40 ans de musique baroque à Nice

40 ans de musique baroque à Nice

Depuis 40 ans, l’Ensemble Baroque de Nice, fondé par Gilbert Bezzina, revisite avec le même enthousiasme les chefs d’œuvres du baroque. Cette saison 2022-2023 est l’occasion de célébrer cet orchestre à géométrie variable qui s’est imposé comme l’une des principales formations françaises spécialisées dans le genre.

Aujourd’hui figure de la musique à Nice, c’est à Tunis que Gilbert Bezzina commence à s’initier à la musique. D’origine maltaise, sa famille s’installera rapidement à Nice, alors qu’il n’est encore qu’un enfant. Si ses parents ne sont pas musiciens, son père est un grand mélomane, passionné d’opéra italien. Quant à son grand-père, il chantait en amateur à l’Opéra de Tunis. Le virus de la musique n’attendait donc qu’à se répandre. Alors, lorsque le jeune Gilbert décide de faire des études de musique au conservatoire de Nice, son père le soutient : s’il travaille ! Et visiblement il a tenu sa promesse… Rencontre avec le créateur et directeur de l’Ensemble Baroque de Nice, dont on célèbre les 40 ans d’activité.

Gilbert Bezzina, qu’est-ce qui a fait que le jeune violoniste classique, formé au Conservatoire de Nice, que vous étiez à l’époque, se soit intéressé au baroque ?

Une de mes tantes, qui a vécu un temps en Allemagne, m’avait offert le fac-similé des partitas de Bach que j’ai regardé avec un grand intérêt. Et très souvent, je questionnais mon professeur de violon classique pour lui demander pourquoi on ne faisait pas les coups d’archet comme Bach les avait notés. À l’époque, il n’y avait que l’enseignement du violon classique. Un jour, il en a eu marre de mes questions et m’a adressé au professeur d’orgue de l’époque au Conservatoire, un grand spécialiste de Bach, René Saorgin. Celui-ci, l’un des premiers avec Michel Chapuis et Francis Chapelet à s’intéresser au renouveau des orgues anciennes, m’a simplement dit qu’il serait plus intéressant que je vienne le dimanche à la messe ! Et en effet, il n’y jouait que du Bach. C’est comme cela que je me suis intéressé à ce monde.
À cette époque, les années soixante, il y avait eu un élan européen pour l’orgue, puis très vite pour le clavecin, avec Gustav Leonhardt et Scott Ross, qui était lui-même élève au Conservatoire de Nice. J’ai été par la suite auditeur au stage que donnait Michel Chapuis à Saint-Maximin, j’ai absorbé tout ce qu’il disait sur les notes inégales, sur les tempi, et je me suis dit que ce qui était vrai pour l’orgue devait l’être pour le violon. Je me suis procuré la première méthode de violon de Labbé Le fils, édité vers 1750, et je me suis formé ainsi quasiment tout seul pendant des années. Je gagnais alors ma vie avec le violon moderne, puisque j’étais entré à l’Opéra de Nice. Puis quand je suis revenu de la fondation Gulbenkian où j’avais passé deux ans en violon moderne, je n’avais plus envie de faire que du baroque. Je suis donc allé rencontrer le violoniste belge Sigiswald Kuijken, pour voir si je ne faisais pas fausse route. Nous nous sommes retrouvés sur beaucoup de points et il m’a tout de suite fait travailler dans son ensemble La Petite Bande. Puis il y a eu Jean-Claude Malgoire à Paris, et ça a été la bascule quand il a transformé en 1975 La Grande Écurie et la chambre du Roy en faisant jouer les musiciens sur instruments d’époque.

L’occasion pour vous de pénétrer cet univers de la musique ancienne…

Oui, il y avait tout le monde à l’époque : le frère de Sigiswald qui était claveciniste, Anner Bylsma qui jouait du violoncelle, Chiara Bianchini au violon… C’était des gens curieux, qui cherchaient aussi bien du côté des traités que du répertoire. Mais en France, il n’y avait toujours rien ! Ça se passait en Autriche avec Harnoncourt, à Bâle, ou aux Pays-Bas qui ont fait beaucoup. Malgoire a été le premier en France. J’ai travaillé pendant 10 ans avec lui, mais je revenais très souvent à Nice. Là, avec Scott Ross, on allait au conservatoire, il avait les clefs pour pouvoir travailler le clavecin le soir. Dans ces années-là, j’ai créé avec trois amis, la Société de Musique Ancienne de Nice, qui existe encore. Nous avons été sollicités par le conservateur du Musée des Beaux-Arts de l’époque Claude Fournet, pour organiser des petits concerts, jusqu’au jour où l’on m’a demandé d’organiser un mini-festival. J’ai donc décidé qu’il y aurait des musiciens niçois qui s’étaient mis au baroque et quelques parisiens : c’est ainsi qu’est né en 1982 l’ensemble dont certains des musiciens d’alors sont encore là ! Lorsqu’on m’a demandé comment j’allais appeler cet ensemble nouvellement formé, je suis allé au plus simple ; ce qui m’est venu, c’est l’Ensemble Baroque de Nice. Et c’est l’un des plus anciens ensembles français, après La Grande Écurie et Les Arts Florissants.

