Un génie à double face

Un génie à double face

La médiathèque Louis Notari de Monaco accueille Valerie Mirarchi, docteure en philosophie et enseignante, ce mercredi 2 mars 2022 à 18h30, pour une conférence sur un génie à double face, Romain Gary, aviateur, compagnon de la Libération, diplomate, seul écrivain à avoir décroché deux fois le prix Goncourt. Elle s’est penchée sur la vie de ce personnage aux multiples facettes.

Pourquoi avoir écrit un essai sur Romain Gary ?

En suivant l’émission de Claire Chazal Entrée libre, François Cluzet parlait de son coup de cœur pour un roman de Romain Gary intitulé Gros-Câlin, dont le héros Michel Cousin vit avec un python de deux mètres vingt à défaut de trouver l’amour chez ses contemporains. François Cluzet en parlait si bien, que je me suis empressée de lire ce livre dans lequel Gary fait preuve de beaucoup d’humour. À partir de ce moment-là, je vais m’immerger totalement dans l’œuvre de Gary et quand j’ai creusé sa biographie, j’ai découvert que Gary était très attaché à Nice, Roquebrune et Menton. Moi-même je venais les étés sur la Côte d’Azur pour voir ma famille et m’entraîner à vélo sur les trois corniches en direction de Monaco. J’ai donc un attachement affectif à la région. Alors j’ai voulu en connaître plus sur cet homme Roman Kacew, né à Vilna dans l’empire russe, à Vilnius (actuelle capitale de la Lituanie). Mon éditeur était séduit par mon projet, bien qu’il m’ait signalé les difficultés d’écrire sur le sujet après la très volumineuse biographie Romain Gary le caméléon de Myriam Anissimov qui fait autorité.

Comment avez-vous réalisé vos recherches sur ce personnage aux multiples facettes ?

Évidemment, j’ai compulsé les archives de l’INA, j’ai acheté des journaux de l’époque, j’ai lu toute son œuvre et tout ce qu’on avait pu écrire sur lui. Et puis, j’ai commencé par me rendre en Pologne à Varsovie rue Poznanska, pays qu’il quittera avec sa mère pour rejoindre Nice. Puis j’ai arpenté certaines rues de Nice où Romain et sa mère tenaient l’hôtel-pension Mermonts. J’ai également retrouvé sa tour de guet dans le cœur du vieux village de Roquebrune, et la villa de sa première femme Lesley Blanch qui se trouve à Menton non loin de la frontière italienne. J’ai retrouvé tous les endroits où Gary avait vécu, car j’ai énormément besoin de m’imprégner. Le fait d’être au plus près de la vérité me permet de le faire revivre. Je recueille des informations puis je les vérifie. J’ai ainsi écrit un essai qui lève le voile de manière sensible et intimiste sur la complexité de celui qui fut, tout à la fois l’auteur de La Promesse de l’Aube et de La Vie devant soi en permettant d’approcher sa profonde humanité.

Valérie Mirarchi © DR

Quelles sont les zones d’ombre de Gary ?

C’est une redoutable question et les éminents spécialistes de son œuvre continuent de ne pas être d’accord, mais disons que j’ai tenté de les mettre en lumière tout au long de mon écrit. Les zones d’ombres que Gary a emportées avec lui sont nombreuses. C’était un caméléon, doté d’un tel pouvoir d’affabulation qu’il reste un homme insaisissable, complexe et paradoxal. On l’a connu double, triple voire multiple. Il brouille constamment les pistes. Il ne fut pas qu’un écrivain selon moi, mais il fut un conteur à la russe, un enchanteur, un séducteur, mais également un grand mythomane. « Toutes mes vies officielles, en quelque sorte, répertoriées, étaient doublées, triplées par bien d’autres, plus secrètes, mais le vieux coureur d’aventures que je suis n’a jamais trouvé d’assouvissement dans aucune » avait-il écrit dans Vie et Mort d’Émile Ajar, son testament littéraire. Il a sans cesse mêlé ses fantasmes à la réalité. Il ne s’exprimait que par bribes. Il a déployé tant de génie par exemple pour obscurcir les repères de son enfance ou les raisons de son suicide …Metteur en scène obstiné de sa propre existence, Romain Gary a fabriqué de son vivant sa propre légende. De sa vie entière, Gary aura fait une œuvre de fiction.

Vous avez publié des essais sur Albert Camus et Françoise Sagan également, qui sera votre prochaine « victime littéraire » ?

