Intelligence artificielle, fabrique à mensonges ?

Intelligence artificielle, fabrique à mensonges ?

Dall-e 2, Midjourney, ChatGPT… Vous n’avez sans doute pas pu passer à côté du « phénomène » de ces Intelligences artificielles (IA) dont tout le monde parle ces dernières semaines, notamment à cause de nouveaux logiciels qui permettent de fabriquer des images à partir de mots clefs ou d’autres qui permettent de rédiger des dissertations parfois très pointues… Est-ce vraiment un progrès ou bien une menace pour notre liberté de penser, pour nos emplois, et surtout pour la communication en raison des « fausses » informations que ces logiciels aident à créer ? Serait-ce une fabrique à mensonges à la portée de tous ?

Ne nous y trompons pas, l’IA n’est pas nouvelle. Nous l’utilisons depuis des années sans nous en rendre compte… On nous propose des pubs ciblées en fonction de notre navigation internet, on nous suggère des musiques qui pourraient nous plaire sur les plateformes d’écoute, on a nos petits assistants personnels (Siri, Google Home…), on nous assiste dans nos déplacements grâce à des applications GPS (Waze, Tom Tom…). La liste est longue ! Cependant l’arrivée de logiciels de création de contenus accessibles à tous avec la saisie de mots ciblés est nouvelle. Mais est-ce vraiment une avancée pour l’humanité ?

Une avancée pour l’humanité ?

Aujourd’hui la machine est capable d’exécuter des tâches que nous pensions réservées à l’humain : écrire un texte, créer une image, faire une photo… Et nous en voyons déjà les travers. L’homme oublie d’utiliser ses neurones et laisse le logiciel exécuter à sa place. Début janvier, un enseignant en handicapologie de l’Université de Lyon a constaté de curieuses similitudes en corrigeant les copies de ses étudiants en Master. Et pour cause… 7 élèves sur ses 14 élèves avaient utilisé le nouveau logiciel controversé Chat GPT. Le professeur avait remarqué une construction identique, avec des arguments qui se ressemblent mais sans vraiment tourner au plagiat. La loi ne va pas toujours aussi vite que la science. Aucune décision ne stipule l’interdiction d’utiliser ce genre de logiciel. Stéphane Bonvallet, l’enseignant, s’est donc vu dans l’obligation de noter ces copies et d’attribuer un 11,75 à chacune d’entre elles.

La législation en question

En tapant de simples mots dans une barre de recherche, Dall-e 2, Midjourney et bien d’autres sont aujourd’hui capables de produire des clichés qui semblent très « réels ». Vous pouvez même copier le style d’un artiste renommé afin de produire une imagine « à la manière de ». Mais à qui reviennent les droits d’auteur ? Au créateur de cette intelligence artificielle ? À la personne qui rédige ces mots clefs ? À l’artiste copié ? La loi n’est pas encore claire à ce sujet.

D’autre part il n’y a aucune obligation légale, pour le moment, de stipuler sur une publication si elle est issue d’une IA. Ce qui laisse la porte ouverte à de nombreuses fausses informations, les fameuses fake news. Au mois de novembre dernier, le tiktokeur Xelito Belik révélait à ses abonnés qu’il n’existait pas et qu’il avait été conçu à l’aide de nombreux logiciels d’IA. Cette vidéo virale a été visionnée plus de 12 millions de fois. Vidéo qui s’avère finalement être un canular. Et si c’était déjà possible ? Avec de simples logiciels de création visuelle, de modélisation, et de transformation de voix, on est capable aujourd’hui de faire dire n’importe quoi à n’importe qui. Comment déterminer véritablement ce qui est vrai de ce qui est faux ? La recherche et le croisement des sources est primordiale pour s’informer. Est-ce toujours faisable ? À l’aide de logiciels tels que Photoshop, on pouvait déjà tronquer la vérité. On détoure, on efface, on retouche… Encore faut-il avoir quelques notions en informatique. Aujourd’hui, en tapant quelques mots sur un clavier, l’intelligence artificielle est capable de créer n’importe quel contenu.

Enfin pas tout à fait « n’importe quel contenu »… Plusieurs limitations ont été ajoutées par OpenIA (entreprise qui a créé Dall-e 2 ou encore chat GPT). À première vue, ces IA ne peuvent pas générer d’images violentes, haineuses ou du contenu pour adulte. « Nous ne générons pas d’images si nos filtres identifient des demandes textuelles et des téléchargements d’images susceptibles d’enfreindre nos règles« , ont déclaré les gérants d’OpenIA. Même si cela part d’un principe précautionneux, il s’agit de « leurs règles », d’une restriction privée et non d’une législation. C’est le problème du développement du net et de ces nouvelles technologies : les conditions générales d’utilisation décidées par une firme privée semblent remplacer peu à peu la loi. N’est-ce pas un réel danger pour la démocratie que de gérer l’espace virtuel public selon des normes édictées par des sociétés commerciales qui dérogent totalement à la loi, à la norme décidée par nous tous ? Une forme de dictature commerciale et informatique ne serait-elle pas en train de supplanter la démocratie ? Les oligarques à l’origine de cette dérive vont-ils devenir nos suzerains dans un monde où la soumission à leurs conditions semble remplacer le vouloir-vivre commun ?

Le débat est lancé

Tout ceci est bien sûr à nuancer. Sujet qui a d’ailleurs suscité de nombreuses discussions et débats au sein de la rédaction de La Strada. Beaucoup d’interrogations et d’avis qui divergent. Et c’est pour cela que nous allons suivre de près le développement de ces IA et partager avec vous au fil des mois nos réflexions et recherches. Il n’y a, certes, pas que du « mauvais » dans cette innovation technologique. Dans de nombreux domaines, elle offre un gain de temps, facilite certaines tâches, et notamment dans la médecine, permet de détecter certaines pathologies. Mais la réponse « tarte à la crème », « les technologies ne sont pas dangereuses, tout dépend ce que l’on en fait« , ne peut convenir. Car nous n’avons aucun contrôle, aucune sanction possible sur cette appropriation de l’espace public virtuel, donc sur leur utilisation. Rappelons-nous les mots prononcés de Nick Knight lors de son exposition Roses from my garden présentée au Musée de la Photographie et de l’Image Charles Nègre, à l’occasion de la Biennale des Arts de Nice (voir La Strada n°347) : « Mieux vaut que les créateurs détournent ces logiciels avant que des marchands d’armes ou des oppresseurs s’en emparent« …

La machine n’est, pour le moment, pas capable de remplacer définitivement l’homme. L’intelligence artificielle n’étant pas dotée de sentiments, elle ne sera pas capable de traduire une émotion particulière sur une image. Rien ne remplacera le plaisir de s’allonger dans l’herbe et d’attendre le bon moment pour appuyer sur le bouton pour capturer un beau coucher de soleil. Le corps et l’esprit sont irremplaçables dans la création artistique… N’hésitez pas à nous écrire, pour nous donner vos points de vue : lecteurs@la-strada.net ! Nous sommes au début de ces avancées en matière de deep learning. Alors, l’IA est-elle bénéfique ou néfaste pour notre société ? Vous avez 4 heures…

photo: Image générée par le logiciel Midjourney © Monsieur C – Recycle d’art

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