[Dossier] Prova d’orchestra à Cannes !

[Dossier] Prova d’orchestra à Cannes !

La pandémie et sa cohorte d’obligations dues au respect des mesures de sécurité sanitaire ont occasionné nombre d’annulations de festivals et interdictions d’événements. Continuer à « vivre ensemble » est important, afin que la distanciation n’engendre pas un des plus grands traumatismes de ce 21e siècle dans la population. La ville de Cannes et l’Orchestre de Cannes ont donc fait preuve de créativité pour nous offrir deux événements publics en plein air, sur des sites facilitant le respect des gestes barrières. Avec ces deux concerts exceptionnels et ces expositions déambulatoires s’invente une forme débridée de diffusion, sur des thèmes et idées atypiques, pleines de poésie, avec toujours l’excellence pour éthique. La Strada ne pouvait pas rater l’hommage à Fellini et Nino Rota qui furent les génies du film qui a donné son titre à notre journal : La Strada. Quant au projet Grand Ensemble, louons cette vision de l’urbanité où les codes du spectacle, et ceux de notre quotidien, sont cassés au bénéfice d’une approche humaniste et libertaire de notre environnement et de notre vie de tous les jours.

Être ensemble, c’est grand !

Pierre Sauvageot est directeur de Lieux Publics, Centre National des Arts de La Rue, mais aussi et surtout un musicien atypique. Il a eu l’idée de créer Grand Ensemble, un spectacle insolite qui se tiendra littéralement au coeur d’un immeuble du quartier des Mûriers à La Bocca, et qui en cette période de « modification de la distanciation sociale » vient à point nommé pour nous interroger sur nos liens sociaux, sur la création, la diffusion, et sur l’Espace public.

Ce titre induit plusieurs significations : Ensemble, le vouloir-vivre commun, mais aussi Grand Ensemble qui rappelle les cités, les quartiers, les grands ensembles, et cette façon qu’ont les humains de vivre les uns sur les autres. Et si l’on creuse encore, il y a enfin la notion de grand ensemble musical, de grand orchestre… Ainsi, peut-on considérer l’immeuble comme un lieu où les gens se croisent presque sans se voir, où la vie de l’immeuble se répercute, lointaine et régulière.

Sur les balcons, les musiciens de l’Orchestre de Cannes au grand complet avec ses signes distinctifs : queues de pie et robes longues, ses sonorités reconnaissables avec ses instruments emblématiques. Le public quant à lui est installé au pied et en face de l’immeuble dans des chaises longues pour écouter… Ce dispositif, imaginé il y a quelques années par Pierre Sauvageot, permet pourtant de pouvoir appliquer les contraintes sanitaires du moment.

L’incroyable situation d’un orchestre réparti aux balcons d’un immeuble prend une saveur et une dimension toutes particulières. Le matériau musical est double : bruits, sons et paroles de l’immeuble d’une part, instruments classiques d’autre part. On pourra entendre les sons des habitants comme support rythmique, les sonneries de téléphones en base harmonique, les pas dans l’escalier comme tempo, les vocalises sous la douche comme soprano colorature, les pleurs des bébés comme mélopées… Cette orchestration spatialisée généralement réservée à la musique électro-acoustique, favorise une composition spécifique au contexte. La situation permet également des effets orchestraux spectaculaires : étages se répondant les uns aux autres, mélodies circulant de fenêtre en fenêtre, rythmiques découpées par cages d’escaliers, mélodies de timbres, motifs répétitifs traversant les pupitres…

Sans chef d’orchestre pour être au plus près du public, presque comme par magie, ces personnages vont tour à tour faire entendre des sons domestiques, des bribes d’une fugue de Bach, des jeux d’improvisation avec des instruments venus de tous les continents, des jouets d’enfants, des litanies répétitives. Ou, délaissant leurs instruments, jouer avec leurs voix ou leurs gestes. Ceci n’aura été possible que grâce à un travail de préparation tout à fait étonnant. Les habitants de l’immeuble n’ont pas été sollicités uniquement pour prêter leurs balcons, ils ont fourni une partie du matériau sonore et musical, tour à tour objets et acteurs de la création. La matière sonore de l’immeuble et de ses habitants fait partie des éléments de la composition. Pour cela, un travail préparatoire de rencontres et d’enregistrements vient impliquer les habitants dans l’écriture de l’oeuvre qui sera légèrement différente d’un lieu à un autre. Votre nom ? Votre prénom ? « Allo« , « Bonjour » et « Au revoir » dans toutes les langues que vous parlez, par exemple ? Puis ces bruits ou ces paroles sont travaillés afin de leur donner une valeur musicale sans perdre la valeur dramatique du concert : les pleurs de l’enfant sont harmonisés jusqu’à devenir mélodiques, les portes qui grincent sont autant de cordes frottées, les aboiements donnent le tempo, les sonneries de téléphone se mixent en matière symphonique.

