En état d’ébriété

En état d’ébriété

Nicolas H. Muller se réapproprie La Station à Nice, et convie quelques proches artistes de son univers singulier, pour entraîner le visiteur dans un tourbillon de références qui s’entrechoquent.
Déambuler dans un espace d’art contemporain revient parfois à se confronter à tellement d’univers que le visiteur s’égare dans un labyrinthe de propos toujours plus ambitieux dans la relation à tel film renvoyant lui-même à telle musique si ce n’est au concept d’un philosophe inconnu ou autoproclamé… Heureusement, il arrive qu’à la grandiloquence des références réponde la belle humilité des œuvres. Nicolas H. Muller est de ces artistes qui, dans une démarche in situ, nous entraîne dans un jeu de piste dans lequel les œuvres seraient autant d’indices pour une enquête entre fiction et réalité quand seul le titre de l’exposition nous ramènera sur terre. Anima ebria in corpore ebrio, formule magique d’un latin claudiquant nous susurre qu’au-delà du délire aviné des mots et du concept pourraient surgir quelques pépites matérielles…

Revenons donc sur terre pour une hygiène du regard et des choses. Et le monde réel, celui des œuvres de Nicolas H. Muller, se pare alors de la splendeur de sa fragilité. Toujours au seuil de l’accidentel, les pièces semblent s’agencer sans commune mesure les unes aux autres. Jeux d’échelles, relation à des cultures opposées, tout contribue à rechercher ce point d’équilibre qui s’établit dans la perfection d’un savoir-faire artisanal face à « l’ébriété » du projet. Délicates, les œuvres relèvent de cet aspect tremblé qui révèlent leurs fêlures à l’instant où elles pourraient se briser. La porcelaine devient une peau légère et translucide, un drapé presque quand il ne s’agit pourtant que de minces sculptures empreintes d’une influence chinoise. Mais ailleurs le regard dérive sur son contraire, deux bustes terreux qui se confrontent sous leur casquette dérisoire. Et sur les murs, des disques énigmatiques ponctuent l’espace dans le trouble de leur forme et d’une couleur à peine suggérée… Aussi, plutôt que de nous laisser emporter dans la lourdeur d’un appareil théorique, enivrons-nous de ce voyage poétique entre incertitude et fascinante matérialité des œuvres.

L’exposition est aussi une opportunité pour Nicolas H. Muller de présenter quelques artistes qui s’attachent également à déjouer les codes pour instaurer le trouble de l’indéfini au cœur de leur pratique. Parmi eux, Céleste Richard-Zimmermann est une plasticienne qui parvient à mêler images populaires et mythes fondateurs dans d’imposantes colonnes de polystyrène où la légèreté de la matière s’oppose à la lourdeur de l’apparence. Il faut prendre le temps d’errer, de découvrir et de s’étonner, alors on se perd, on se retrouve et on découvre d’autres mondes…

Jusqu’au 27 mai, La Station, Nice. Rens: lastation.org
photo: Vue de l’exposition Anima Ebria in Corpore Ebrio de Nicolas H. Muller et invité.es. La Station, Nice © S. Guillemin