Le devoir de mémoire d’Herbert Traube

Le devoir de mémoire d’Herbert Traube

Herbert Traube, l’histoire véridique d’un résistant et combattant pour la liberté est le titre de l’ouvrage de Clara Laurent, sur le parcours d’un homme né juif autrichien, et devenu français « non par le sang reçu mais par le sang versé ». Nous avons rencontré ce citoyen de 101 ans qui fait aujourd’hui œuvre de mémoire auprès des plus jeunes, et sera présent lors du festival Lecture en fête à Roquebrune-Cap-Martin.

Autrichien de naissance, azuréen depuis plus de 40 ans, ancien conseiller municipal et maire adjoint à la commune de Sainte-Agnès pendant près de 20 ans, le Mentonnais d’adoption Herbert Traube œuvre inlassablement pour le devoir de mémoire dans les établissements scolaires des Alpes-Maritimes. Dès qu’on le questionne sur ses évasions, le débarquement sur les plages du Dramont, son internement dans les camps de Gurs, celui de Rivesaltes ou des Milles, la rafle à Marseille, ses actes de résistance pour le réseau Combat, ou encore son engagement dans la Légion étrangère sous une fausse identité, l’œil pétillant du centenaire brille et l’auditoire se trouve plongé dans les heures sombres et nauséabondes de la 2e Guerre Mondiale. 

Préfacé par Susie Morgenstern, les propos d’Herbert Traube, rapportés par la biographe Clara Laurent, ont été consignés dans le livre jeunesse, L’histoire vraie d’un résistant et combattant pour la liberté, ouvrage qui s’adresse aux élèves à partir de la classe de CM2. L’autrice imagine un collégien racontant la venue d’Herbert dans sa classe pour témoigner de son histoire. Les élèves réagissent, s’émeuvent et posent des questions auxquelles Herbert répond de manière claire et pédagogique. Au travers de son récit, il évoque les grandes étapes qui ont jalonné aussi bien sa vie que celle de ses contemporains : de l’arrivée d’Hitler au pouvoir à la fin de la Seconde Guerre mondiale, en passant par l’Anschluss, la Nuit de Cristal, Vichy, la Collaboration, le Débarquement de Provence… Il explique l’antisémitisme, les mécanismes qui mènent à la barbarie, mais aussi la possibilité de résister et de garder une boussole morale. Le livre est émaillé d’illustrations extraites du film documentaire à l’origine de l’album, Herbert Traube, le destin français d’un indésirable également réalisé par Clara Laurent, et de photographies issues de la collection privée d’Herbert Traube.

Officier de la Légion d’honneur, médaillé de la Croix de guerre et de nombreuses autres distinctions, Herbert Traube du haut de ses 101 années, reste fidèle à la devise de la Légion: il ne recule pas, il avance.

Quel était votre état d’esprit à la fin de la 2e Guerre Mondiale ?

On ne pouvait pas parler de ce qui s’était passé, car cela n’intéressait personne en dehors de la famille. Il fallait passer à autre chose, les gens cherchant à oublier cette période noire. Je suis sorti de la guerre en 1947, soit 3 ans après la libération de Paris. J’avais 23 ans, mon père était mort à Auschwitz, ma mère au camp de Rivesaltes, et ma sœur s’était exilée en Palestine. J’étais fauché après 5 ans passés dans la Légion étrangère et il fallait que je travaille. A part démonter et remonter une mitraillette les yeux fermés, je ne savais rien faire. J’étais hébergé chez une tante par alliance à Paris et je suis rentré dans le secteur du textile comme représentant de robes. Puis, j’ai rencontré, Claude, ma future épouse. J’ai fait plusieurs petits boulots puis, j’ai démarré comme employé aux écritures dans une usine de mécanique à Saint-Ouen. Pendant des années, j’ai pris des cours au Conservatoire national des arts et métiers et je suis devenu ingénieur. J’y suis resté 35 ans. Puis avec ma femme, nous nous sommes installés dans le Sud pour la retraite. 

Quel a été le déclencheur pour raconter votre histoire ?

J’ai occulté cette période pendant des décennies. Lorsque mes enfants me posaient des questions, je répondais par bribes malgré mes souvenirs qui remontaient de temps en temps. Après avoir vécu et officié en qualité de maire-adjoint à Sainte-Agnès, nous avons décidé de vivre à Menton. Quelques jours après notre emménagement et en allant chercher mon courrier à la boîte aux lettres, je suis tombé sur le facteur qui traitait un voisin de légionnaire. En discutant avec cet ancien militaire, je me suis rendu compte que nous étions dans la même division pendant la guerre. A travers son association, Rhin et Danube, il m’a expliqué qu’il intervenait dans les collèges pour parler du débarquement de Provence. C’est ainsi que depuis 2001, j’interviens dans les établissements scolaires de la région pour parler du devoir de mémoire.

Comment est venue l’idée de cet album jeunesse ?

C’est un professeur d’un lycée mentonnais qui m’a demandé ce qu’étaient devenus mes parents. Jusqu’à présent, je me limitais à narrer le débarquement de Provence. J’ai pris conscience que je devais aussi raconter mon histoire. A 13 ans, j’ai été chassé de mon école avec d’autres collégiens juifs par un enseignant nazi. Ça s’est passé lors du cours de latin. Ce professeur était juif converti au catholicisme. Il a perdu son emploi.  Après la Nuit de Cristal en Allemagne et en Autriche, la chasse aux Juifs a commencé. Nous avons été dénoncés par notre concierge et mon père a été embarqué pour Dachau en 1938. Nous avons quitté l’Autriche, ma mère, ma sœur et moi, pour la Belgique via l’aide de la Croix-Rouge, puis nous avons atterri en France. En classe, je déroule ainsi le scénario d’une jeunesse brisée en projetant des photos. Les élèves restent ébahis lorsque je raconte qu’à 18 ans, je me suis évadé par la lucarne du wagon en partance pour Drancy aidé par mes compères.

J’ai plusieurs discours en fonction de mon public de primaires (CM2), les collégiens de 3e et les terminales. J’ai eu l’occasion d’accompagner des élèves au Camp des Milles et je prononce un discours lors de la cérémonie du 8 mai.

En 2016, le camp des Mille a publié Une odyssée peu commune, de Vienne à Menton. Clara Laurent, à l’époque enseignante à Monaco, m’a proposé de réaliser un documentaire sur mon histoire. En 2022, Le destin d’un indésirable est diffusé. Elle m’a ensuite soumis l’idée de cet album jeunesse. J’aimerais bien trouver un illustrateur pour que mon histoire soit présentée sous forme d’une bande dessinée.

Qu’avez-vous à dire aux jeunes générations ?

Il ne faut pas oublier que la Shoah a commencé par des mots. Les jeunes doivent se méfier des fake news, des idées véhiculées par les réseaux sociaux et de l’incitation à la haine. La montée des extrêmes m’inquiète. J’espère que mes copains ne sont pas morts pour rien.

L’histoire vraie d’un résistant et combattant pour la Liberté de Clara Laurent, préface de Susie Morgenstern, illustrations de Thibault Chimier (Ed. Booksondemand)
Une odyssée peu commune, de Vienne à Menton, disponible à la boutique du camp des Milles
Documentaire Herbert Traube, le destin français d’un indésirable de Clara Laurent, en accès libre ici