06 Août Le Royaume de Lotharingie : la lettre et l’esprit
Présentée par le Département du Var, Trésors du royaume de Lotharingie, l’héritage de Charlemagne, exposition estivale de l’HDE Var à Draguignan, revient sur l’histoire de cette partie de l’Empire carolingien souvent méconnue, au travers d’objets rares et précieux. Nous l’avons visitée, en compagnie de sa commissaire Isabelle Bardiès-Fronty.
« En envisageant une exposition sur l’art et l’histoire de la Lotharingie, j’ai immédiatement pensé qu’il fallait la contextualiser, l’adapter au parcours de visite. Un parcours qui amène à une narration tout au long des 7 salles qui composent cette exposition« , à découvrir sur les 3 niveaux de l’Hôtel Départemental des Expositions du Var. Pour ce faire, Isabelle Bardiès-Fronty, commissaire de l’exposition et conservatrice générale au musée de Cluny, musée national du Moyen Âge, convoque dès notre entrée un certain Charlemagne, empereur particulièrement sensible à la culture lettrée. Alors, évacuons d’emblée la question que bon nombre d’entre vous ne manquerons pas de se poser : il n’est point ici question de l’invention de l’école. Puisque, primo, l’école existe depuis plus de trois millénaires, et secundo, on doit celle que l’on connait sous sa forme moderne à Jules Ferry…
UNE HISTOIRE DE FAMILLE
Ce sacré Charlemagne donc est le père de Louis 1er « Le Pieux », dont le sarcophage est exposé dans la 1e salle. En 843, ce dernier divisera – ou sabordera, question de point de vue – l’empire carolingien en trois zones et donnera à Lothaire 1er la partie médiane, qui traversait le cœur de l’Europe occidentale du Nord au Sud, dont le Var d’aujourd’hui fait partie. Une sorte de « terre du milieu », sans l’anneau (bien qu’un bel objet, la bague de Basile 1er, empereur byzantin, soit exposé), mais avec un champ d’influences culturelles et artistiques assez énorme. Là-dessus, la vie se déroule non sans encombre, avant qu’un nouveau partage en 855, entre les arrière-petits-fils de Charlemagne, ne morcelle davantage l’empire constitué par ce dernier. Des histoires de territoires, encore et toujours – un « diplôme » paraphé par Carolus (charte en papyrus afférent à un transfert de propriété foncière), alias Charlemagne, ouvre d’ailleurs l’exposition. Et une histoire de famille plus que compliquée, comme le sont toutes les histoires de famille (on peut s’en rendre compte avec un complexe arbre généalogique présenté au 1er étage), qui permet de proposer un voyage au cœur de cette riche ère carolingienne. « Notre propos s’étend, symboliquement, de l’empire de Charlemagne jusqu’à l’an mille… Une période plus large que celle de la Lotharingie au sens strict. Mais une période qui a du sens, qui permet d’offrir des passerelles visuelles aux visiteurs et de comprendre la place charnière du monde lotharingien« , précise Isabelle Bardiès-Fronty.
VOUS AVEZ DIT RAFFINÉ ?
On part ainsi à la découverte de l’art carolingien, bien loin de l’image d’Épinal que l’on se fait du Moyen-Âge, et ce notamment grâce aux nombreux contacts dans le pourtour méditerranéen avec l’Empire Byzantin, tenant d’un universalisme romain, mais aussi au Sud (Espagne islamique et Église de Rome), outre-Manche (Saxons, Celtes), au Nord (Scandinaves) et à l’Est (Magyars, Slaves, Bulgares). Autant de sujets évoqués au 2e étage, et l’occasion d’apprendre que le terme Viking ne fait pas référence à une ethnie mais désignait simplement les combattants scandinaves ! Bref, une richesse et un raffinement artistique mis en avant au travers de l’art aulique (destiné au souverain et à sa cour), à l’image des très beaux Évangiles de Metz, restaurés pour l’occasion par les équipes de l’HDE Var et présentés au 1er étage, et grâce aux témoignages mis au jour par les archéologues qui nous éclairent sur « ce qui anime la vie des gens de l’époque« , d’un point de vue culturel (manuscrit de théâtre de Térence), intellectuel (ouvrages philosophiques et scientifiques de Platon et de Pline), spirituel (psautiers), voire martial (étriers, invention récupérée chez les Vikings, encore eux, ou jeux d’échecs représentant « l’art de la guerre »)…
L’exposition se referme au 3e étage sur les soubresauts politiques de la Lotharingie qui n’ont pas empêché une forme d’harmonie artistique, puis avec le Xe siècle, celui du crépuscule de la dynastie carolingienne, dont les derniers représentants furent Louis l’Enfant et Louis le Fainéant – deux patronymes qui ne présageaient clairement rien de bon…
L’ÉCRITURE AU CŒUR DE L’ART CAROLINGIEN
« À chaque salle a été attribuée une thématique traitée avec un choix volontairement restreint d’œuvres, dans la recherche d’une poésie esthétique cherchant à rendre perceptible la capacité d’invention des artistes et à partager avec eux la fascination pour les matériaux, d’un pigment de peinture de manuscrit à une gemme parfaite brillant sur l’or« , explique la commissaire d’exposition, chaque œuvre d’art dialoguant avec les pièces historiques afin d’éclairer le visiteur sur la chronologie et l’espace concerné. Une « exposition haiku« , selon ses mots, en forme de redécouverte de cette Renaissance carolingienne, au travers de 190 objets, soit une très grande partie des pièces les plus précieuses de l’époque, dont un focus particulier sur les livres. Laquelle période a notamment donné naissance à la minuscule caroline, écriture nettement plus lisible que la mérovingienne… Un royaume souvent méconnu par le fait qu’il fut nommé ainsi après sa disparition, « comme dans un rêve dont on tenterait de rattraper les lambeaux au réveil », souligne joliment Isabelle Bardiès-Fronty, dont le travail et la médiation qu’elle nous a généreusement fait partager méritent d’être salués.
1er juil au 8 oct, Hôtel Départemental des Expositions du Var, Draguignan. Rens: hdevar.fr
Vue de l’exposition © N. Lacroix, DC83