Gilbert Pedinielli, l’énergie créative !

Gilbert Pedinielli, l’énergie créative !

L’artiste niçois expose jusqu’au 6 juin à la Galerie 10 Jean Jaurès de Nice. Mes Panthéons donne à voir deux périodes de son travail axées sur le nombre d’or et la suite de Fibonacci.

Gilbert Pedinielli est-il un activiste ? Un « artiviste » ? Plasticien depuis toujours, il fut un des fondateurs du collectif Calibre 33, au sein duquel il a milité pour un travail coopératif, pour la sortie de l’écosystème étouffant de l’Art Contemporain, mais aussi pour l’autonomie de l’artiste qui, en se regroupant, évite des intermédiaires qui trop souvent dévoient son discours. En somme Calibre 33 était une préfiguration des « artist-run spaces », ces lieux pour artistes inventés par les artistes… Ce pionnier n’a jamais rien lâché et reste convaincu qu’il faut faire coûte que coûte en restant libre. Il a organisé sa propre exposition comme à son habitude donc, dans un magasin de meubles vide…

Pour organiser tout cela en seulement 15 jours, Gilbert a compté sur des amis, car à plus de 80 balais, on peut bien faire, mais « vite » devient un challenge difficile à relever. Il a fallu re-designer l’espace tout en préservant son originalité. Un escalier central en colimaçon qui donne un certain charme a l’espace, perturbait pourtant la perception que l’on pouvait en avoir. C’est ainsi qu’un de ses amis lui a permis de le cacher avec une cloison provisoire qui vient clore la surface utile d’accrochage au rez-de-chaussée et permet de profiter pleinement du premier étage. C’est Benjamin Mondou qui l’a aidé pour la location du local que Robert Roux (Conseiller Municipal à la Ville de Nice) est parvenu à lui trouver, toujours dans le droit-fil de la belle énergie qu’il met pour aider les artistes.

   

Une autre façon de faire de l’art

Cette exposition est aussi à considérer comme une proposition pour que ré-existent à Nice des lieux tenus par des artistes indépendants du marché et de l’institution. Calibre 33 doit ainsi résonner comme un des fondements de cette affirmation, qui place l’artiste dans le « game » sans pour autant l’inféoder. Gilbert Pedinielli, reste avec tous les ceux du collectif un exemple qui pourrait être le fondement d’une renaissance, mais aussi la reconquête de la place de l’Art dans la société, une place qui serait déterminée par les artistes eux-mêmes et non par l’autorité ni le marché. Les artistes sont des chercheurs dont notre société a besoin, surtout en cette période où le modèle « néo-libéral », où le « capitalisme financier » a démontré ses limites, mais surtout un illogisme qui donne comme seule perspective un effondrement à plus ou moins long terme. Calibre 33, cette exposition, toute cette démarche ne pourraient-ils devenir les fondements d’une autre façon de faire de l’Art ? N’est-ce pas une chance de pouvoir construire un nouveau modèle avec ces fondements qui, maintenant, sont historiques ?

Dans cette exposition post-confinement, Gilbert Pedinielli donne à voir la période la plus récente de son travail. Les toiles libres et non enduites tracées au crayon, à l’eau et peintes à l’acrylique, évoquent un décor de théâtre léger et fragile, figurant la cité avec ses arcs de voûte, dans lequel l’artiste déploie ses panthéons. Punaisées au mur, elles se meuvent au passage du visiteur et à son souffle.  De Paolo Uccello à Paul Klee, de Otto Dix à Maïakovski, de Picasso à Sylvie Guillem, Pedinielli rend hommage aux artistes qui, du dessin à la peinture, de l’écriture à la danse, de la sculpture à l’architecture ont éclairé sa recherche et son travail. La permanence des préoccupations de l’artiste se lit dans cette période récente de son travail, référence au nombre d’or et à la suite de Fibonacci, rigueur et cohérence.

La Strada ne s’est pas autorisée à interpréter son intention et vous donne à lire le texte qui accompagne cette exposition.

Le Panthéon de Gilbert Pedinielli

Lors de son exposition de 2014 au CIAC de Carros, s’est écrit le premier chapitre de la nouvelle « histoire » de Gilbert Pedinielli avec : Un peu plus d’infini. La toile y cachait son propre dessin par l’intermédiaire de points établissant un abécédaire qui donnait du volume à un plan. Puis, Bleu, blanc, rouge, le nombre dor et les points de suspension évoquaient une manière autre de considérer le fond et la forme de l’œuvre. L’émergence de cette problématique s’est aujourd’hui renforcée.

Après Sommes et suites, vient la série de La grande porte, réalisation de 70 petits formats préparatoires au travail actuel (toile, peinture, crayon noir, photo). Celui-ci s’arc-boute sur des noms tirés de sa « mémoire collective » : Le Panthéon des personnages essentiels de la vie artistique, et de la vie tout court, de Pedinielli, chacun y figurant pour des raisons bien précises. Les peintres et les hommes y sont en majorité (simple reflet de l’Histoire en dépit de sa propre volonté et de son éducation). Écrivains, poètes, artistes, hommes ou femmes politiques, morts pour la plupart, peuplent cette page.

