Nice : la différence, c’est l’ouverture
Bertrand Rossi est un homme de défi, mais aussi d’ouverture : à la modernité, au populaire, à la jeunesse, à la diversité, à l’excellence. Il est un directeur d’un opéra 2.0 qui cherche à ce que l’institution niçoise devienne un lieu de partage, un lieu de vie, ouvert à toutes et tous, de tous âges et toutes origines. Que les créations qu’il programme puissent entraîner le débat le rassure, car il sait que le public niçois est curieux, et l’histoire de la maison Rue Saint-François de Paul en atteste… Nous l’avons rencontré.
Ambition, audace et diversité
Depuis son arrivée fin 2019 à la tête de l’Opéra de Nice, la priorité de Bertrand Rossi n’est autre que d’aller chercher de nouveaux publics, tout en préservant son socle de mélomanes fidèles. La programmation d’Akhnaten, le célèbre opéra de Philip Glass, en ouverture de la saison lyrique, du 12 au 16 novembre, est un symbole dans cette stratégie d’ouverture. Il avait commencé par comparer les chiffres d’affluence de l’Opéra de Nice avec ceux de l’Opéra de Strasbourg qu’il dirigeait, alors qu’il se préparait à revenir à Nice, sa ville d’origine, dans l’établissement où son père fut directeur administratif. Constat : Nice, 5e ville de France accueillait deux fois moins de public que Strasbourg, la 8e. D’après lui, ce déficit ne vient du fait que les Niçois n’aiment pas l’Opéra, mais qu’ils le connaissent mal… Il a donc choisi de ne pas être un directeur prudent et de se couvrir avec une programmation « bien comme il faut », où les Puccini, Verdi et autres Mozart pullulent… « Il y a 60 000 titres du répertoire lyrique, et on joue toujours les 80 mêmes ! ».
Attiré par la musique du 20e siècle et la création du 21e, il a choisi Philip Glass – plutôt que Stockhausen, Berg ou Schönberg, plus difficiles d’accès – car il réunit modernité et classicisme. Il est l’un des premiers compositeurs américains à avoir codifié le genre de la musique répétitive et minimaliste, pendant qu’en Europe, l’atonalité évoluait sous la houlette du pape français de la musique contemporaine : Pierre Boulez. A ce propos, Pierre Rossi a une anecdote croustillante sur la rencontre entre les deux hommes : Boulez invita Glass à l’IRCAM. Mais personne ne « parlait » au compositeur américain, qui reconnaissait faire une musique différente. Boulez lui rétorqua qu’il n’était pas dans le temps, dans la musique qui se faisait alors. Et Glass lui demanda en retour s’il était venu une seule fois se rendre compte de la direction qui était prise aux USA, car « je ne suis pas le seul, il y a Steeve Reich qui fait aussi de la musique minimaliste et vous ne connaissez pas cette musique-là. Je vous invite à venir la découvrir. » Boulez ira et donnera sa « bénédiction ».
Quand on est à la tête d’un tel opéra, il faut tenir compte de l’identité du territoire avant d’accompagner le public vers autre chose. Bertrand Rossi admet que le public niçois ne connaît pas Aknathen, qui sera joué pour la première fois à Nice. Mais il considère que c’est un risque limité, car « on peut en retenir les airs. C’est une musique tellement lyrique, tellement forte, que lorsque l’on est dans la salle, on est comme sous hypnose en l’écoutant ». D’ailleurs, lors de la présentation des maquettes du metteur en scène, il a eu envie de dépasser la dramaturgie et la technique, en proposant quelques minutes d’écoute de la scène du couronnement au personnel de l’Opéra. Silence incroyable dans l’assemblée, tant la musique les a emportés… « Quelques jours après, je croise le chef accessoiriste dans les couloirs de la Diacosmie, qui me dit : ça m’a tellement bouleversé que je n’écoute que du Philip Glass !«
Bertrand Rossi se rappelle que, dans les années 80 et 90, l’Opéra de Nice innovait déjà avec des œuvres difficiles de Richard Strauss, un Woyzec très moderne de Berg, le Secondato d’un certain Tedesci, et provoqua des sommets de polémique avec les Vêpres siciliennes de Verdi transposé à l’époque mussolinienne ou Les maîtres chanteurs de Nuremberg de Wagner en pleine montée du nazisme. Mais il sait donc que le public niçois est un public averti, qui sait découvrir. Quant aux polémiques, elles sont indispensables pour avancer.
