Le Tour 2020, drame shakespearien ?

Le Tour 2020, drame shakespearien ?

Rassurez-vous, braves gens, ce n’est pas la Covid, traduit par la quasi-absence des foules traditionnelles qui a transformé le Tour de France 2020 en un drame shakespearien. Quoique…

Tout d’abord, qu’est-ce qu’une tragédie ? C’est un genre théâtral dont l’origine remonte au théâtre grec antique. Elle met en scène des personnages de rangs élevés et se dénoue très souvent par la mort d’un ou de plusieurs personnages. Ce mot veut originellement dire « chant du bouc ». Certains voient dans le « chant du bouc » l’expression de la plainte de l’animal mené à l’autel sacrificiel, mis en parallèle avec la confrontation du héros tragique à son destin lors d’une lutte qu’il sait perdue d’avance. La tragédie shakespearienne met en scène de fortes passions, inspirant l’héroïsme ou l’exaltation, la pitié ou la peur…

Personnages de rang élevé… N’avons-nous pas de l’admiration pour « ces forçats de la route » qui deviennent par ce fait des demi-dieux ? Héros tragique… Y a-t-il héros plus tragique que Tom Simpson, mort le 13 juillet 1967 sur les pentes du mythique Mont Ventoux ?

Mais c’est peut-être ce que dit Shakespeare qui nous fait pointer du doigt que : « Le monde entier est un théâtre, – Et tous, hommes et femmes, n’en sont que les acteurs.  Chacun y joue successivement les différents rôles – D’un drame en sept âges » (Comme il vous plaira, 16213).

Et quel rapport avec le Tour ?

1er : Tadej Pogaca. 2e : Primoz Roglic. Tous les deux Slovènes. Avant dernière étape : Pogaca, 2e, prend la place de Roglic, comme Richard, duc de Gloucester, pris la place d’Edouard IV, roi d’Angleterre. Bon, le crime en moins, d’accord, mais nous sommes dans la mythologie, quelque part. Emmanuel Durget, dans Le Point, le perçoit, ce sentiment tragique : « Comment ne pas penser aux acteurs, dont la préparation a été chamboulée par le confinement ? Des coureurs sans certitudes et des favoris sans réels repères, qui ouvrent la possibilité de scénarios d’un cyclisme passionnant. Et donc d’un cyclisme un peu d’avant, redécouvert grâce aux rediffusions du confinement. Autant d’indicateurs qui pourraient faire de cette Grande Boucle, déjà historique, une course épique, agrémentée d’excitants itinéraires inédits, et un contre-la-montre à la Planche des Belles Filles pour couronner le lauréat. »

La Planche des Belles filles… C’est un sommet du massif des Vosges méridionales culminant à 1148 mètres d’altitude. La tragédie qu’est le tour de France rencontre la tragédie du lieu : son nom est issu d’une légende selon laquelle, durant la Guerre de Trente Ans, les jeunes filles du village voisin se seraient suicidées pour échapper aux mercenaires suédois.  Avant dernière étape où Pogaca prend (usurpe ?) la place de Roglic. Nous n’avons pas eu en 2020 le Mont Ventoux…  Mais nous avons eu le Col de la Loze (de  la Lose ?)

Ne cherchez pas le col de La Loze, point culminant de ce Tour de France 2020, sur la carte routière 2019. Ce tronçon goudronné à partir d’un chemin forestier n’existait pas il y a encore quelques mois. « Cette route n’a pas été conçue pour les voitures, du coup il y a des ruptures de pente incroyables derniers lacets », vantait avant le départ le directeur du Tour, Christian Prudhomme. « Ce n’est pas le plus haut col de France, on peut sans doute trouver un paysage comparable ailleurs, mais la Loze est unique. » La montée, si on inclut les 15 premiers kilomètres d’ascension vers Méribel, est tracée sur un total de 21,5 kilomètres depuis le pied, à Bride les bains. Son pourcentage moyen est de 7,8 %. Sa particularité réside dans le profil unique des 6 derniers kilomètres qui consistent en une succession de replats et de murs raides, avec de nombreux passages à plus de 20 %, le tracé n’ayant pas été conçu initialement pour la circulation automobile. « C’est quelque chose que l’on ne connaît pas, qui n’existe pas, tout simplement. Vous passez de 2 à 20 %, ça tourne dans tous les sens… Pour moi, c’est du jamais-vu. Ce col est unique.« 

Plusieurs coureurs affirment même que l’ascension du col de la Loze, de par son profil atypique dans les derniers kilomètres, est encore plus redoutable que les pentes du col du Mortorilo en Italie. Richie Porte, 5e à l’arrivée au sommet, déclare n’avoir jamais emprunté de col aussi difficile auparavant. La montée vers le pouvoir…

Et les Français ? Vous en voulez du tragique ?

Lisez Antony Hernandez et Clément Martel dans Le Monde : « Les ambitions de Thibaut Pinot s’étaient évaporées dans les premiers contreforts pyrénéens. Moins d’une semaine après, vendredi 11 septembre, les deux derniers espoirs français au classement général ont à leur tour lâché la rampe, malmenés par les pentes acérées du puy Mary (Cantal). 3e et 4e du classement général au départ de Châtel-Guyon (Puy-de-Dôme), Guillaume Martin et Romain Bardet ont passé une très mauvaise journée au pays des volcans. Au classement général, la descente de Guillaume Martin est raide, rétrogradé à la 11place (à 3 min 14 s). Quant à Romain Bardet, victime d’une violente chute en descente, s’il a terminé l’étape au courage, il a été contraint de jeter l’éponge vendredi soir, après que des examens ont révélé qu’il souffrait d’une commotion cérébrale. »

Toute bonne tragédie qui n’a pas son traitre, son Iago, n’est pas une tragédie. Le coup de pied de l’âne ? « Personnellement, je pense qu’il (Thibault Pinot) n’est pas fait pour gagner le tour, mais pour remporter des étapes. Déjà il n’a pas de chance, et ça c’est une évidence. Pour gagner le tour, il faut être costaud. Mentalement, il faut résister même quand tu as une blessure », a confié Bernard Hinault au Parisien.

Et l’arrivée se fait sur les Champs Elysées : dans la mythologie grecque, les champs sont le lieu des enfers grecs où les héros et les gens vertueux goûtent le repos après leur mort. On les appelle aussi Élysée… Le locataire actuel de l’Élysée est-il un héros ou un vertueux ?

Un vélo ! Un vélo !  Mon maillot jaune pour un vélo !