Ce travail documentaire s’enrichit dans chaque ville d’accueil, dans chaque immeuble mis en jeu, dans la langue de chaque pays traversé. Grand Ensemble est une oeuvre composée, qui se recompose à chaque nouveau concert en fonction des différents contextes : langue, taille de l’immeuble et nombre de balcons, sons spécifiques.

26 sep 16h30 & 18h15, Les Mûriers Nord – bat. G, Avenue des Cigales, Cannes La Bocca. Rens: orchestre-cannes.com
(photo : Grand Ensemble © Kim Matthai Leland)

Donnez-nous aujourd’hui notre son quotidien

Nous avons rencontré Pierre Sauvageot le créateur et le metteur en scène de Grand Ensemble, qui verra les musiciens de l’Orchestre de Cannes jouer chacun sur le balcon d’un immeuble, transformant ce dernier en une scène atypique pour un public allongé sur des chaises longues face à ce bâtiment…

Pierre Sauvageot est directeur de Lieux Publics, centre national des arts de la Rue basé à Marseille. Il est musicien autodidacte, poète, inventeur. Il est de cette nouvelle vague des Arts de la Rue qui a déjà vu les gens de théâtre et de la danse les animer. Comme il le dit, l’avantage de travailler sur un matériau musical, c’est d’être moins lié à un propos, même si bien entendu il y en a toujours un dans ses créations. La musique est plus « subliminale« , elle n’a pas besoin comme le théâtre « d’appuyer sur des clous jusqu’à en être quelquefois un peu lourd« , indique-t-il. Ainsi, face à Grand Ensemble, la plupart des gens sont pris à rebours, assistent à quelque chose à laquelle ils ne s’attendaient pas. Il y a quelque chose qu’ils ont du mal à nommer, car ils ont à la fois le plus chic et le plus populaire qui sont réunis au même endroit.

Casser les codes

Il peut parler ainsi, car Grand Ensemble a été jouée plus d’une dizaine de fois, à Paris, Marseille, Copenhague… Cette pièce s’enrichit à chaque passage des sons du quotidien de chaque immeuble où elle s’est installée. Elle fonctionne sur des paradoxes qui étonnent et cassent les codes usuels de chacun. En effet, les musiciens classiques s’introduisent dans un appartement pour jouer sur le balcon. Les musiciens classiques ont permis cela, car ils bénéficient d’une caution « sérieuse » chez tout un chacun, même si les gens chez qui ils vont n’en écoutent pas, ou tout juste par le biais des musiques de films et de pubs, sans même s’en rendre compte.

Il faut bien comprendre que ce contact direct avec des auditeurs peut être interprété comme un coup de boost donné à ces derniers. Il n’est pas étonnant que Benjamin Levy, directeur artistique et chef de l’Orchestre de Cannes, ait eu un coup de foudre pour cette création, car il n’apprécie pas particulièrement la formation imposée sur scène à un orchestre et les codes, comme l’habit classique… C’est l’occasion de séparer les musiciens les uns des autres, mais aussi de mêler les sons de l’orchestre à ceux du quotidien, qui n’ont rien de passionnant pour eux-mêmes, mais qui prennent justement une valeur particulière, parce qu’on les entend dans ce cadre-là.

Sensibilité au lien social

Cette pièce jouée en cette période de « modification du lien social » par les gestes barrières, par la méfiance face à la Covid, par le port du masque, etc., a été écrite bien avant. Il y a chez Sauvageot une hyper sensibilité au lien social qui, sous l’éclairage de la pandémie, prend une force incroyable. En effet, pour lui, il y a quelque chose de fascinant dans les façades d’immeuble, car il y en a partout : les gens qui y vivent les uns au-dessus des autres, qui ne s’adressent pas la parole, et tous les bruits parasites, lui ont donné cette idée. D’ailleurs quand on lui parle confinement, il se rappelle ces rendez-vous de 20h où les gens sortaient pour taper sur des casseroles, applaudir : « Ils se retrouvaient entre eux, communiquant en se faisant des signes ou avec un « service minimum », en tapant sur des ustensiles. C’était émouvant… J’habite le centre de Marseille, et il y avait de très beaux sons comme les sirènes de bateaux qui sonnaient à 20h… ». Il a d’ailleurs essayé de penser à une mise en scène à ce sujet. Mais c’eut été « trop« , il n’avait « pas envie de tirer la couverture, de faire le malin… »