Cette programmation innovante est aussi une manière de faire rayonner la maison niçoise au plan national, voire international. « Cette ouverture est mon dada, car j’aime la vie, j’aime l’opéra et j’aime les gens. J’ai envie d’attirer le plus de monde possible vers cet art qui est génial, qui est un art populaire, où l’on peut gueuler, où l’on peut aimer, « jeter des tomates » dans la salle… Il faut savoir, et ça c’est de l’Histoire, que c’est au Théâtre National de la Monnaie à Bruxelles, pour l’opéra d’Auber, La Muette de Portici, qu’a débuté la Révolution belge et la scission entre Flamands et Wallons ! L’Opéra n’est pas ce lieu élitiste que l’on décrit parfois. Ça a toujours été un lieu de vie et de débats où toutes les classes sociales et toutes les cultures se retrouvent. »
L’Opéra aime la jeunesse
Les nouveautés ne s’arrêtent pas à la programmation lyrique, et cette volonté d’ouverture concerne aussi les jeunes. C’est la raison du partenariat avec l’Université Côte d’Azur (UCA), soutenu par Julien Gartner (Directeur des affaires culturelles de l’UCA) et Sylvain Lyson (vice-Président de l’UCA et Président de la commission culturelle). Bertrand Rossi souhaite que les universitaires et les étudiants se sentent chez eux, et pour éviter le côté « impressionnant » du lieu, a voulu désacraliser l’Opéra en le transformant en « BU« , en bibliothèque universitaire. Les étudiants pourront ainsi y travailler en musique, chaque loge devenant un bureau, avec wifi, lors des répétitions. L’Opéra se déplacera aussi à la bibliothèque de St Jean d’Angely et à Valrose, pour quelques sessions musicales. « On a vraiment envie de créer ce lien entre l’Université et l’Opéra. »
Ce partenariat lui permettra de mélanger les genres pour ouvrir encore plus l’Opéra, qui mêle de façon exquise tous les arts : la peinture, le théâtre, la musique, la danse… « Je voudrais que ça se sente, et que l’on accueille tous les styles de musique. C’est pour ça que nous avons trouvé avec l’Université ce concept : Hip-Hop Opéra« . Il est question ici de produire, après une résidence avec l’Orchestre et le Chœur de l’Opéra, un pianiste urbain sur scène. L’association Panda Events sera partie prenante pour produire l’artiste Sofian Pamar. L’arrangeur pour les partitions a été choisi par l’Opéra, et deux rappeurs très en vue sont attendus ! Dans le même ordre d’idée, l’hommage à Camus que la ville de Nice rend au mois de novembre donnera l’occasion de voir et d’écouter Abd Al Malik, qui fera une lecture avec l’Orchestre de l’Opéra et son Chœur (voir article en page 9).
Les scolaires de tout niveau seront aussi de la fête, dans le cadre de l’opération 100% culture à l’école lancée par la ville de Nice. « J’avais envie d’accompagner ce processus-là en ouvrant, par exemple, les répétitions d’opéra, de symphonique et de ballets à toutes les écoles de Nice. » Les enfants travailleront en amont sur ce qu’ils verront et entendront, puis découvriront comment se déroulent des répétitions, comment on monte un spectacle… L’idée étant de tisser des liens dans le but de leur donner goût à la musique classique.
Les tout-petits bénéficieront aussi de cette ouverture lors des sessions Viens avec ton doudou, rencontres musicales entre plusieurs dizaines d’enfants, leurs parents et un chanteur ou un musicien. Des musiciens à corde ont ouvert la saison et les séances suivantes ont déjà été doublées face au succès rencontré. La même chose est prévue pour les ados avec Viens avec ton smartphone, une occasion unique pour ces jeunes gens d’enregistrer, filmer, photographier, et partager sur les réseaux sociaux la rencontre avec des interprètes d’Akhnaten : Julie Robard-Gendre (Nefertiti) et Fabrice Di Falco (Akhenaton). Décidément, il souffle un vent de modernité sur l’Opéra de Nice !
UN SOUFFLE DE MODERNITÉ LYRIQUE
Le registre de la modernité est convoqué dès le premier opéra de la saison avec Akhnaten de Philip Glass, où scènes historiques de l’Égypte ancienne rencontrent musique minimaliste de la fin du XXe siècle. La musique de Glass appartient à l’école minimaliste. Toutefois le langage mélodique extrêmement varié du compositeur confère à la partition une grande théâtralité. À la direction musicale, le public niçois retrouvera Léo Warynski, spécialiste de la musique contemporaine, et Lucinda Childs à la mise en scène et chorégraphie, elle-même associée à la mouvance artistique minimaliste (en 1976, elle avait d’ailleurs participé à la légendaire production d’Einstein on the Beach à Avignon). Le rôle-titre du pharaon est interprété par le contre-ténor Fabrice di Falco, sa femme Nefertiti par la mezzo Julie Robard-Gendre, alors que Dísella Làrusdóttir incarne la Reine Tye… Troisième volet d’une trilogie consacrée à des hommes remarquables, qui comporte Einstein on the beach et Satyagraha, Akhnaten, créé à Stuttgart en 1984, retrace le règne du pharaon Amenhotep IV qui créa une religion monothéiste deux siècles avant Moïse, en imposant le culte exclusif d’Aton, le dieu-soleil, dont il se voulait le prophète et qui pour cela, prit le nom d’Akhenaton.
Akhnaten: 12 au 16 nov / session Viens avec ton smartphone: 7 nov 11h / Hommage à Camus avec Abd Al Malik: 13 nov 20h. Opéra de Nice. Rens: opera-nice.org
(photo Une : Bertrand Rossi © Dominique Jaussein)