Jours étranges

Jours étranges

Mohamed Rezkallah est auteur de romans et nouvelles. Il est originaire de l’Ouest de Nice, du quartier dont je suis issu, que l’on nomme Les Moulins et qui a déjà donné des talents remarqués comme Abdellatif Kechiche au cinéma. Il sort aujourd’hui Jours étranges.

Mohamed Rezkallah est le dernier d’une famille de 6 enfants dont les parents ont quitté l’Algérie dans les années 70. Il travaille aujourd’hui là où il a grandi, avec les jeunes. Il ne se prédestinait nullement à l’écriture, mais le hasard a fait le reste. La première fois que les livres l’interpellent, c’est lorsqu’un voisin lui montre le résultat d’un menu larcin : un sac dans lequel se trouve un bouquin de Dostoïevski… « C’était comme un rideau qui s’ouvrait, je me suis retrouvé face à un abysse insondable, un trésor effrayant. Puis je l’ai rapidement refermé, et j’ai oublié« . Ce n’est que des années plus tard, immobilisé par un accident, qu’il se met à écrire…

Juin 2020, Mohamed Rezkallah sort son 7e ouvrage, Jours étranges, roman policier qui s’inspire de sa propre vie, de son entourage, de ses désirs, de ses doutes, de ses peurs. Il parle assez crument du traitement qu’il a réservé au personnage principal, Phil Daraka, dont il dit vouloir sonder l’âme humaine en partant d’un vide-ordures : « Le vide-ordures, pensez-y. N’est-ce pas un moyen extraordinaire de se débarrasser de nos ordures ? De ce qui nous dérange ? Mais personne ne pense au voyage du sac poubelle, une fois qu’il plonge. Il ne disparaît pas. Il continue son chemin. C’est un autre monde. Bien réel. Tangible. Uneautre voie. Dont tout le monde se fout. Phil Daraka est un de ces déchets. En écrivant ce roman, je me sentais comme le dernier éboueur sur terre dans l’obligation de s’occuper des ordures. C’est une tâche ingrate, mais il faut bien que quelqu’un le fasse. » Son message est clair : « Nous vivons dans un monde violent. Ne pas être confronté à la violence ne veut pas dire qu’elle n’existe pas. Elle est souvent plus proche de vous que vous ne l’imaginez. Ça peut être un voisin, un passant, votre patron… Regardez autour de vous, intéressez-vous à ce qui vous entoure. L’autre est un reflet, vous pouvez y apprendre beaucoup sur vous et sur le monde. Faire cela, c’est prendre soin de soi et de l’humanité. C’est être responsable. Car si vous ne prenez pas le volant de votre vie, quelqu’un d’autre le fera à votre place. Ne jugez pas sur les apparences. »

C’est son existence et sa connaissance de certains lieux, de certains moments, qui donnent au roman de cet autodidacte le sceau de l’authenticité. Il y a beaucoup à apprendre en le lisant. Trop souvent, certains leaders parlent du « petit peuple » sans savoir, sans connaître les gens. Il y a tant de souffrance qu’on saisira enfin peut-être pourquoi certains résidents de ces quartiers ne comprennent pas la peur ou la haine qu’ils suscitent parfois auprès des décideurs qui se permettent de parler de “ceux qui ne sont rien“, ou d’invoquer le recours à la force pour mâter la population de ces ghettos modernes. Un beau rêve, la littérature pour sauver l’Humanité… Mohamed Rezkallah est un de ces traits d’union entre les populations, un de ces poètes engagés pour la cause du vouloir-vivre commun.

Jours étranges, Mohamed Rezkallah, 296 p., Sellhopes éditions