En réalité, je travaille depuis quelques mois sur un manuscrit, et par superstition je n’aime pas dévoiler le nom de ma victime littéraire avant de savoir si mon projet sera retenu par un éditeur. Je manque parfois de temps pour m’y atteler, car j’exerce mon métier de professeure à temps complet. Je me sens très utile depuis vingt ans dans cette fonction. Nous vivons des temps difficiles qui nous rappellent le caractère fragile et précieux de la vie et l’importance de la mission des enseignants.

Parlez-nous de vous…Vous êtes une sportive de haut niveau, docteure et agrégée en philosophie, vous êtes enseignante en Belgique, quelles sont les autres cordes à votre arc ?

En effet, le sport a toujours axé ma vie depuis l’âge de six ans par une initiation aux arts martiaux. J’ai pratiqué ensuite le tennis pendant 25 ans avec une participation aux championnats de France à Roland Garros en 2004. J’ai été monitrice pendant deux décennies. J’ai participé plusieurs fois à des courses à pied et même à un semi-marathon de 24 km dans ma région. Je pratique la natation et le cyclisme. J’ai gravi Le Puy-de-Dôme, le col d’Eze à Nice, et les côtes mythiques de Milan San Remo. J’ai obtenu mon DEA de philosophie en Sorbonne à Paris puis mon Doctorat à Reims. Je suis agrégée de l’université catholique de Louvain-la-Neuve et j’enseigne depuis 20 ans dans l’enseignement de la Communauté française de Belgique. En réalité, même si on me classe souvent comme une intellectuelle, j’aurais pu tout à fait exercer un métier manuel.

En tant que philosophe, quel regard portez-vous sur le monde ?

La version actuelle du monde donne le vertige. Certains jours, je suis optimiste et puis à d’autres moments, j’ai une vision plutôt sombre du monde. Nous vivons une période inédite, et la pandémie nous a fait passer du jour au lendemain d’une vie extravertie, une société des loisirs en compagnie des autres, de voyages, à une vie introvertie qui doit être l’occasion d’une réflexion intérieure et d’un questionnement sur notre économie, sur notre façon de vivre, sur l’humanité, la planète et la science. Nous sommes dans une époque d’anxiété et d’incertitude alors que nous vivions toujours dans la recherche de certitudes. Une société où il y a encore autant de violences est une société qui ne va pas bien. Il y a tellement de mauvaises choses certains jours, qu’on a l’impression que le mal va l’emporter.

Avez-vous eu l’occasion de faire des conférences en dehors de la France ?

J’ai démarré en France plusieurs cycles de conférences, puis ensuite j’ai été invitée à la cérémonie du prix littéraire Françoise Sagan à Saint-Germain-des-Près, et Denis Westhoff son fils unique m’a proposé de devenir membre du jury. J’ai participé à plusieurs manifestations, commémorations. Puis mes conférences rencontrant un certain succès, j’ai pu en donner en Belgique, au Luxembourg, en Suisse, en Corse et même en Pologne…J’ai parcouru deux cent mille kilomètres en six ans ! J’aime beaucoup voyager pour mes conférences, c’est très enrichissant. Car je rencontre des personnes différentes et qui ont une autre culture que la mienne. Puis, c’est très agréable, et je suis toujours bien accueillie, on partage quelques heures ensemble et puis je m’en retourne. Mais ce sont toujours d’incroyables souvenirs, puis certains lecteurs deviennent des amis en réalité avec qui je garde contact et ils m’écrivent aussi ensuite sur les réseaux sociaux et ils continuent de me suivre et de lire mes nouvelles publications et surtout ils m’encouragent énormément à poursuivre ma passion qui consiste à transmettre mon amour pour les livres.

Je devais aussi me rendre en Lituanie à Vilnius pour voir la maison natale et la statue de Romain Gary, mais ce voyage exaltant a été annulé à cause de la covid. Mais, je sais que j’irai prochainement…

2 mars 18h30, Médiathèque Louis Notari, Monaco. Rens: mediatheque.mc
Références des ouvrages de Valérie Mirarchi (Albin Michel):
Françoise Sagan ou l’ivresse d’écrire, préfacé par Denis Westhoff 
Gary-Ajar, un génie à double face, préfacé par Jérôme Camilly
Albert Camus, de Belcourt au Nobel, postfacé par Roger Quilliot
(photo Une : Romain Gary / Emile Ajar © DR)