Le Jardin des Possibles

Le Jardin des Possibles

Trop souvent les mauvaises nouvelles font la Une des médias ! Alors voici une action heureuse, généreuse et créative, initiée par Phenix Lab, association spécialisée dans les projets street art participatifs et qui tente de donner une autre image de la lutte contre la maladie d’Alzheimer.

Sous la houlette d’Olivier Dalban, entouré d’une équipe d’experts, et en collaboration avec l’équipe de l’Institut Claude Pompidou, une murale baptisée Le Jardin des Possibles, aux couleurs de Matisse et de l’azur de Klein vient d’être inaugurée dans les jardins de l’institut. Deux ans ! C’est le temps qu’il a fallu pour l’achever, en raison des contraintes sanitaires… Olivier Dalban avait fait les repérages et pris contact avec Olivier Charland et Cécile Gariépy, deux artistes québecois qu’il avait rencontrés lors de sa mission à Montréal en 2018, où il avait échangé avec de nombreux acteurs du Street art. Puis, c’est toute l’équipe de l’Institut qui s’est mobilisée – responsables de l’Ephad, du centre d’accueil de jour, ainsi que des chercheurs, dont le professeur Philippe Robert – se transformant en producteur, pour trouver les financements nécessaires au montage de l’opération. Durant toute cette phase de conception, c’est bien L’Art de faire Ensemble, devise de Phenix Lab, qui a été le fil rouge de ce projet atypique, une symphonie orchestrée avec l’aide précieuse de Laure Chantepy, coordinatrice de projets d’innovation sociale, pour faire le lien entre l’équipe créative et celle de l’Institut.

Alors, quand certains appellent à la haine et semblent monopoliser les grands médias, il est tellement émouvant de voir des gens se réunir et dépasser leurs compétences pour l’Art de faire ensemble, de soigner, d’accompagner, de participer… D’ailleurs, la murale a été réalisée par Olivier Charland, avec l’aide d’Olivier Dalban, mais aussi par de nombreux patients de l’Institut, le personnel aidant, les psychologues et même par des gens de passage, amis, comme le rappeur Meura_140 ou Adrien Di Russo, venus donner un coup de main juste pour la beauté du geste. Le tout a été mis en image par le collectif de vidéastes Sheper Crew dont nous avions fait le portrait dans La Strada n°331.

Nous nous devions de présenter ces équipes et ces créateurs tant leur travail donne plus que de l’espoir, mais le désir de faire ensemble, de lutter contre la maladie, de s’ouvrir aux autres, loin de la charité-business d’apparat, loin de cette époque violente et navrante. Il s’est réellement passé quelque chose de magique dans le jardin de l’Institut Claude Pompidou : un moment de grâce et d’humanité avec le talent et les lumières en plus.

Fondation Claude Pompidou

« C’est proprement ne valoir rien que de n’être utile à personne« . C’est en se basant sur cette maxime de Descartes que Claude Pompidou décide, en 1969, de créer une Fondation pour venir en aide aux enfants handicapés, aux personnes âgées et aux malades hospitalisés. Fille d’un médecin de campagne qui soignait gratuitement les plus pauvres, Claude Pompidou a toujours été sensible au sort de ceux qui souffraient et que la vie avait malmenés. Consciente que la seule initiative individuelle avait ses limites, elle décide de susciter un mouvement qui aboutit en 1970 à la création d’une Fondation pour les enfants handicapés, les personnes âgées et les malades hospitalisés. Elle souhaite notamment développer un bénévolat d’accompagnement le plus efficace possible, car il réunit des personnes qui sont formées, soutenues, et dont les interventions répondent à des règles éthiques clairement établies. Dès le début des années 1980, elle s’intéresse à l’émergence de la maladie d’Alzheimer. Elle mobilise alors sa Fondation et en 2001, s’ouvre le premier centre entièrement conçu et dédié à la prise en charge des malades d’Alzheimer.

Patient qui peint lors d’un atelier © Pr Philippe Robert

Aujourd’hui, 13 établissements accueillent plus de 1000 personnes (quatre maisons de retraite, deux centres spécialisés dans la prise en charge des malades d’Alzheimer, cinq centres de prise en charge d’enfants ou adultes handicapés, une maison d’enfants à caractère social et une école hôtelière). Le 10 mars 2014 est inauguré, à Nice, l’Institut Claude Pompidou, construit en partenariat avec le CHU de Nice, qui réunit sur un même lieu tous les domaines de compétence autour de la maladie d’Alzheimer : dépistage, prise en charge, accueil et soin, formation, information et recherche. Les quatre partenaires associés à la mise en œuvre de l’Institut Claude Pompidou – la Fondation Claude Pompidou, le CHU de Nice, la MF PACA – SSAM et France Alzheimer 06 – ont choisi d’institutionnaliser leur coopération et de garantir sa pérennité au sein d’un Groupement de Coopération médico-sociale de droit public pour organiser et développer la collaboration entre eux et avec le réseau santé social environnant au profit d’une prise en charge innovante des patients atteints de la maladie d’Alzheimer, faisant une large place à la recherche. Il faut savoir que la stimulation est une manière de lutter contre cette maladie et l’Art y tient de ce fait une grande place !

