23 Mai Philippe Perrin is back again
Fort d’une carrière de presque 40 ans durant lesquels il n’aura jamais dérogé à sa démarche ni à son éthique, Philippe Perrin fait partie de ces artistes qui ont apporté un nouveau souffle à la scène niçoise dans les années 90-2000. Perrin, c’est du franc-parler, de la provocation, mais surtout la dénonciation de nombre de bugs sociétaux. Artiste plasticien, poète engagé des temps modernes, personnage « Bukowskien », prince de l’excès, roi du rentre-dedans et du frontal, il revient à Nice pour une exposition à la Galerie Eva Vautier et prépare un disque « rare » à La Station.
VIOLENCES SENTIMENTALES
J’ai rencontré, il y a près de vingt ans, Philippe Perrin, à l’occasion d’une biennale à Venise, dans le seul night-club de la sérénissime. Philippe m’a assailli, étourdi de paroles, complimenté puis contesté, tapé dans le dos amicalement puis maladroitement, involontairement il m’a carrément giflé avant de trop en faire pour être sûr d’obtenir un pardon explicite… J’ai alors commencé à regarder ce que proposait cet artiste encombrant et fougueux. J’ai découvert qu’il était fasciné par l’image des mauvais garçons. Il avait envie de les aimer, de les trouver beaux, son art sera de révéler le style show off du jeune homme de mauvaise vie, et cela sans peur des poncifs… Les images se veulent évocatrices d’un scénario éculé et fatal.
Pour établir sans ambiguïté sa sympathie pour ses héros il décide de les incarner et, tel un acteur de série B, avec humour et empathie, il les personnifie, les joue, les croit. Et, il arrive à ses fins, nous arrivons à avoir de la sympathie pour un boxeur de pacotille (photo 1), nous sommes prêts à suivre les aventures de Starkiller, héros de BD qui n’a pas froid aux yeux, sorte de James Bond sans foi ni loi derrière lequel se profilerait… Philippe Perrin. Il a même convaincu l’architecte que je suis de dessiner la maison de ce super « badman » : une folie de 400 mètres de long, en mer, accessible et évacuable illico presto par « cigarette 1000 chevaux », par hélicoptère ou, c’est la moindre des choses, par sous-marin personnel…
La fascination de Philippe pour les personnages et les signes du mal va croître et embellir les cimaises des rencontres d’art tous azimuts… La photographie raconte les histoires mais les objets aussi, toujours à la recherche du brutal raccourci d’une narration, d’un déclic visuel qui pourrait être le début ou la fin d’une fiction, Philippe a toujours une addiction pour le trop : alors, les calibres passent du millimètre au mètre ; les surins n’intimident plus en se plantant sur une table de poker mais sur les terrasses des piscines de la Riviera; les poings américains sont assez grands pour servir de collier d’esclave à des quintuplés quinquagénaires (ainsi devenus siamois !) ; la BM criblée de Jacques Mesrine est starifiée, clonée, travail de mémoire pour rappeler que la police française a une opinion claire sur l’adage « la fin justifie les moyens » ; le gramme de coke devient kilogramme pour planter et éterniser l’inoxydable lame Gillette (photo 2) devenue monument des camés ; la couronne d’épines (photo 3), plus objet de torture que jamais, rappelle le supplice du plus fameux des hors-la-loi…
Ne croyez pas que ces objets de violence pérennisés sont devenus inoffensifs, ils ont simplement changé de cible : ils visent le cœur.
Jean Nouvel
« Philippe Perrin est un personnage« , nous dit Éric Mangion, ex-directeur artistique de la Villa Arson et fraichement nommé à la tête du FRAC Occitanie. Pour lui, on ne montre pas un personnage. Il a raison, car Perrin ne fait pas de « monstrations », terme phonétiquement hideux et conceptuellement lâche. Perrin s’expose, au regard de l’autre, à la critique, aux balles et aux coups … Franc-tireur, comme le dit Jean Nouvel (voir texte ci-contre), il ne loupe jamais sa cible : le cœur de chacun, tant ses œuvres sont autant de punchlines poétiques et violentes pour dénoncer la machine à broyer qu’est devenue notre société. Perrin aime les résistants, les atypiques, les voyous, les boxeurs et tous ceux qui refusent de baisser la tête, comme lui. Il est l’illustration typique de la frilosité des institutions qui redoutent ceux qui osent, ceux qui déclenchent des prises de conscience, comme lui.