Il a bien eu raison, car Grand Ensemble parle de tout ça : de la vie en commun dans un immeuble, de la musique classique, du rapport au quotidien, des sons de la ville qui sont la bande-son de nos propres vies, de l’apport de la création et de la musique classique dans le quotidien, et du collectif, qu’il soit citoyen dans un immeuble ou musical dans un orchestre. Et puis surtout, les gens qui assisteront à cet événement n’auront ni brochure de présentation ni programme. La pièce n’aura pas été présentée par des « éléments de langage », chacun devra la prendre comme elle vient, sans code prédéterminé comme pour les spectateurs qui sont dans une salle et qui savent ce qu’ils vont voir parce qu’ils l’ont choisi. Que rêver de mieux que créer ce moment désiré ou non, apprécié ou non, pour lancer le débat, l’échange et tout compte fait… vivre ensemble !

(photo: Pierre Sauvageot © Maxime Demartin)

Au son du 7e art

À l’occasion des Journées du Patrimoine et du centenaire de la naissance de Fellini, un hommage à ce dernier et à son compositeur fétiche Nino Rota, dans la ville du « Festival des Festivals », phare du cinéma mondial, semble tout à fait naturel. Il fallait tout de même que la Ville et l’Orchestre de Cannes y pensent et parviennent à créer un événement convivial qui respecte les règles de sécurité sanitaire.

La cité azuréenne et la phalange cannoise ont eu l’idée lumineuse de profiter de la journée du patrimoine et du centenaire de la naissance de Fellini pour imaginer cet hommage. Il ne faut pas oublier que ce monument du 7e art, Federico Fellini, a signé des chefsd’oeuvre intemporels dont l’un des plus célèbres, La Dolce Vita, a reçu une Palme d’Or au Festival de Cannes. Ce qui rend encore plus émouvant cet événement, c’est qu’il a été conçu de manière à respecter toutes les mesures de sécurité sanitaire en cette période de pandémie, mais n’en perd pas pour autant sa convivialité ; il y a même gagné une originalité particulière avec deux événements simultanés qui se dérouleront en extérieur : un concert gratuit ouvert à tous qui présentera les bandes-originales signées Nino Rota pour les films de Fellini, avec en illustration des photos projetées sur grand écran des dits-films et une exposition photographique déambulatoire sur la Croisette.

Fellini sur la plage

C’est dans un cadre idyllique, avec la mer d’un côté, La Croisette de l’autre, que les spectateurs pourront assister à un concert exceptionnel installés dans des transats sur la Plage Mace, face à une scène spécialement montée pour l’occasion et un écran géant, avec en contrechamps l’iconique Palais des Festivals de Cannes et son célèbre tapis rouge cher au coeur des cinéphiles de la Planète. Sous la baguette de son directeur musical Benjamin Levy, l’Orchestre de Cannes, interprétera des extraits et des suites tirés des musiques de film composées par Nino Rota pour les films de Federico Fellini : de La Dolce Vita à Casanova en passant par Les Clowns, La Strada, Prova d’orchestra, Huit et demi et bien d’autres…

