23 Mai JP Racca Vammerisse, ou la tentation de l’équilibre
Tel Alice traversant le miroir pour parcourir un monde magique, Jean-Philippe Racca Vammerisse défie ses vieux démons tout au long du parcours onirique qu’il propose en ce moment à l’Espace à vendre.
Artiste céramiste né en 1987, Jean-Philippe Racca Vammerisse est coutumier des institutions prestigieuses où il a exposé, (Musée des Beaux-Arts de la ville de Lyon, NMNM – Villa Sauber à Monaco, Musée André Diligent – plus connu sous le nom de la Piscine – à Roubaix, Musée de Carouge en Suisse), comme des lieux plus insolites (Madoura à Vallauris, Hôtel Windsor à Nice). Il a aussi participé à divers concours internationaux venus enrichir son parcours. Avant de présenter deux pièces majeures à la 26e Biennale de Vallauris cet été, son exposition actuellement visible à l’Espace à vendre nous entraine dans son univers intime peuplé de vieilles chimères éclaboussées d’émail ruisselant, de sphinx renaissant de leurs cendres ; autant de rêves, de cauchemars éveillés, de fantasmes inachevés, sortis non sans peine des fours de l’atelier. Rencontre.
Le choix de travailler la terre est-il venu dès le début de ton parcours artistique ?
Lors de mon cursus à l’ESAP/Pavillon Bosio, j’ai eu le privilège de découvrir ce médium grâce à la céramiste Daphnée Corregan. Initialement, ma pratique artistique gravitait autour de la peinture à l’huile. Cependant, la terre m’a offert une opportunité inédite de fusionner mes préoccupations sculpturales, ancrées dans la dimension spatiale, avec mes aspirations picturales, explorant les questions de surface et de texture.
Comment décrirais-tu ton lien avec la terre ?
La céramique, ou plus largement la terre, demeure mon médium de prédilection, agissant comme un compagnon fidèle dans la concrétisation de mes projets sculpturaux. Elle ne se contente pas d’être un support, mais m’impose un rythme et une résistance grâce à ses propriétés intrinsèques. Avec mes mains, je deviens un démiurge explorant un univers singulier où les possibilités semblent infinies. Ma propension à créer m’assimile à un artisan ou un fabricant, suivant la définition platonicienne du démiurge. Chaque pièce que je modèle est le résultat d’une démarche méthodique, où je poursuis obstinément un idéal, jonglant entre la construction et la déconstruction, jusqu’à ce que le prototype initial se métamorphose en une forme définitive, nourrie des aléas du processus créatif.
Quelles sont les différentes étapes de ton processus de création ?
Ma démarche artistique est plurielle, s’enrichissant d’un langage formel puisé dans une multitude de sources, qu’elles soient littéraires, historiques, mythologiques ou audiovisuelles. Ces influences se conjuguent à travers les concepts de socle et d’espace, de couleur et de matière. Je tisse ainsi un univers onirique, à la frontière du tangible, explorant les rapports de force entre l’individu, les autres et le monde qui l’entoure. Mes œuvres questionnent la capacité de l’art à raconter des récits, des mythes fondateurs jusqu’aux mythologies personnelles, transcendant ainsi le simple récit narratif pour incarner des sentiments, des aspirations humaines et des interrogations métaphysiques.
Comment décides-tu du choix des émaux ?
La question des émaux est pour moi une exploration, une danse avec le temps. Parfois, je laisse mûrir une idée pendant des mois, voire une année entière, avant de l’exprimer à travers la couleur. Mon objectif est que la couleur, loin d’éclipser la forme, vienne sublimer le modelé, établissant ainsi un équilibre harmonieux. Je suis fasciné par la richesse plastique des émaux, ce qu’ils offrent à travers leurs recettes complexes et leurs mélanges subtils. Pour moi, la couleur et la forme sont indissociables, chacune enrichissant et mettant en valeur l’autre dans une symbiose créative.
Les aléas de la cuisson sont nombreux…
Le four représente à la fois le sanctuaire de toutes les espérances et le théâtre de toutes les désillusions. Les aléas de la cuisson sont nombreux, parfois source de réussites inattendues, parfois de déceptions… cuisantes ! La céramique est une pratique empirique, où chaque cuisson est une leçon à part entière, nous invitant à explorer les subtilités de notre médium et à repousser sans cesse les limites de notre savoir-faire.
Le titre de ton exposition est La tentation de l’équilibre. De quel équilibre s’agit-il ? Quand peut-on croire l’avoir atteint ? Où en es-tu de cette tentation ?
La tentation de l’équilibre incarne pour moi une exploration intime et poétique des notions d’harmonie et de discordance, de stabilité et de fragilité qui traversent mon travail artistique. Cette exposition rétrospective, qui retrace mon parcours de 2016 à 2024, offre un voyage au cœur de mon univers sculptural, façonné au gré de résidences et de collaborations artistiques (avec LE LOGOSCOPE, Laboratoire de recherche et de création, et l’EACV, école d’art céramique de Vallauris). Elle témoigne de ma fascination pour le monde onirique et de mon désir de saisir, dans la matière, l’essence même de nos aspirations et de nos tourments. À travers chaque œuvre, je poursuis inlassablement cette quête d’équilibre, parfois avec délicatesse, parfois avec audace, mais toujours avec une profonde sincérité.
De quels artistes te sens-tu proche ?
Je puise mon inspiration dans un vaste panorama artistique, mêlant les influences du passé et du présent pour créer des formes hybrides et singulières. Je suis particulièrement fasciné par l’œuvre visionnaire de l’artiste américain du début du siècle Georges Ohr, ainsi que par les travaux des Massier à Vallauris, et de Théodore Deck, dont les réalisations ont marqué l’histoire de la céramique. Dans un registre plus contemporain, le travail d’Anne Wenzel m’impressionne par sa puissance évocatrice et son exploration audacieuse des frontières de la sculpture. En dehors du domaine artistique, les univers sombres et fascinants de H.P. Lovecraft et de H.R. Giger alimentent mon imaginaire et nourrissent ma réflexion créative.
Jusqu’au 15 juin, Espace à vendre, Nice. Rens: espace-avendre.com – jprv.fr
photo : Jean-Philippe Racca Vammerisse © jpparingaux