La Galerie Eva Vautier a l’ouverture nécessaire pour célébrer Fluxus comme propulser de jeunes créateurs. Avec l’exposition de Philippe Perrin, Back Again, elle rappelle que Nice a laissé filer une Nouvelle Vague, car sa planche de surf a été rognée, semble-t-il, par de vieux requins… Qui pourra la chevaucher de nouveau ? Perrin, comme Verna, Ramette, et quelques autres, restent des marqueurs de l’audace niçoise et, à leur manière, font encore briller la scène plastique de la cité des anges de leur exil lointain. Rencontre.
Comment l’art est-il arrivé dans ta vie ?
Je ne me suis jamais posé la question. Quand j’étais enfant, je dessinais déjà. J’étais créatif par tous les moyens : j’avais trouvé une guitare, j’en ai joué … J’ai toujours fait les choses comme ça. Je n’ai jamais décidé de choisir l’art, ni de faire l’artiste, ni d’entrer aux Beaux-Arts. Mais, je n’ai surtout pas eu d’autre solution que de rentrer à l’école d’art de Grenoble parce que c’était le seul endroit où on voulait bien m’accepter. Sinon, c’était le CAP de mécanique ou l’armée. Et même à l’armée, pour laquelle mes parents avaient essayé de me faire pistonner par un oncle, on ne m’a pas pris parce que j’avais de trop mauvaises notes à l’école. Donc, il restait le CAP de mécanique… Et donc je suis entré au Beaux-Arts très jeune, à 16 ans, parce que j’étais dans un lycée avec un prof génial, Pierre Casalegno, qui avait un état d’esprit très ouvert. Il était à la fois prof aux Beaux-Arts de Grenoble et dans ce lycée où à l’époque on tolérait exceptionnellement que je n’assiste qu’aux cours de dessin tous les jours, parce qu’il était clair que je n’irais pas en première. Je suivais aussi les cours de français parce que ça allait, j’aimais bien. Pour les autres, j’allais pointer. Je me contentais de signaler ma présence et je partais en salle de dessin. En fait, c’est finalement le lycée, auquel j’étais allergique, qui m’a aidé à préparer le concours de Beaux-Arts où j’ai pu entrer sans le bac à 16 ans, parce que c’était encore possible à l’époque. C’était l’unique solution pour moi d’être « dans la culture ». Mais j’aurais pu tout autant faire du rock de la même manière. Je jouais dans des groupes, je chantais… et j’ai toujours dessiné.
Ton ouvrage Starkiller, paru en 1991, démontre aussi chez toi un goût certain pour la littérature. D’où vient-il ?
Je viens de la ZUP d’Échirolles, une « banlieue » de Grenoble et d’une famille d’ouvriers où il n’y avait pas d’intellos. Mon père commandait des bouquins par correspondance entre deux lectures de San Antonio. Un jour, il a reçu un livre : Les Histoires extraordinaires d’Edgar Allan Poe. J’étais très jeune et ce fut le premier bouquin, vraiment, qui m’a fait comprendre beaucoup de choses, qui m’a fait délirer et m’a réellement donné ce goût pour la littérature. Ensuite, avec Candide, de Voltaire, qui te fait voyager, que j’ai lu quand j’étais môme, mais que tu peux lire à tous les âges. D’ailleurs, je le relis à peu près tous les 10 ans. C’est fantastique. On y trouve à chaque fois autre chose. Et en vieillissant encore. Et puis, entre temps, bien sûr, je me suis adonné à Platon et à quelques autres cagades, évidemment.
