Théâtres en Dracénie : l’ivresse du jour d’après

Théâtres en Dracénie : l’ivresse du jour d’après

C’est sous ce slogan, et non sans plaisir, que Maria Claverie-Ricard, directrice de Théâtres en Dracénie, a présenté le programme de la saison 2020-2021 qui s’installera au Théâtre de l’Esplanade, et dans quelques lieux de l’agglomération dracénoise, dès le 3 octobre prochain.

Une manière particulière d’occuper l’espace et le temps. Ce pourrait être une définition du spectacle, où tout est couleur, visuel, musique, parole… On s’en rend compte, comme souvent, lorsque tout s’arrête. Lorsque tout s’est arrêté, pour les Théâtres en Dracénie, comme pour les autres scènes, depuis le 16 mars. Finis tous ces joyeux bruits et cette fureur du jeu. Une blanche, une pause, dit-on en musique… Rien de plus vide, de plus triste, certes, qu’une salle de spectacle inoccupée. Et par contraste, pas de joie plus pure pour nous, que de revenir communier ici. Mais qu’a-t-on appris de cette période blanche, finalement ? Qu’il est bon parfois que le temps suspende sa course et s’amollisse, comme s’amollit Oblomov sur son divan. Que lorsque l’espace et le temps stoppent leur course, il est bon de laisser sa rêverie prendre le dessus et vagabonder, aux delà des contraintes monde extérieur. Que l’imagination, davantage que n’importe quel autre pouvoir, sauvera l’esprit aux prises avec les turpitudes de la vie, même si l’on nous enchaîne. Bienvenus en terre dracénoise, donc !

Pour une saison 2020-2021, où nous retiendrons comme maître mot le plaisir. Le plaisir d’être là. Le plaisir épique et solaire de l’exécution d’un côté : admirez ces danseurs, ces acrobates, ces comédiens tout flamboyants ! Le plaisir sensitif de la contemplation et du rêve, d’un autre côté, et de tout ce qui peuple le mystère de nos nuits.

45 raisons de rêver

Que se passe-t-il ce soir, au bout de ce sentier, dans cette forêt ? On y prépare les funérailles de Miss Betty. Brrr, on en frissonnerait, mais de joie, seulement, car c’est la Nuit du Cerf, avec le Cirque Leroux, et les acrobates vont préparer le passage de vie à trépas de la défunte à leur manière, en grimpant aux murs, aux lustres, et autres prodiges qui défient les lois de la gravité. Restons sur ces rivages nocturnes. Il y a Ether, de Fanny Soriano, et ses deux acrobates en suspension dans un décor lunaire. Il est question ici de découvrir l’altérité, entre fusion et discorde, dans un univers plus sensible que palpable. La nuit est aussi la muse que Yael Naim a choisi pour son nouvel opus. Soit une véritable immersion dans les bruits et la musique nocturnes au son des NightSongs hypnotiques…

On aime ce monde, parce qu’au crépuscule, la nuit fait écrin à l’intimité, au secret, à ce qui se révèle une fois le soleil couché. Système Castafiore plonge encore plus profondément dans la grande noire, en puisant dans les songes la matière de sa nouvelle création : Anthologie du cauchemar. L’onirisme était déjà le domaine privilégié de Marcia Barcellos. Aujourd’hui sa scénographie saisissante s’inspire de l’interprétation du rêve et du pouvoir consolateur du cauchemar… Faites de doux et noirs rêves hantés… La Batsheva Dance Company, star de la saison chorégraphique (qui verra par ailleurs le festival L’ImpruDanse dérouler sa 5e édition), s’affranchit elle aussi des lumières du jour pour rester dans les obscurs. Vêtus de noir, les danseurs de Ohad Naharin entraînent le spectateur dans une bulle de contemplation, où le beau est roi.

Si l’on aborde le thème de la rêverie, et du rêveur, on arrive directement à Monsieur X, alias Pierre Richard. Mathilda May lui a écrit une pièce sur-mesure, où il incarne un homme très, très lunaire. Enfermé dans son appartement-tour d’ivoire, il y laisse objets et souvenirs prendre vie de manière bien plus éclatante que la réalité qui l’entoure. Drôle et touchant pour tous les Pierrot de la Lune enfouis en nous. Autre célèbre habitant du blanc satellite, Oblomov fait un passage sur la scène, quittant un instant la matrice bienfaisante de son intérieur pétersbourgeois. Sous l’impulsion de Robin Renucci, l’aboulie du célèbre jeune indolent n’aura pas pris une ride, en ce siècle où la prise d’action est vécue comme terrifiante par tant de personnes qui préfèrent buller à la maison, loin des problèmes, et des idylles…

On le voit, Théâtres en Dracénie fait la part belle à l’onirisme, car c’est une voie royale vers la fantasmagorie la plus débridée, mais l’éclat de l’épopée, de l’action, de la fête et du rire seront là aussi, et de manière éblouissante. La Guerre de Troie, épopée d’entre les épopées, sera narrée, mais « en moins de deux ». C’est donc à un rythme enragé que l’on en découdra, autour du cheval du même nom et d’Hélène, la fille à problèmes. De là, sous un ciel tourmenté, on appareille directement pour La Tempête, de Shakespeare, qui ne sera que plaisir de jouer, fête collective et joie du théâtre, de l’aveu de la metteuse en scène Sandrine Anglade. Autre grand classique, éclairé quant à lui de toutes les lumières de la raison pensante et agissante : Les femmes savantes viendront donner du fil à retordre à la dialectique de Molière, gouailleuses, maîtresses des alexandrins, et attablées sans autre artifice dans une cuisine.

Parmi les plaisirs qui octroieront un petit supplément de soleil cet automne, citons la comédie musicale Airnadette, sous-titrée épopée (mais rock’n’roll), qui revient avec Le pire contre-attaque. L’art saltimbanque, la danse et le cirque, ADN du théâtre de Draguignan, y ont une large part avec une programmation foisonnante. Mais si l’on devait terminer sur un dernier éclat, comme un point de jour à l’horizon, ce serait Mademoiselle Julie. Écriture de Steinberg, jeu d’Anna Mouglalis, mise en scène de Julie Brochen, tout y inonde l’âme et le coeur de lumière. Finalement, entre clair et obscur, intellect et sensibilité, ne choisissez plus. Calez-vous dans votre fauteuil, et rêvez. Ici c’est permis, et même recommandé.