Phenix Lab

Initiateur de ce projet de fresque, Phenix Lab est un laboratoire de créativité et de recherche conçu pour faire renaître l’espace public par le biais de l’art. Alors, à travers des projets implantés dans les communautés, cette association utilise le street art pour créer du lien. Dans d’autres grandes villes étrangères, des mouvements similaires à cette structure existent et sont des exemples de réussite. C’est pourquoi Phenix Lab est convaincu de l’utilité de ses actions dans la Région Sud. Cette équipe pluridisciplinaire met en œuvre une méthode qui a fait ses preuves avec l’organisme MU, à Montréal. Elle organise des projets street art participatifs qui ont du sens, car ils sont conçus avec les citoyens et pour les citoyens, ce qui la différencie des autres types de projets street art qui sont, pour la plupart, de simples commandes.

Olivier Dalban, alias T-Kay, fondateur et président de Phenix Lab, s’est entouré d’une équipe d’experts avec lesquels il a pu réaliser ce projet, à mi-chemin entre l’art citoyen et l’art thérapie. Olivier Dalban a d’ailleurs longtemps œuvré dans l’associatif local, organisant des événements et des ateliers autour des cultures urbaines. Par le passé, avec son collectif SCB, il a également peint de grands murs aux Diables bleus, ou à Caucade, pour l’événement Les murs, un autre regard, organisé par la Ville de Nice en 2004. Il fut aussi l’un des cofondateurs de la peinture Strict Expérience, des bombes aérosol sans xylène ni toluène, fabriquées à Nice… Mais ce qui le motive par-dessus tout, c’est L’Art de faire Ensemble… Et c’est ce qui fait la force des projets Phenix Lab.

Cécile Gariépy & Olivier Charland

Lors de la réalisation de cette fresque à l’Institut Pompidou, nous avons rencontré Olivier Charland (olicharland.com), designer, plasticien, touche à tout génial. L’écrit ne peut pas restituer le délicieux accent ni ces raccourcis de langage propres au Québec. Mais sa fluidité, son ouverture d’esprit, sa poésie et son humour sont exceptionnels. Il est de cette nouvelle génération de créateurs qui ont su traiter de la dualité, entre technique traditionnelle et digitale. Le mixage des mediums a même initié au Québec un nouveau type de créations à mi-chemin entre design et art, qui permettent le développement d’un autre langage et qui ont su digérer les nouvelles technologies pour remettre l’artiste au centre de l’œuvre, loin des caricatures de geek qui trop souvent se contentent de suivre les outils informatiques plutôt que de les contrôler.

Olivier Charland se destinait à ce mode de création depuis l’adolescence. De 12 à 16 ans, de nature réservée, il marque sa présence sur les réseaux de gamer au Québec, où il est né il y a 32 ans. Peu à peu, il fait des sites web pour ses compagnons de « réseau »… Puis arrive la période où la rue devient son terrain de jeu. Il découvre les « murales », ces fresques qui lui permettent de s’exprimer sur les murs de la cité, où il entrevoit tout un monde plastique où liberté rime avec talent, puis il décide à la fin du lycée de faire une école d’art. Il subira plusieurs échecs pour entrer en Arts graphiques, et se « contentera » d’une formation en art… pour finir enfin par entrer en Arts Graphiques à l’université. C’est de cette formation diversifiée que lui vient le goût de « l’hybridation » entre technique digitale et traditionnelle, qu’il qualifie « d’analogue« , en référence au son. C’est ce qui lui a permis de faire aussi bien des vidéos, des logos que des murales ou des sites web. Son truc, c’est de mélanger les médiums, ne pas être inféodé à un outil, mais le « détourner » pour mieux le contrôler.

À sa sortie de l’Université, il a la chance de travailler pendant 2 ans avec un couple, Julien Vallée et Eve Duhamel (valleeduhamel.com). Leur style unique fait « exploser » leur société qui a pris peu à peu une ampleur considérable… Ce duo de designers, artistes, réalisateurs, a un style rafraîchissant, nouveau, parce que tout est « fait à la main« , tout est « dans la caméra » avec un minimum de post-production. Leurs réalisations sont pourtant bourrées d’effets spéciaux, un trésor de bricolage génial : fil de pêche pour l’animation, etc. C’est avec eux qu’il finira d’apprendre le métier.