Le Panthéon comprend 27 unités. Chacune est composée de trois éléments, de dimensions différentes, mais proportionnelles, toutes punaisées, comme si elles n’étaient ici qu’en attente, en alerte, éphémère.

Une toile de 2m62 x 1m62, fixée au mur, reprend l’architecture typique d’une partie de la Ville, de ses arcs en plein-cintre, tel le rideau de scène d’une pièce de théâtre permanent se jouant dans cette Cité du 19e siècle. Ce pan sert de support à d’autres toiles accrochées sur ce décor élémentaire et artificiel, superficiel et factice, du vaudeville se donnant aux yeux de l’artiste de façon récurrente. Tel le fond du nouveau moment de son travail.

L’ensemble comporte deux sous-titres : Aux Artistes, la Cité reconnaissante et Fragments. Le premier s’adresse à la métropole, assise d’une grande partie de sa vie artistique. On y perçoit l’évocation des relations difficiles entre le créateur et sa ville natale, de ses rapports amour/haine entretenus depuis l’enfance sans renoncement ni fuite. Lien qui, présent depuis chacune des périodes précédentes, devient la base de son dernier travail. Clin d’œil inversé à la capitale.

Fragments désigne chaque pièce, composée d’une ou plusieurs toiles superposées, mais indépendantes entre elles, jouant de son espace et de la disponibilité du lieu, ce qui influencera le nombre, la structure et la compréhension des œuvres. Le mot Fragments signale la structure d’une pièce modulable et visible par partie ou en composition. Ainsi, l’exposition agencée de manière différente, dans la hauteur, dans l’extension et dans sa propre densité devient Installation.

Le travail peut se lire par extraits dans l’espace et le temps dès lors qu’on peut soulever la ou les toiles qui forment un tout, qu’on peut toucher pour saisir. En effet, il faut s’approcher, relever, regarder, mettre en mémoire les données, reculer pour percevoir à nouveau la globalité. Autant de gestes qui impliquent des allers-retours du corps et de l’esprit, des interrogations s’engageant plus avant dans la capture compréhensive. A-t-on bien placé dans leur contexte les éléments perçus ? Question essentielle que se pose chacun au quotidien.

Comme tout a été dit sur la découverte ou la connaissance de l’Art, du non-Art et du pseudo Nouveau technologique, seuls le voyage, l’aventure, le tracé personnel, le trajet avec l’Autre, deviennent  intéressants. Seul le pas de côté est l’ultime recours dans la fréquentation des grands chemins encombrés de l’art-contemporain-fortement-industrialisé.

Il convient donc, à partir d’un point de vue, de regarder, observer, examiner, aller plus avant dans Le Dire. Pour ce faire, il faut un appui. « Se nourrir de la pensée et de l’œuvre des maîtres anciens » (Thomas Bernhard) n’est pas passéiste, mais énonce la volonté d’élaborer les arguments qui deviendront le coin à insérer dans une faille en vue de pénétrer le réel pour le déconstruire et le reconstruire : « N’ajoutons pas le chaos au chaos. Dénoncer le chaos nest plus suffisant. »

Cette remise en perspective de l’art suppose une remise en question de sa faisabilité, de son contenu, de sa production-diffusion. L’artiste ne peut plus se copier lui-même, bégayer, produire des images sans devenir simple rouage ou artisan du système. En contrepartie, l’exercice de la pensée devient urgent face au foisonnement de clichés pauvres de sens, au nombre de signes de peu de signification. La rupture, d’avec les habitudes du regard porté sur l’œuvre et de son appréhension, assure au créateur une plus grande liberté d’action et donne au spectateur un nouveau mode d’exploration.

Pour Gilbert Pedinielli, l’Art devrait s’assigner pour but de mettre en ordre un discours tendant à remettre à sa place le monde (et non plus se contenter d’être en phase avec, ou témoigner du monde). Ce chapitre III se termine par :
— Un artiste peut-il se satisfaire de cette réalité ?
— Ne soyez plus là où on vous attend !
— Vous vous souviendrez d’un temps où nous nous appelions encore des artistes.
— Alors, abattons le monde ancien, faisons-le sereinement…

Artistes : Marcel Duchamp, Sylvie Guillem, Sandro Botticelli, Leonardo da Vinci, John Hartfield, E. Lissitzky, Alexander Rodchenko, Paul Klee, Vladimir Maïakovski, Georges Grosz, Otto Dix, Louis Aragon, Frida Kahlo, Rosa Luxembourg, Paolo Uccello, Man Ray, Piet Mondrian, Fernand Léger, Thomas Bernhard, Antoine Mambrini, Marilyn Monroe, Yves Klein, Pablo Picasso, Jean Prouvé, Kasimir Malevitch, Piero della Francesca, Wassily Kandinski, Jean Luc Godard
Jusqu’au 6 juin, Galerie 10 Jean Jaurès, Nice. Rens : 06 82 15 09 46