Les brasseries sous pression

Les brasseries sous pression

Plus de concerts ni de festivals jusqu’à nouvel ordre, et plus aucun bar auquel se raccrocher… L’industrie de la bière est en danger !

Il est 20h, le soleil se couche sur l’horizon, on est en plein mois de juillet, et vous venez d’arriver avec quelques potes pour profiter d’un des nombreux festivals que propose la région. Vous avez chaud, vous êtes moite et tout excité, alors vous décidez d’aller boire un verre en attendant le début des hostilités. Une petite mousse fera parfaitement l’affaire, histoire de se rafraîchir le gosier et de se mettre en condition ! Eh bien, ce petit scénario, cher à bon nombre de mélomanes, risque bien d’avoir du plomb dans l’aile cette année, les principaux festivals de l’été étant annulés…

Si les secteurs de la Culture et celui des Loisirs se trouvent fort impactés par la crise sanitaire, celui de la bière en subit les conséquences par rebond. D’ailleurs, n’ayons pas peur des mots, une véritable catastrophe est en train de se produire : plus de 10 millions de litres de bière, essentiellement sous pression, vont disparaître, apprend-on auprès de Brasseurs de France (syndicat professionnel français fédérant les brasseries artisanales, familiales, historiques) qui a consulté, entre le 24 et le 30 avril, l’ensemble de ses adhérents sur les impacts de la crise liée au COVID-19. La cause ? L’absence de consommateurs suite à la fermeture brutale des bars, cafés, restaurants, et à l’annulation des rassemblements festifs tels que les rencontres sportives, les concerts et festivals.

Il faut savoir que près de 70% des volumes de bières consommés chaque année le sont durant la période estivale, dont près de 10% lors du Hellfest ! Je déconne bien sûr : en juin, les métalleux en goguette du côté de Clisson ne consomment « que” 400 000 litres en trois jours. Ils savent rester raisonnables… Toujours est-il que « si l’activité ne redémarre pas cet été, beaucoup de brasseries ne s’en relèveront pas », avertit Maxime Costilhes, délégué général de Brasseurs de France. « Beaucoup des (2 000) brasseries françaises sont aujourd’hui à l’arrêt ou en chômage partiel, sauf celles qui vendent historiquement leur production dans les grandes surfaces », indique-t-il. Quant au volume des ventes, il pourrait baisser d’environ 35%, alors que le secteur est en plein boom depuis quelques années… Les conséquences du confinement, provoqué par la pandémie de coronavirus, sont encore plus catastrophiques pour les microbrasseries, très dépendantes de lieux de convivialité et de la vente directe, notamment lors de rassemblements culturels et festifs. Elles pourraient perdent jusqu’à 80 % de leurs chiffres d’affaires, selon Intercéréales, l’interprofession céréalière.

Du houblon et des idées

Du côté de Toulon, la Bière de la Rade a tout bonnement perdu 60% de son chiffre d’affaires depuis le 15 mars. La microbrasserie artisanale varoise, dont la totalité des neuf employés a été mise en chômage partiel durant le confinement, a « essayé de rebondir avec la livraison aux particuliers ; un service qu’on ne proposait pas avant », nous a indiqué Charles Doerr, qui a créé cet établissement en 2015 avec Simon Chevillot. « Mais on est confronté à une autre difficulté : les festivals et les gros événements qui annulent. On avait commencé à préparer la saison d’été en remplissant des fûts de bière. Le problème, c’est que ton fût a une durée de validité de 3 mois… Et là, on va en avoir à peu près 200 sur les bras. » À 30 litres chacun, la Bière de la Rade pourrait donc balancer 6000 litres de son divin breuvage ! « Je suis en train de voir les différentes possibilités avec les douanes (ndlr: elles contrôlent la production de ce type d’établissements). La destruction, qui serait la pire version pour nous, n’est pas exclue. Une autre solution serait de distiller cette bière, pour obtenir du single malt et le transformer en whisky, ou pour en extraire l’éthanol et fabriquer une autre boisson alcoolisée. » Il existe une dernière solution que certaines brasseries ont très sérieusement étudiée, c’est la possibilité de réutiliser cet éthanol pour en faire des gels hydroalcooliques ! Certaines brasseries ont ainsi, au démarrage de la crise, contribué à la fabrication de ces gels alors que la pénurie se faisait sentir. Aux États-Unis, les autorités encouragent même les brasseries à se tourner provisoirement vers cette méthode…

Ces solutions temporaires ne remplaceront pas le manque à gagner auprès du secteur culturel et événementiel, qui représente 30% du chiffre d’affaires de la Bière de la Rade : « Cette année, on devait travailler avec le Pointu Festival, Couleurs Urbaines, Rockorama, TLN, le Festival de Néoules, et bien d’autres… Mais tout ça n’est qu’une partie, parce que tu as aussi tous les événements privés, de type mariage notamment, et aujourd’hui je n’ai aucune commande… » Sans oublier les partenariats que la brasserie entretient avec de nombreuses associations culturelles ou non de la région, et les salons de la bière auxquels elle participe régulièrement. « On organise un festival à La Seyne-sur-Mer, Bière en Seyne, qu’on a également dû décaler en septembre… »

Ce ne sont pas les premières embuches rencontrées par la brasserie varoise depuis sa création, elle qui avait fait face, avec beaucoup d’humour (voir la vidéo ci-dessous), au géant Heineken lors d’un contentieux portant sur le nom de l’un de ses produits : La Girelle, devenue la Censurée. Souhaitons-leur, ainsi qu’à toute l’industrie de la bière, de se sortir au mieux de cette crise, parce que, franchement, vous imaginez un festival, un concert, bref un événement festif, sans pressions ? Ce serait comme un match de foot sans public ! Sans saveur…

(Photos : Concert © Christian Ungureanu / Equipe de la Bière de la Rade © Bière de la Rade)