Quand j’étais ado, j’allais au musée de Grenoble le mercredi après-midi. Je préférais ça au Cinoche. En plus c’était gratuit et on n’avait pas d’oseille. Et surtout, j’adorais aller au musée. Je ne comprenais rien, je n’avais aucune « culture », seulement des sensations, des intuitions, comme quand je restais bloqué des heures devant des Monory ou des Soutine. Donc j’amenais les filles et les potes au musée. Et puis c’était vachement plus classe (sourire). Bien plus tard, alors que j’étais au Beaux-Arts de Grenoble et que je m’adonnais parallèlement à la boxe, il y avait le chef des gardiens du musée de Grenoble avec qui j’étais devenu copain depuis longtemps. Il se souvenait de moi. Ce mec-là me dit un jour : « J‘ai un livre pour toi… » Et, quelques jours plus tard, il m’offre un facsimilé des années 70 de la revue Maintenant d’Arthur Cravan (1). Là, je découvre Cravan et ça donne tout un sens à mon travail. J’arrive à faire un lien entre ma vie, l’art et la boxe. Et là, je commence à comprendre qu’on peut lier toutes ces choses et en faire une démarche. Mon œuvre est là : je lis ma vie, j’en fais des œuvres. J’ai trouvé le fonctionnement, j’ai trouvé comment je fonctionne. Et à partir de là, j’ai continué de fonctionner de cette manière. C’est vraiment le premier lien, le premier déclic. Même si avant, j’avais fait des choses intéressantes. Mais là, c’est le premier. Et la sculpture, la première installation, l’Hommage à Arthur Cravan, en 1987 je crois, à l’Orangerie de Grenoble.
En 1990, tu satures de cette posture et met fin à cette période axée sur la boxe, qui dura deux ou trois ans, par une exposition au titre explicite, Mon dernier combat, qui s’est déroulée simultanément dans deux villes très différentes : Moscou et Rennes.
L’exposition à Moscou était une exposition privée montée sans subventions au moment où la perestroïka battait son plein et où il n’y avait jamais eu d’exposition privée. « A l’époque, on avait pu obtenir l’utilisation du Gymnase de l’École Spéciale N° 73. C’était encore un peu le communisme et son fonctionnement était basé sur le troc : il a fallu échanger 10 000 ou 100 000 seringues par un labo pharmaceutique avec un partenariat d’Air France pour le transport. Ce mix entre troc et sponsoring ne fut pas une mince affaire…
Avant tout cela, tu avais pris soin d’envoyer, par courrier postal et en trois exemplaires, une photo de toi pour faire réaliser ton portrait par le dernier peintre réaliste socialiste soviétique en activité.
Oui, c’est ce portrait qu’on a tendu sur un ring. On n’a pas fait une installation très compliquée parce que c’était quand même très galère, mais on a quand même réussi à avoir un ring dans un gymnase sur lequel on a tendu le portrait sur toile géante et des lumières, comme ça à l’arrache. Quant à l’exposition rennaise, qui se déroulait en même temps à La Criée, c’était la version contraire, à l’américaine, c’est-à-dire des machins qui brillent, la grande photo (la même qu’à Moscou) encollée au mur, un vrai ring, bleu, blanc, rouge, classe, avec de beaux rembourrages…
Toutes tes expositions reposent-elles sur un pastiche que tu as écrit pour créer un personnage ?
Je n’aime pas trop le mot pastiche. Je préfère autofiction, je ne sais pas. Pastiche, c’est le côté caricatural… Autofiction me convient mieux. Basé sur ta vie à partir de… La vraie vie, la « vraie fausse ». On ne sait pas. Comme je l’avais écrit…
Quand tu parles de la « vraie fausse », parles-tu d’imposture ?
Il n’y a pas d’imposture, vraiment. C’est plus une manière de brouiller les pistes qu’une imposture ou une posture. Dans ma vie, il y a eu des hauts, il y a eu des bas, et beaucoup de choses bizarres, mais vraies. Ces choses que l’on croit quand on les voit dans un film, mais pas quand elles arrivent dans la « vraie vie ». Ma compagne, Nicoletta, découvre tous les jours que je ne suis pas « mytho ». Elle est toujours sidérée quand un mec me rappelle une anecdote incroyable : l’assassinat d’un copain, une belle connerie de jeunesse, ou je ne sais quoi… Et quand je raconte une histoire à des amis, elle ne peut s’empêcher d’attester : « Non, non. Je connais un mec qui l’a certifié. Non, il n’est pas mytho du tout. C’est une histoire de dingue, mais c’est vrai« .
Il n’y a donc pas de personnages qui ont inspiré ta démarche alors ?
