L’odeur est la principale préoccupation du chien

L’odeur est la principale préoccupation du chien

Comme la plupart des galeries, celle d’Eva Vautier à Nice a rouvert ses portes le 28 novembre dernier. Jusqu’au samedi 5 décembre, et avant la traditionnelle exposition de fin d’année, Avec plaisir #3, il est possible d’y découvrir les oeuvres de Gerald Panighi et Laurie Jacquetty dans une exposition inédite, au titre qu’il l’est sûrement tout autant…

Il faudrait parfois considérer le monde comme l’expérimenterait un vieux chien errant, reniflant au sol les remugles d’une vie chaotique, flairant et déterrant au gré du hasard des fragments d’inutilité. Il faudrait être ce chien sculpté par Giacometti qu’on imaginerait fouiller dans les poubelles pour en extraire des déchets d’humanité. Chienne de vie, pourrait-on dire, quand deux artistes nous renvoient des mots et des images sans concession sur les attentes et le vide du quotidien. Une vie ordinaire que Laurie Jacquetty perçoit à travers le journal d’un chien dans les pas de ses maîtres, dans le fil de la banalité des événements et par le regard décalé de l’animal. Mais ce que le chien déterre, c’est aussi un journal sale avec la violence du fait divers, les odeurs fétides d’un théâtre de l’absurde et de la cruauté. Aux pages de ce journal, avec ses paroles tour à tour naïves, drôles et cassantes, ses dessins tremblés, mais justes et légers, répondent quelques sculptures. Celles-ci, dans des réminiscences d’art brut, sont des abris de fortune, des épaves du quotidien faits d’écorces, de rebut et de matériaux éphémères. L’oeuvre est sans concession et pourtant elle semble vouloir se mettre en retrait de ce qu’elle désigne. Elle interpelle subtilement par cet exil poétique, par cette observation distanciée qui neutralise la portée de tout discours. Et quelle force surgit alors de ce dispositif quand la sensibilité de l’artiste se mesure à l’absurde !

L’univers de Gérald Panighi est aussi celui du fait divers qui se cogne à la banalité des jours. À regarder ses dessins, le temps ne serait que plis, rides et salissures. Épinglés au mur, les papiers défraîchis témoignent de ces marques, taches de doigts ou d’essence de lin. Ils portent les stigmates du quotidien toujours sur un mode impersonnel. Tout est anodin, accidentel, et les images entrent en collision avec les mots. L’illustration issue de décalques et de transferts renvoie à l’anonymat, à des découpes de héros fatigués, d’insectes ou de plantes. Mais en creux, ces images crient un vide d’humanité. Elles résonnent avec des aphorismes en porte-à-faux avec leur illustration et s’inscrivent dans une typographie qui rappelle la police neutre et vieillie des anciennes machines à écrire. Les phrases surgissent telles des flashs de pensée ou des éclairs de solitude quand elles se heurtent à l’espace de la feuille de papier et ses larges zones de vide. Un dessin de Gérald Panighi ne s’oublie pas. Dépourvu d’anecdote, il relate dans un humour sombre l’instant de cette poursuite d’un sens introuvable, d’un au-delà des mots et des images. Mais l’odeur n’est-elle pas la principale préoccupation du chien ?

Jusqu’au 5 décembre, Galerie Eva Vautier, Nice. Rens: eva-vautier.com

(photos : vues de l’exposition © François Fernandez)