Peut-on dire que Nice a été l’un des foyers du renouveau de la musique ancienne en France ?

Le producteur de France Musique Jacques Merlet me disait : « Ce n’est pas étonnant qu’avec l’environnement architectural que vous avez ici, vous vous soyez branchés là-dessus. » Je pense qu’il a en partie raison ! En tous les cas, c’est clair qu’il n’y avait rien d’autre en France à ce moment-là. Pierre Cochereau, l’organiste de Notre-Dame, qui avait été nommé directeur du conservatoire de Nice en 1961, avait engagé la claveciniste Huguette Rémy-Chauliac, qui a créé un département baroque. Tous les élèves de Saorgin et de Rémy-Chauliac ont propagé la musique ancienne de clavier ailleurs en France. Mais ce département qui a été novateur en son temps n’est plus ce qu’il était. On a du mal à remplacer les professeurs. Il n’y a pas assez de travail à Nice pour le baroque. Ce n’est pas motivant…
Pourtant, à Nice, on a un très beau département d’instruments anciens, notamment italiens, et Saorgin m’a fait découvrir tout cela. Le collectionneur était Monsieur Gauthier, un médecin passionné de musique qui les a réunis. Ils ont longtemps été au Conservatoire, mais sont maintenant exposés au Palais Lascaris.

Quel est le répertoire de prédilection de l’Ensemble Baroque de Nice ?

Je suis passionné par la musique orchestrale italienne. Mais aussi par l’opéra. Le premier opéra que nous avons monté était signé Vivaldi. Ici, nous avons une facilité : nous sommes à une heure de Turin, où il y a l’intégralité de l’œuvre manuscrite de Vivaldi et beaucoup de ses concerti. Je me suis dit qu’on connaissait toute sa musique instrumentale, qui est magnifique, et que c’était étonnant qu’on ne connaisse pas ses opéras. J’ai tout lu et j’en ai choisi un presque au hasard, L’Incoronazione di Dario. Il y avait une instrumentation et une distribution qui me semblaient possibles à réaliser. Je vous avoue qu’en copiant cela à la main, comme on le faisait, j’ai d’abord trouvé que ce n’était pas très varié. Mais aux premières lectures avec l’orchestre, j’ai commencé à changer d’avis. Et lorsque les chanteurs sont arrivés, c’est devenu une merveille absolue. À l’époque, il n’y avait pas un opéra de Vivaldi enregistré et cela valait la peine de faire découvrir ce répertoire. Mais maintenant, je n’ai plus besoin de hanter les bibliothèques, on trouve tout ou presque sur internet. C’est dommage, mais c’est pratique.

Quel programme avez-vous choisi pour cette saison anniversaire ?

Pour fêter nos 40 ans d’existence, on fera des reprises, et on jouera les Italiens, bien sûr : Corelli, Locatelli… Avec Philippe Cantor, un fidèle, on a baptisé un programme Voyage en Italie, avec des lettres du « Président De Brosses » (NDLR: magistrat, historien, linguiste et écrivain français) associées aux musiques qu’il a pu entendre à chaque étape de son voyage de l’autre côté des Alpes. On reprendra aussi une idée qui a bien marché : arranger des thèmes de chansons françaises, créer des concertos grosso sur des thèmes de Barbara par exemple. La chanson française en baroque, ça a beaucoup plu ! Je me fais aussi un petit plaisir personnel avec mon neveu autour des sonatines de Schubert pour pianoforte et violon. On invite aussi l’ensemble lyonnais Le Concert de l’Hostel Dieu, avec lequel on fait un échange.
C’est bien d’avoir tenu jusque-là, on a un public fidèle qui vient en confiance, même s’il ne connait pas. Il m’est arrivé de faire un récital de sonates de Duval à Nice qui était plein, et de refaire le même à Paris et d’avoir du mal à avoir du monde ! Alors merci à lui.

PROGRAMME SAISON 2022-2023
4 oct 20h30 – Église St-François-de-Paule
Corelli. Concertos grossos, opus VI, 1e partie (intégrale)
18 nov 20h30 – Église St-Martin – St-Augustin
Voyage en Italie. Les lettres du Président De Brosses
Philippe Cantor, baryton & lecteur
9 déc 20h30 – Église St-Martin – St-Augustin
Vivaldi. Juditha Triumphans (extraits)
Anouk Defontenay, mezzo-soprano
13 jan 20h30 – Église St-Martin – St-Augustin
Chansons françaises en baroque
J. Butaye, adaptation
10 fév 20h30 – Église St-Martin – St-Augustin
Schubert. Sonatines, opus 137
Arnaud de Pasquale, pianoforte & Gilbert Bezzina, violon
17 mars 20h30 – Église St-Martin – St-Augustin
La Donna Barroca
L’EBN invite F.-E. Comte et Le Concert de l’Hostel Dieu
14 avr 20h30 – Église St-Martin – St-Augustin
Locatelli. Concertos grossos, opus VII (intégral)
26 mai 20h30, Église St-François-de-Paule
Pergolèse. La Serva Padroni

Rens: ensemblebaroquedenice.fr

photo : Ensemble Baroque de Nice © Lionel Bouffier

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