Fellini et Rota sont un des duos les plus magiques du cinéma. « Il n’a jamais pu regarder un de mes films par avance. Pourtant, il était le compositeur des plus inoubliables mélodies de mes films. Il me demandait juste quelques indications, quelle atmosphère je voulais développer dans tel ou tel film, et il composait des musiques dont on pouvait penser que je les avais écrites moi-même« , disait Fellini de Rota. Ce « conte cinématographique » a commencé dès le deuxième film de Fellini : Le Cheick Blanc. Ce véritable coup de foudre créatif a eu lieu à Rome, dans les bureaux du réalisateur. Dès lors, ces deux compères aux personnalités totalement opposées, Fellini le colosse rageur passionné et Rota petit bonhomme discret et rêveur au regard tourmenté, ont donné naissance à des chefs d’oeuvre. C’est en 1960 que La Dolce Vita scelle leur triomphe. Comme le dit le journaliste Jean-Alphonse Richard : « La Dolce Vita, chronique scandaleuse des nuits romaines avec le duo Marcello Mastroianni – Anita Ekberg, balaie le Festival de Cannes et empoche la Palme d’Or. Un metteur en scène qui filme de la musique, un compositeur qui joue sur des images : la suite va être encore plus étourdissante. À croire que des anges veillent sur ce couple qui n’enfante que des succès. Trois ans après La Dolce Vita, voici venu Huit et demi. La musique, qui sonne comme une cavalcade, est écrite après des heures de silence, de regards et de discussions. Il faudra une journée pour trouver le thème d’Amarcord. Les deux hommes travaillent ensemble. Sans Fellini, pas de Rota. Sans Rota, pas de Fellini. Et voguent ainsi le navire amiral du cinéma et ses deux capitaines. Après la mort du musicien en 1979, à 67 ans,Federico ne sera plus tout à fait le même. Il cherchera ses mots autour d’un piano vide. Il meurt 14 ans plus tard. Il avait demandé que la musique de Nino l’accompagne jusqu’à sa dernière demeure. »

Gageons que sous le ciel nocturne, ces deux étoiles, qui s’en détachent, puissent briller à l’endroit qui les révéla au monde entier pour le plus grand plaisir des heureux spectateurs qui assisteront à cet événement qui sera aussi historique qu’émouvant.

Fellini sur la Croisette

L’ami Fellini : Parcours aller — 14 clichés
Première flânerie visuelle qui propose des images rares de Federico Fellini avec ses amis artistes : Nino Rota, bien sûr, mais aussi Andreï Tarkovski, Balthus, Luchino Visconti, Anita Ekberg, Marcello Mastroianni, Alberto Moravia…

Fellini en Coulisses : Parcours retour — 15 clichés
Seconde déambulation qui permet de découvrir Federico Fellini dans son univers : le tournage. On le découvrira sur les plateaux de La Dolce Vita, La Strada, Otto e mezzo, Casanova, Amarcord, Satyricon

Fellini sur la Plage : 19 sep 21h, Plage Macé, Cannes. Entrée libre sur réservation impérative à info@orchestre-cannes.com / Fellini sur la Croisette : 19 sep au 6 oct, exposition déambulatoire sur La Croisette, Cannes. Commissariat d’exposition : Fondation Fellini Fonds Photographique – Mairie et Orchestre de Cannes. Rens: orchestre-cannes.com & cannes.com
(photo : Federico Fellini © Fondation Fellini pour le cinéma, Sion – Pierluigi Pratulon)

Autour du centenaire Fellini

De nombreuses activités ont eu et auront lieu autour de cet événement : en août des enfants (7/11 ans) ont réalisé un court métrage, d’autres du même âge ont appris à concevoir une affiche de film, et 3 groupes (8/11 ans, 12/14 ans et 15/18 ans) ont pu participer à des ateliers de clown, comme un hommage à Giulietta Masina dans La Strada… À venir :

Ciné-Conférence
Cinéphile engagé, conférencier et auteur d’ouvrages consacrés au 7e Art, Vincent Jourdan animera la conférence Prova d’orchestra de Federico Fellini, la solitude du metteur en scène. En partenariat avec Cannes Cinéma, cette conférence sera précédée de la projection du film Prova d’orchestra de Fellini et de la présentation du documentaire Fellini degli Spiriti d’Anselma dell’Olio, issu de la sélection Cannes Classics 2020.

29 oct 15h, Théâtre Alexandre III, Cannes. Rens: cannes.com

Atelier d’écriture
Cet atelier aura pour vocation de travailler sur une réinterprétation de La Strada dans le monde d’aujourd’hui. Appropriation du thème de l’oeuvre cinématographique, des personnages qui portent le message et de leur psychologie, rédaction d’un scénario et de dialogues seront au coeur de cet atelier.