Non, il n’y a pas de personnage. Il n’y a jamais vraiment eu de personnages. J’ai endossé vaguement le rôle du boxeur, une métaphore de l’artiste, un peu celui du voyou, un peu tout ça, mais c’est parce qu’à un moment, le boxeur raté finit toujours un peu par devenir « casseur de bras », « casseur de jambes ». Starkiller n’était pas son nom, mais le titre d’une exposition et du mauvais livre que j’ai écrit. Mais il était marrant, ironique. Je l’ai écrit parce qu’on m’avait demandé de faire un catalogue. Je disais à Pierre Nahon : « Un catalogue ? Mais j’ai fait cinq œuvres dans ma vie, ça ne sert à rien, c’est débile. Je vais plutôt faire un vague roman de bas étage et ça donnera des indices. » Je préférais écrire un truc avec cet argent-là plutôt que faire une bricole avec quatre images et un texte emprunté d’un critique d’art ennuyeux. Donc, j’avais demandé à deux ou trois copains de faire la préface et j’ai écrit de vrais faux Mémoires… Mes vraies fausses aventures de boxeur. Et c’était devenu plus un indicateur, un donneur de sens, un rajout ou une manière de s’égarer.
En fait, j’ai arrêté d’endosser des images pour parler des choses et j’ai endossé la mienne, ma réalité. J’ai arrêté de porter des costumes, des trucs pour parler, finalement, ou faire des détournements, détourner les choses ou en faire les contours. J’ai pris l’attitude du boxeur pour dénoncer des choses ou pour dire des choses. J’ai pris l’attitude du voyou pour dénoncer des choses et dire des choses. Puis, au bout d’un moment, je me suis aperçu que de toute façon, j’étais un personnage en soi et que je pouvais prendre aussi ma propre attitude et qu’elle était aussi valable qu’une autre pour dire des choses et pour faire le travail que je fais en ce moment. Et que je fais depuis toujours. J’ai endossé ma propre personnalité… Finalement, je me suis aperçu qu’au lieu d’utiliser des stratagèmes, être moi-même n’était pas plus mal et bien plus direct.
Tu parles du dessin, de l’écriture, de la musique… Tu fais aussi des installations, des sculptures, des films… Ton art est-il multimédia, protéiforme ?
Ça vient comme ça doit venir. La musique, je la mets au même niveau que les arts plastiques. Un titre de musique, je le mets au même niveau qu’un dessin, je le mets au même niveau qu’une installation. Je ne mets pas de gradation là-dedans. Tout ça, ce sont des œuvres de la même manière. Là, je prépare un album comme je fais une exposition personnelle. Je suis en train de le terminer, j’en suis l’auteur-compositeur. C’est moi qui joue les instruments. Je le fais de la même manière. Je fais toujours tout. Je conçois tout dans son entièreté. C’est la même chose que pour une exposition personnelle, à part que c’est sonore. Ce sera sur support sonore, mais c’est pareil. Il y a des œuvres, il y a 12 ou 13 œuvres dans un espace donné.
La musique, pour toi, ça commence quand ?
La musique a toujours existé dans ma vie. Elle est arrivée en même temps que les dessins quand j’étais petit, ça a commencé avec un jouet, un petit piano d’enfant bidon avec lequel je faisais déjà des mélodies. Mais il y a surtout eu les 45 tours de mon père : Elvis, Fats Domino, tu vois, ces trucs de rock qu’il écoutait le soir. C’était un blouson noir dans sa jeunesse. Ça, c’est aussi une base : Gene Vincent, Eddy Cochran et compagnie. Be-Bop-A-Lula sonnait sur le Tepazz de mon père. Après, le même vieux Tepazz a fini dans ma chambre où il braillait les Clash. Le rock, c’est une base culturelle qui date de quand j’étais môme. C’est la culture de mon père, avec les dessins et les premiers livres sur lesquels je suis tombé par hasard, quasiment. En fait, ma culture, je me la suis faite tout seul, vraiment. Et puis après, j’ai rencontré aussi des gens pas trop cons, ça aide.
J’ai vu le premier passage des Sex Pistols à la télé un dimanche après-midi avec des potes ! On s’est regardé le lendemain matin au CES, un lundi. Tu as vu ce truc hier ? Les Sex Pistols ? T’as vu, même le nom ?… Alors on s’est dit : « Ça y est, c’est pour nous. Ça y est, c’est à nous maintenant. La musique, c’est la nôtre. Ça y est, enfin, terminé, les babas. C’était vraiment ça. Ça y est, ils jouent pour nous. Putain, ils font de la musique pour nous. » On s’y est tous mis aussi. Forcément, on a trouvé une guitare Ibanez pourrie qui ressemblait à une SG avec mon pote Mesana, on a tapé dessus avec des bouts de bois. Et puis voilà… Pour moi, c’était une délivrance par rapport à la musique de potes plus âgés : Genesis, Yes, machin… Heureusement qu’on avait un peu Led Zep’, Alice Cooper, Cheap Trick et quelques cagades quand même. Mais quand les Clash sont arrivés, ce n’était quand même pas pareil. C’était la mienne cette musique. On s’est approprié de la musique parce qu’elle était faite pour nous et parce qu’on s’y retrouvait. On avait enfin trouvé notre culture, notre identité, dans cette musique-là. Elle allait avec l’époque, elle allait avec notre caractère, elle allait avec notre génération. C’était fantastique. Donc, on s’est mis à la musique.