Il choisit de se mettre à son compte, il y a environ 8 ans. Chose courante au Québec, où il n’y a pas cet ostracisme envers les plasticiens qui travaillent en agence. Ce mix entre différentes techniques et technologies donne une génération qui travaille sur toute la planète. Leurs leaders – Vallée/Duhamel ou encore Karim Zarifa (karimzariffa.com) – « jouent sur toutes les lignes. Je pense c’est cool d’avoir cette liberté, de ne pas être juste élitiste et de dire : je ne fais que de l’art, ou que du commercial, ou autre… On fait les projets qui nous plaisent, s’il y a un client au bout de la ligne, on s’en fout, ça ne fait que donner plus de moyens pour faire des choses intéressantes au lieu d’être toujours chez soi« , souligne Olivier Charland.

Olivier Charland au travail © DR

S’il est venu seul à la l’Institut Pompidou, il a travaillé à distance sur le projet avec Cécile Gariépy (cecile-gariepy.com), qui vit désormais en Australie. Ensemble, ils ont créé la structure Par Hasard (parhasard.ca). Car c’est par hasard qu’ils ont commencé à faire des murales ensemble ! Cécile finissait des études de cinéma à Paris et des amis d’amis leur ont demandé de peindre une sorte de centre d’hébergement pour personnes handicapées, qui à leur sens ressemblait trop à un hôpital. Cécile a commencé sa carrière comme réalisatrice de cinéma et de publicités, mais elle a rapidement été « saoulée par l’attitude macho du milieu. Jeune, elle n’était pas prise au sérieux. Elle faisait des pitchs excellents, mais on lui disait toujours : on a vraiment aimé, mais on préfère y aller avec un homme d’expérience… Elle s’est mise alors à dessiner et à diffuser ses dessins par les réseaux sociaux. Et là, bingo ! Les contrats ont commencé à pleuvoir et en particulier le premier : le New York Times ! » Par Hasard leur permet de mixer, au gré des projets, leurs deux styles : « personnages, trucs du quotidien très simplifié, très lisible, ultra clair, situation loufoque, ça dépend du projet… » Pour le projet niçois, ils ont choisi une inspiration « matissienne », en raison de son aspect ludique, plus adapté à des ateliers pour les patients et soignants participants.

L’expérience a appris à Olivier Charland qu’il était possible de travailler sans clients, juste pour le plaisir. Ce fut le déclic qui lui a permis de peindre. Et ce regain de liberté l’a poussé à faire concevoir aussi bien des meubles que des vidéos, entre design et expérimentation, mais toujours dans le même « esprit graphique, visuel et coloré ». Il est devenu un spécialiste de l’hybridation graphique, il a ce feeling particulier qui lui fait reprendre à la main ce qu’il a créé par ordinateur, redonnant ainsi de la fraîcheur au trait parfait de la machine. « On pourrait faire mes images en photo ou avec des logiciels 3D, ça serait encore plus propre, ça serait encore plus calculé. Mais je pense que faire à la main, essayer d’avoir une facture, entre digital et réel, ça change tout. On le sent, on le voit, même inconsciemment, il n’y pas besoin d’être un expert pour le percevoir. » Son travail pictural est abstrait, toujours dans ce dialogue entre numérique et réel. « C’est une gestuelle expressive, mais hypercontrôlée, une recherche de dualité entre le vrai et le faux, le contrôlé et l’émotif. » Ce qui compte pour Olivier Charland, c’est de tout mélanger, cultures comme techniques. Et le fait de travailler, non pas dans un musée, mais à l’extérieur, rend cela possible, d’après lui. Il souhaite que chacun puisse se réapproprier l’espace urbain, l’espace public et que tout le monde ait accès à l’Art sans élitisme aucun. « L’art n’est pas réservé à qui peut en faire. L’idée c’est de le partager.« 

Et la volonté de partager a trouvé là sa quintessence : voir des gens qui souffrent d’isolement sortir de leur « bulle », redécouvrir la couleur, peindre, sourire… Le petit jardin de l’Institut n’est plus le même, c’est Le Jardin des Possibles. Il a été visité pendant la réalisation de la murale par des publics scolaires et d’autres visiteurs du quartier. Le mélange, voilà le secret, non pas de la couleur uniquement, mais de la vie. Ni la distance, ni la maladie d’Alzheimer, ni la pandémie, ni les problèmes techniques, ni l’éloignement, ni la limite des compétences ne sont parvenus à empêcher cet élan collectif dans L’Art de faire Ensemble

Rens: fondationclaudepompidou.fr & phenixlab.fr

(photo : vue de l’œuvre Le Jardin des Possibles – Institut Claude Pompidou Nice 2021 © Pr Philippe Robert)

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