À l’automne — MJC Picaud, Cannes. Pour les 14 – 18 ans. Rens: mjcpicaud.fr

Culture à tous les étages

Maud Boissac, directrice des Affaires Culturelles de la Ville de Cannes, nous avait livré l’an passé le contenu de la nouvelle politique culturelle de la ville de Cannes axée sur l’éducation artistique et culturelle (cf. La Strada n°320). Celle-ci comprend bien entendu les jeunes gens, mais aussi les publics non initiés à la chose culturelle. Ce double événement de l’Orchestre de Cannes prend tout son sens sous l’éclairage de cette stratégie qui garantit la qualité au plus grand nombre et remet la culture au centre de la vie de la Cité. Nous l’avons rencontrée…

Grand ensemble

Cette création est importante pour la Ville de Cannes, car elle se situe dans la volonté d’étendre et de généraliser l’éducation artistique et culturelle à tous les jeunes scolarisés et de prendre en compte les différents temps de l’enfant : temps scolaires et périscolaire, temps libre et familial. S’il est normal de diffuser des spectacles dans des lieux dédiés au jeune public et aux familles, la volonté d’aller vers les jeunes a conduit la ville à le faire dans des lieux publics. C’est pour cette raison qu’ouvrir la saison avec l’Orchestre de Cannes et ce projet Grand Ensemble, dans et face à un immeuble, en accentuant la collaboration avec les acteurs cannois, semblait très pertinent à la Ville de Cannes et à son maire David Lisnard. D’ailleurs, de nombreux lieux publics non dédiés à la diffusion sont de plus en plus programmés afin d’accentuer l’accessibilité au public en mêlant la création à son quotidien : Marché Fortville, Monastère Ste Marguerite, Hôtels

Pour Grand Ensemble, l’appel fait à des musiciens classiques a facilité la collaboration des habitants qui ont ouvert leurs portes et leurs balcons, valorisés qu’ils sont par une telle présence, à l’instar des musiciens qui connaissent une proximité inhabituelle avec leurs auditeurs. « Grand Ensemble illustre bien ce projet-là : on rentre chez un habitant pour jouer sur son balcon, on entre dans sa sphère privée. Cela convient complètement à notre politique puisque l’appropriation par le public, dans ces conditions, est totale : accueillir des musiciens chez eux et faire que leur immeuble devienne une scène de musique…« , reconnaît Maud Boissac.

Il est aussi question d’installer le débat dans l’espace public, car les spectateurs installés dans une chaise longue face à l’immeuble ne savent pas exactement ce qu’ils vont voir. Ils ne sont pas à un spectacle choisi, dans une salle de spectacle. Cette situation provoque des réactions immédiates qui permettent d’ouvrir le débat et d’être dans une relation humaine autour de l’oeuvre beaucoup moins aseptisée. C’est aussi une manière pour l’équipe de la culture de la ville de Cannes de pouvoir donner un nouveau sens à son action en faveur de la Culture grâce à l’analyse de ces réactions.

Généralisation de l’éducation artistique et culturelle

Cette méthode donne des fruits plus que positifs, car depuis un an les initiatives qui s’inscrivent dans cette stratégie échappent totalement à la cellule « experte », produisant cette généralisation qui améliore et crée le lien social. « Il y a une appropriation de cette politique par le secteur privé et associatif : opérateurs culturels, mais aussi entreprises. Cette transmission est au coeur du fonctionnement des structures cannoises : Orchestre, Pole Régional De Danse Rosella Hightower, l’ERAC, Cannes Cinéma (pôle régional d’éducation à l’image)… On mutualise nos moyens, on amplifie l’offre culturelle en direction du jeune public, et l’offre d’éducation artistique et culturelle en mettant en avant nos complémentarités et nos savoirs faire différents, mais complémentaires. »

Preuve en sont les ateliers organisés par l’Orchestre de Cannes, autour de Fellini et Rota, avec nombre d’acteurs culturels cannois sans passer par le département des affaires culturelles. Et c’était bien la clef de voûte de cette politique : ne pas mettre en place une stratégie développée autour d’une cellule experte, mais parvenir à créer une action spontanée et transversale par tous les acteurs de la vie cannoise en faveur de la généralisation de l’éducation artistique et culturelle. Belle victoire qui devrait faire comprendre au national que la Culture devrait, à l’instar des politiques de la Ville, avoir un Ministère transversal, où, aussi bien l’économie que le social et le travail devraient être concernés par cette thématique. D’ailleurs, le manque de culture à cause des problèmes sanitaires ne se fait-il pas sentir : la montée d’incrédulité et d’incivilités n’est-elle pas due à une frustration des Français face à l’impossibilité de se réunir pour échanger ? La création qui ne peut être diffusée ne serait-elle pas un moteur du vouloir-vivre commun ? Il est grand temps de s’en rendre compte. Cannes fournit une réponse qui nous laisse plein d’espoir.

(photo : Maud Boissac © Ville de Cannes)