Quelle époque épique…

Quelle époque épique…

Le Carnaval et les parades sont de saison sur la Côte, vous en retrouverez des échos dans ce numéro : Carnaval officiel de Nice avec ses déclinaisons et ses animations, mais aussi son Carnaval indépendant, Fête du Citron à Menton, Fête du Mimosa à Mandelieu (page 24)…

Néanmoins, cette période qui s’ouvre aux parades de rue a aussi ouvert la voie à des parades, peut-être moins festives : nos rues recommencent à être peuplées de défilés de mécontents. La période est troublée et nous fait redouter une année difficile. Les élections américaines sont devenues tristement loufoques avec un leader complotiste, violent, vulgaire et inquiétant. Sa possible future élection est effrayante tant ses positions sont proches d’autres personnages autoritaires qui ne savent que faire la guerre en méprisant la valeur de la vie humaine. Adresser ses vœux pour 2024 avait un goût amer tant le climat, les guerres et l’inflation inquiètent tout un chacun. Ce qui est angoissant, c’est d’envisager un avenir pour nos enfants. Trop d’hommes politiques cherchent le clash et des coupables, au lieu de proposer des solutions. L’invective ne rend pas créatif, c’est bien là le problème.

La Culture reste à notre sens le meilleur moyen d’assurer le fameux « vouloir-vivre commun » cher à Ernest Renan. Le lien social n’est-il pas synonyme de culture ? Et l’on voit bien en cette triste période qu’elle est essentielle. Ce n’est ni Netflix ni l’Intelligence Artificielle qui nous aideront à nous retrouver physiquement, fraternellement. Ce monde annoncé par Marshall McLuhan, le fameux village planétaire où nous sommes tous « connectés » par le biais d’internet devient peu à peu un enfer, car les fabriques du mensonge sont légion, et aucun lien virtuel ne remplacera la présence de l’autre, dans sa chair et sa vérité. Aussi rien ne pourra supplanter cette expérience, à chaque fois unique, de rencontre et de partage que l’on peut faire au théâtre, dans un concert, une exposition, au cinéma, lors d’un débat…

Un petit billet d’humeur sur Hervé Koubi, programmé par les Ballets de Monte-Carlo et Jean-Christophe Maillot, en est un exemple : générosité, mouvement, prouesses physiques et surtout diversité ont suscité la joie d’être ensemble, de danser… de vivre tout simplement (page 11). Quand Gilbert Pedinielli, dont nous ne divulguerons pas l’âge avancé par coquetterie et respect, nous parle de « danser la ville », d’une cité plus humaine, d’une « nouvelle carrière » qu’il entame, on comprend qu’avec la Culture et la création, rien n’est jamais fini (page 14). Quand on lance un espace culturel à Grasse, Le Plongeoir, pour encourager le lien social et renforcer le « bien vivre ensemble », on s’aperçoit à quel point les créateurs et les diffuseurs de création sont essentiels pour que la liberté, l’égalité et la fraternité ne soient pas de vains mots (page 11). Non seulement ils sont porteurs de messages, mais ils permettent à des humains de se regrouper pour voir, entendre, comprendre, échanger et se rencontrer dans une réalité heureusement concrète et certainement pas virtuelle.

Alors, Vive les Carnavals et les parades de rue, pour retrouver la joie de faire la fête ensemble ! Et si l’on en profite pour exprimer ses craintes ou ses problèmes, pourquoi ne pas penser que c’est une autre façon de vivre ensemble qui fait aussi partie de la Culture ? Il n’y a rien de grave tant que la violence ne vient pas influer sur les actions ou les propos. Ce besoin de dire ensemble n’est-il pas naturel ? Ne permet-il pas de communiquer afin que se réinstaure un dialogue ? Car, tout compte fait, d’où viennent cette nouvelle tendance au clash, ces raisonnements binaires qui nous forceraient à toujours ne choisir qu’entre seulement deux options qui s’opposent ? La réalité est tellement plus complexe que la nuance reste essentielle pour mieux la comprendre.

On ne peut que rester coi face à certains médias où l’opinion semble remplacer l’information. Au lieu de cela, les plateaux TV et radios sont « squattés » toujours par les « experts » auto-proclamés qui développent une rhétorique la plupart du temps orientée. De sorte qu’il n’y a que cette élite qui débat et force le public à n’avoir qu’une seule solution : partager ou rejeter, sans forcément bien maîtriser le sujet, puisque les talk-shows remplacent les documents. Alors certains descendent dans la rue pour « agir eux-mêmes » : danser, faire la fête, protester, réagir… Y aurait-il un problème de participation dans notre société ? La stratégie du clash et de la polémique ne favoriserait-elle pas une frustration qui, on le sait, pousse à la violence ? Ces méthodes améliorent le taux d’écoute nous dit-on. Mais pourquoi n’essaie-t-on pas tout simplement d’informer, d’éduquer afin d’étendre le champ des possibles pour que chacun puisse se faire son propre point de vue ? 

Ne voyez pas dans ces considérations un angélisme béat. Mais plutôt une vérité essentielle : les nouveaux moyens de communication pourraient faciliter les échanges, le problème c’est qu’ils sont la propriété de quelques-uns qui ne voient que leur propre intérêt en piétinant l’intérêt général et notre humanité toute entière. La privatisation de certains services qui intéressent le collectif ne peut pas être une solution. On voit bien, en France, le drame de la concentration de 80% des médias dans les mains d’une poignée d’oligarques. On voit bien le danger des milices privées en Chine, en Russie, et ailleurs, qui ne pourront jamais remplacer la police au service de la sécurité des citoyens. Il est vrai que certains parlent tellement plus d’ordre que de liberté, de sécurité plutôt que de bien-être. Ce discours réducteur n’est-il pas le fruit d’une pensée délibérément simpliste qui ne s’encombre guère des besoins naturels et humains, certainement trop difficiles à prendre en compte pour ceux qui pensent ainsi ? À croire que le système binaire à outrance devrait régir nos vies : oui-non, pour-contre… Mais la vie est faite de nuances et non d’une arborescence informatique. À force de simplifier, on ne sait plus ce qui est juste, on finit par nager dans l’erreur ; pire encore, par y entraîner un nombre effrayant de pauvres gens si tant est qu’on a du pouvoir. Alors, faites la fête, sortez, rencontrez-vous. Vous verrez l’Autre n’est pas un ennemi, il a tant à vous apporter.