Black is Nice

Black is Nice

La Strada s’est parée en couverture de ce numéro, d’un créateur symbole des 80’s, tant par sa création que par ses références à la musique et aux idées de cette période. Il est vrai que le noir reste une couleur qui marque ceux que l’on appelait les « corbeaux » dans la période new wave, post-punk. Cette génération n’a pas de leaders charismatiques comme celle de 68. Elle n’a pas engendré non plus les monstres qui ont mis en place la fameuse « nouvelle communication » qui aurait pu être une merveilleuse façon de faire circuler les idées, mais qui en fait n’est devenue qu’une une machine à sous et une fabrique du mensonge. Qui aurait dit qu’un jour une partie de l’humanité serait « influencée », qu’elle ressentirait le besoin d’être « libérée » du choix par des fonctions mathématiques baptisées « algorithmes ».

Voilà une des raisons de notre baseline : le « pays des paradoxes », un pays, une Planète où les gens ne veulent plus de leur liberté et préfèrent être manipulés par des zozos qui racontent n’importe quoi sur le Net ou pire, qui leur vendent de l’inutile, voire du toxique. N’est-il pas inquiétant que l’on accepte d’être influencé ? On parlait de société individualiste, nous sommes parvenus à une société où l’ego s’efface devant les marques et les codes imposés par cette tribu de nouveaux communicants sans aucune compétence. Ils trouvent leur légitimité dans le nombre et osent comparer leurs résultats de manipulation marchande ou politique à la démocratie. C’est ainsi que, peu à peu, on n’arrive plus à distinguer le faux du vrai. Pire, on parle la novlangue. Comme dans 1984 d’Orwell, on parvient à donner le sens inverse à des mots : « la guerre en Ukraine c’est pour la paix« , « le travail épanouit« , rappelant ainsi des slogans morbides du nazisme inscrits aux portiques des camps… Des leaders nostalgiques du fascisme émergent çà et là. Ils mentent effrontément et parviennent à faire avaler une histoire révisionniste à des peuples totalement « sous influence »… N’a-t-on pas vu récemment des gens d’extrême-droite nous dire que la rafle du Vel d’Hiv’ était le fait de gens de gauche, passant sous silence leurs fondateurs collabos ? On en est arrivé à interdire aux femmes de disposer de leur corps, on les maltraite, on les nie dans une ambiance régressive inquiétante.

Don’t look up, le film devenu culte sur l’inconscience face à l’effondrement, Years and Years, la série sur l’arrivée d’une populiste au pouvoir en Angleterre, etc., sont autant de fictions effrayantes qui deviennent réalité dans les journaux télévisés diffusés par des chaînes d’information très orientées — ce qui au passage, notez-le bien, est formellement interdit par leur cahier des charges.

Alors la philosophie des 80’s, du « no fun, no futur » qui a permis à nombre de critiques d’insulter cette génération contestataire, traitée de dépressive, de punk, d’oiseaux de malheur, etc., cette génération qui rêvait d’avoir tort, constate avec effroi que ses idées de jeunesse deviennent réalité. Alors Verna montre ses dents métalliques, il est tatoué sur tout le corps et même sur le visage, il est habillé en noir et dessine la douleur, le sexe, l’amour, avec, toujours en tête que le noir est une couleur d’espérance, car elle est celle du deuil de l’avenir que toute cette génération sera prête à quitter quand le reste de l’humanité cessera de ne pas vouloir voir la vérité en face. Bien sûr les « saigneurs » qui dominent croient qu’ils pourront fuir dans l’Espace (comme dans le fameux Don’t look up), mais y croient-ils vraiment eux-mêmes ?

Il n’y a plus besoin de drogue, la stimulation de la fabrique de dopamine, cette hormone de la satisfaction est devenue le fonds de commerce des maitres du net. Les enfants sont addicts, on voit des gosses s’amuser à des tueries virtuelles devant un écran dans l’indifférence totale des adultes, qui leur tendent ces mêmes écrans pour avoir du temps pour « consommer tranquillement ». On préfère les jeux en réseau à la bagatelle, c’est grave… Le net, qui devait nous aider à créer du lien, nous isole sous l’influence des magnats qui le manipulent.

Alors, il ne reste qu’une solution : refuser la mise sous influence, refuser la confusion. Car comme le disait Hannah Arendt, la confusion est le fondement du totalitarisme. N’est-il pas en marche ? Dictature électronique, qui rappelle Les furtifs d’Alain Damasio : la Chine a ouvert le feu, et les dirigeants du monde entier commencent à la rejoindre. Philippe K. Dick, autre auteur visionnaire, expliquait qu’on installerait une matrice pour que le monde virtuel devienne notre réalité et que l’on ne se rende plus compte de la déchéance du monde réel. N’est-ce pas là ce que l’on appelle pudiquement la réalité augmentée ? Bien entendu tous ces progrès pourraient servir à autre chose, pourraient être des inventions positives si elles n’étaient le fait d’oligarques qui privatisent ainsi le monde réel, mais aussi virtuel. Parviendront-ils à privatiser nos rêves, nos désirs ?

Alors ce numéro s’inscrit en résistance : avec Jean-Luc Verna, qui porte fièrement le refus dans sa chair et nous inonde de ses dessins tendres ou provocants comme un cri pour que tout cela s’arrête et que la vie triomphe. En résistance avec Jean-Pierre Dick, navigateur qui veut sauver la Mer et former la jeunesse pour qu’elle puisse vivre sur — et défendre — notre Planète avant que les oligarques l’aient totalement pillée et détruite. Résistance avec Magali Revest, qui danse pour refaire société, pour éviter la novlangue, pour rappeler que danser est un rituel ancestral qui n’a besoin ni d’écrans ni d’informatique. Résistance avec la Fête du Livre du Var, qui après avoir lutté à ses origines contre l’extrémisme alors au pouvoir à Toulon, choisit de mettre à l’honneur René Barjavel, auteur visionnaire qui avait compris avant tout le monde les menaces de nos modes de vie pour le futur de la Planète et ses conséquences sur notre humanité. Résistance, parce que nous continuons à éditer un journal papier alors que tout est fait pour que l’information et la connaissance soient privatisées par ces mêmes oligarques qui possèdent les réseaux, mettant ainsi en marche l’horreur décrite dans Fahrenheit 451. Soutenez-nous, soutenez-les, nous pouvons tous encore refuser et freiner. Rappelons-nous que, de tout temps, les faux prophètes ont toujours jeté l’anathème sur les atypiques, les traitant de sorcières et sorciers dès qu’ils ne baissaient pas la tête devant les « saigneurs ». À la période d’Halloween, on comprend ainsi que Romero et ses morts vivants, découvrait déjà le futur : des zombis sociaux, sans domicile, dans la misère, errant on ne sait pourquoi, jugés comme inutiles, malfaisants par les nantis… La misère ne sera pas plus belle avec des lunettes 3D.