Pourquoi y reviens-tu en ce moment, avec la création sonore que tu prépares à La Station à Nice ?
Alors oui, j’ai arrêté la musique. J’ai repris la musique. J’en ai fait avec Fofo (3) que tu as bien connu. On n’a jamais vraiment abouti. J’ai revendu toutes mes grattes à un moment parce que je n’avais plus de blé. Et puis, il y a, deux, trois ans, j’ai racheté une demi-caisse, une belle Gretsch. Après, je me suis dit : une guitare sans basse, c’est triste. J’avais une basse avant… J’aime bien la basse. J’en parle comme ça avec ma compagne quand même, parce que je commence à claquer un peu trop d’oseille. « J’ai toujours rêvé de jouer de la basse« , me dit-elle. Je lui réponds: « Alors, ça tombe bien, je vais en acheter une : tu veux quoi ?! » Elle me regarde : « Une Beatles Höfner« . Si tôt dit, si tôt fait… Et puis, avec les nouveaux logiciels, je commence à programmer quelques patterns, à mettre quelques trucs et à composer des morceaux. Et là ! Je me dis : ça envoie du bois ! Et de fil en aiguille… Maintenant j’ai 13 titres : j’ai fait toutes les basses et grattes, j’ai appris à me servir du logiciel, et aujourd’hui, on est en train de mixer avec Philippe Paradis, dans son studio installé à La Station à Nice. Je suis là pour ça en ce moment, et pour préparer mon exposition chez Eva Vautier.
Tu vas en faire une exposition ?
Non, non, non… Rien à voir avec les arts plastiques. Mais c’est de l’art tout de même. Oui, c’est une œuvre d’art en soi, un album comme l’ont toujours fait les grands. Je ne sais pas. Je me fous que ça marche ou pas. C’est du rock, des sexagénaires l’écouteront peut-être, ou des jeunes, il y a quelques jeunes pas trop cons qui aiment le rock.
Tu le diffuseras comment ?
En tirage limité. Et on va le mettre sur toutes les plateformes, on va le faire tourner. J’ai un pote réalisateur qui va faire un clip. J’en ferai également un moi-même. On a aussi une monteuse, c’est la meilleure monteuse de bandes-annonces de films en France. Je suis bien entouré.
Tu prépares une expo à Nice. Quelle place tient cette ville dans ta vie ?
Un beau moment. Je suis arrivé à Nice parce que j’ai suivi un ami, Édouard Merino, qui montait la galerie Air de Paris. Lui était monégasque. On s’était rencontrés à Grenoble parce qu’il faisait l’École du Magasin qui était un centre d’art où il y avait une école de curateurs, la première au monde… Nous nous sommes rencontrés là. Il a ouvert une galerie à Nice. Je ne voulais pas de galerie à l’époque. On disait tous ça. Je voulais être un artiste libre, comme je le suis toujours d’ailleurs maintenant. Je ne travaille plus avec lui aujoud’hui. J’ai aussi travaillé avec d’autres, sans être affilié à aucune galerie. Mais à l’époque, j’ai suivi ce pote-là et son ouverture à Nice. J’ai trouvé la ville super chouette. J’ai appelé le propriétaire de l’appart que j’avais à Grenoble. Je lui ai dit qu’il pouvait garder tout ce qu’il y avait dedans, que je ne lui paierai plus de loyer, que je ne reviendrai plus. J’avais un sac avec des fringues, et je suis resté là.
