06 Oct [L’Anthroposcène] Le digital, entre pensée magique et vraies promesses
Le mythe du progrès est mort ? Vive celui de l’innovation ! Un clou chasse l’autre comme on dit… Car, si les concepts changent, il est certain que les illusions demeurent. Et ce qui a valu pour les trois précédentes révolutions industrielles, vaut pour celle du numérique. Celle de la digitalisation en cours de toutes les facettes de nos vies. Oui, illusion. Dans son numéro de mars 2019, Alternatives Économique titrait ainsi son dossier du mois :
«Start-up, la grande illusion». Le média y donnait un compte-rendu peu flatteur pour la France de l’édition 2019 du CES de Las Vegas avec des résultats «guère encourageants sur le potentiel disruptif des pépites de la French Tech : la France avait envoyé 381 start-up – plus que les États-Unis ! – à ce salon, mais nombre d’entre elles ne présentaient que «des gadgets qui auraient davantage leur place au concours Lépine, car souvent éloignés de produits pensés pour des besoins et un marché», juge le site d’information Le Journal du Net.»
Il me paraît fascinant de constater que les êtres pensants que nous sommes, disposant d’un niveau d’accès à l’information et à la connaissance sans précédent, se comportent toujours avec si peu de recul face à bien des verroteries et autres pacotilles.
Car, contrairement à la rhétorique de notre cher président, prompt à opposer 5G et Amish, il ne s’agit pas d’être pour ou contre. Bien au contraire. Il s’agit juste de sortir de l’hypnose collective. Laquelle touche les usagers, mais aussi les investisseurs. Pour les premiers, il faudrait donner une suite à l’essai Petite Poucette de Michel Serres, qui n’a pourtant «que» dix ans. Il faudrait écrire un essai intitulé Mega Index sur le nouveau geste le plus universel actuellement à ma connaissance : scroll, scroll, scroll… Personne n’a vu la dimension la plus visionnaire du film E.T de Spielberg : son long doigt turgescent. Smaaaartphone, maaaaaaison !
Côté investisseur aussi, l’envoûtement interroge. Économie, finance, management… Des gens qui ont fait de brillantes études et qui se réfèrent à qui veut l’entendre aux KPI (Indicateurs clés de performance) et au ROI (Retour sur investissement). Des gens qui donnent pourtant leur bénédiction à des projets totalement dépourvus de visibilité en terme de carnet de commande. Il y a deux semaine, le coup de gueule sur LinkedIn d’Alexandre Laing, cofondateur de la plateforme de financement participatif Tudigo, en dit long sur cet «enchantement» qui affecte les plus hautes sphères du pouvoir : «La Licorne Swile (startup spécialisée dans les avantages aux salariés), c’est tout ce qui me fait vomir dans l’écosystème tech & de l’investissement. 200 M€ levés, 41 M€ de pertes en 2021 (21 M€ de pertes en 2020) pour un chiffres d’affaires de… 11 M€ (4,6 M€ en 2020). Quand notre cher ministre Bruno Le Maire déclarait sur LinkedIn «Soyez fiers de vous. Vous incarnez le redressement et l’avenir de notre pays», j’ai pas de suite compris que le message qu’on voulait faire passer aux entrepreneur(e)s français(e)s c’était «Cramez beaucoup beaucoup d’argent et ne générez pas beaucoup de valeur. Tant que vous êtes un homme blanc, de bonne famille et que vous êtes dans les bons cercles d’influence, ça va bien se passer et on vous déroulera le tapis rouge »
Nous sommes bel et bien dans un moment totalement irrationnel pour lequel il y a pourtant eu du vécu. Dans le numéro de novembre 1999 d’Enjeux (Les échos), excellent magazine éco hélas disparu, on pouvait lire ceci : «C’est une des blagues favorites de Wall Street : Les sociétés Internet capitalisent leurs pertes !». L’éclatement de la bulle internet allait trouver son apogée en mars 2000.
Voilà où nous en sommes donc plus de vingt ans après : à celui qui lève la plus grosse. Dans un nouveau contexte pourtant de dégonflement de la bulle du numérique.
Heureusement donc, le numérique n’est ni le diable ni un épouvantail à Mormon. Il serait trop long de citer ici les mille et une applications du digital et de l’Intelligence Artificielle (notamment le deep learning) au service de la transition énergétique, de la relocalisation des activités, de la réindustrialisation de notre pays… Avec ce constat aussi, qu’aujourd’hui, à peine plus d’une entreprise sur dix en France a entamé une digitalisation de ses activités les plus basiques. Et si on commençait par le commencement ?
Nous avons confié à Jessica Pellegrini ce dossier sur les promesses du numérique, eu égard sa pleine maîtrise du sujet, y compris en tant qu’entrepreneure à mission. Elle nous livre ici une analyse de ses enjeux, notamment sur ce grand projet de réindustrialisation de la France qui a besoin de soutien concret plutôt que de grands discours.
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