Philippe est devenu plus niçois qu’un vieux niçois, reconnu comme une figure emblématique aussi bien de la nuit niçoise et que de la scène plastique du moment. Son intervention, Blanc comme neige (photo 4), en 1994 au MAMAC, fut d’ailleurs une bombe osant dénoncer le clientélisme mafieux des campagnes électorales de l’époque où pointait déjà un populisme fascisant inquiétant. Il rappelait aussi avec humour et insolence le « Main propres, tête haute« , slogan paradoxal pour un Berlusconi qui semble avoir fait des adeptes dans notre propre pays. Suivez mon regard…
Et maintenant, Back Again, l’exposition à la galerie Eva Vautier ?
Ou, je la connais depuis des dizaines d’années parce que c’est la fille de Ben, qui est un vieux copain. Ensuite, parce que c’est une bonne galerie. Il y a deux galeries à Nice, donc soit c’était elle, soit c’était l’Espace à vendre qui aurait bien aimé qu’on fasse une expo aussi, mais à un moment, il faut bien choisir. C’est le premier qui déclenche. Eva m’a dit : « Hop ! » J’ai dit : « OK ». Ça s’appelle Back Again parce que j’ai vécu ici longtemps. C’est le retour à Nice. Un retour qui me fait vraiment plaisir et on prépare une belle expo avec des œuvres qui ponctuent une dizaine d’années, avec une grande sculpture, une installation, avec des pièces inédites, avec quelques dessins jamais montrés, un ensemble de choses très cohérent. J’ai vu avec Eva, on a vu la galerie, on a fait un choix des œuvres ensemble.
Y verra-t-on des vidéos, des films, des choses comme ça dans ton expo ?
Non, parce qu’il y aura une installation qui fera du bien… La salle du dessus, ce sera plus une installation où on sera dans une scène de film plutôt qu’assis à regarder des films.
En revanche, il y aura nouvelle série : Peintures de guerre…
Ce sont les peintures de guerre des Indiens d’Amérique. Ceux qui ont été décimés, flingués, exécutés, abrutis et empoisonnés par l’alcool. Tous ces résistants qui étaient de vrais humains, les human beings. Je pense que ça correspond bien à notre époque, à mon discours sur l’art aussi. Ça devient des peintures abstraites qui se moquent un peu de la peinture contemporaine abstraite américaine en étant, à la base, des maquillages de guerre d’Indiens apache ou iroquois. Le cartel des œuvres, c’est la tête de Geronimo, et le grand truc à voir, c’est une sorte de peinture, un machin, c’est juste le maquillage qui devient une peinture abstraite géométrique version numérique.
Il n’y a pas de référence au Geronimo de Wharol ?
Non, pas du tout. Ça ressemble plus à du Rothko, un peu informatisé, plus cubique… Rothko, présenté à la Fondation Louis Vuitton dans laquelle je ne fous pas les pieds, dans laquelle je n’ai jamais foutu les pieds, ni dans celle de Pinault, car ce sont des « défiscalistes » que je n’ai pas envie d’aller cautionner par mon passage. Je trouve qu’ils ont fait un massacre aussi à la Punta della Dogana, à Venise. La Biennale, je n’y fous plus les pieds parce que de toute façon, ma compagne étant du Veneto, je passe à Venise régulièrement quand on va chez ses parents. On reste au moins deux jours à Venise, avec Nicoletta. On fait le tour, tranquilles, elle connaît les bons endroits. Les vrais qui restent. Elle était à la fac là-bas. On va manger des Cicchetti au même endroit que Casanova. On va dans des trucs qui ont 600 ans, des endroits comme ça où ça parle encore avec l’accent vénitien, c’est fabuleux. Elle me fait découvrir des lieux incroyables. Je n’ai pas besoin de voir inscrit Gucci en 30 mètres sur la façade d’un palais. Ça, ça ne m’intéresse pas, donc je ne vais plus dans ces trucs-là maintenant.
photo : Philippe Perrin – Beijing 2006 © Xin Dong Cheng
(1) Fabian Avenarius Lloyd, dit Arthur Cravan (1887-1918), est un poète et boxeur helvético-britannique de langue française. Considéré, tant par les dadaïstes que par les surréalistes, comme un des précurseurs de leurs mouvements, il a provoqué le scandale partout où il est passé.
(2) Snatch film réalisé par Guy Ritchie en 2000.
(3) Fofo, alias Erik Fostinelli, s’est éteint le mercredi 8 novembre 2017. Ce musicien niçois était avant tout le bassiste des Dum Dum Boys et de Daran. Il fut réalisateur de nombre d’albums et reste une figure incontournable du rock’n’roll niçois et français.