Sam Karpienia : transe du sud et métissage

Sam Karpienia : transe du sud et métissage

Sam Karpienia, c’est le feu ardent de la voix, la musique qui vous emporte et vous brûle d’une flamme salvatrice dans une transe qui convoque aussi bien le gnawa, le flamenco et le blues. Un artiste atypique comme il y en a peu, sans concession et qui sait mêler les cultures du Sud pour en faire une musique et un son qui toujours se renouvellent. Il a commencé avec Gacha Empega, puis Kanjar’Oc, Dupain, Forabandit, De la Crau… Le voilà en (quasi) solo avec Basta de Trabalhar, chez Fatto in Casa, le label de Coaraze, accompagné par un ovni : la gadulka de Pauline Willerval.

Karpienia est un nom d’origine polonaise, hérité de son grand-père qui débarqua en Normandie. Sam est né à Évreux et ses parents tenaient une poissonnerie à Bédarrides. Il a toujours entretenu un lien particulier avec la mer, et d’ailleurs embarquera quelques années sur un bateau de la marine marchande. Sam est presque un autodidacte. Son premier instrument, c’est la guitare électrique. « Je me suis mis à la guitare avec des tutos. J’ai repris du Piazzolla. » Pour le rythme, Sam se met aussi au tambourin qu’il jouera beaucoup dans Dupain. Puis la mandole acoustique, l’oud et dernière découverte : le Cuatro, un instrument originaire du Venezuela qui, comme son nom l’indique, comprend quatre cordes. « Ce qui me manquait c’était le rythme. Pour partager quelque chose de festif.« 

Mais ce qui le caractérise le plus, c’est sa voix. Au début timide, son envie de chanter était pourtant très forte. Il a fallu un peu d’alcool pour débrider cet « organe ». Puis il y a eu le concert de son pote Manu Théron. Depuis le bar, il se met à hurler. Manu lui dit qu’il devrait essayer de chanter. « C’était de la polyphonie, je n’étais pas seul. » Au début, on lui dit : « Tu chantes comme un noir ! » Sacré compliment. La chrysalide fragile devient alors un artiste caméléon. « La meilleure école, c’est la scène. La voix, il faut que ça touche. » Petit à petit, le chant se libère de la timidité. « Camaron de la Isla, pour moi, c’est le maître inégalable. Le flamenco, c’est une espèce de cri qui sort comme ça. La violence est présente en moi. Et le flamenco, c’est la permissivité de la violence. » La voix doit porter, toucher. Et pour la langue, ce sera l’occitan provençal, pour le secret du message et parce que « c’est une langue expressive et ancrée dans un territoire. » Après avoir fait ses armes derrière, dans l’ombre, le chanteur s’affranchit. Il crée Dupain, le groupe de la consécration, signé par une grande maison de disque avec en bonus, les premières parties de Noir Désir. « Cantat, il kiffe ce que je fais« . Une énorme claque pour tous les amoureux de la musique. Le trio presque parfait, à faire pâlir de transe n’importe quel Gnawa du Maroc.

Pauline Willerval & Sam Karpienia © Yves Rousguisto

Fatto in Casa, l’évidence

La rencontre avec le label Fatto in Casa semblait inévitable. Lucien Massuco, qui participa un temps à Nux Vomica, connaissait très bien Sam. Il est clair que l’atypisme du bonhomme, mais surtout le métissage qu’il est parvenu à créer s’inscrivait totalement dans cet esprit. Tout a été enregistré dans la petite chapelle qui sert aussi de scène intime pour les sorties de résidences. Puis Lucien et Sam ont eu une idée : conserver certains morceaux joués en live à la fin de cette session. Sam avait encore sa guitare au manche voilé, avec seulement quatre cordes, qui la faisait résonner par moment comme un sitar indien. Seul sur scène, des grelots à une cheville, il assurait le rythme en tapant sur un couvercle en bois sur lequel sa chaise était posée, prenant ainsi des airs de vieux bluesman, avec cette voix inimitable, cassée, mêlant étrangement les aigus et un son guttural, qui rappelle les incantations flamenco chères à son coeur, mais aussi un certain orientalisme… Peu de gens sont capables de faire un tel mix acoustique de cultures aussi différentes, le tout en provençal pour reprendre de vieux chants ouvriers de Marseille…

Signalons bien sûr la participation de l’incroyable Pauline Willerval, violoncelliste évadée du classique pour plonger quelques années dans les musiques populaires en Bulgarie et à Istanbul. La musicienne a fait de la gadulka (violon populaire bulgare) sa principale camarade de jeu. Elle aime ouvrir l’instrument à une diversité de répertoires qui ne lui étaient pas destinés et multiplie les collaborations originales avec d’autres musiciens adeptes des foires et de la mutation.

Le mix des deux, bien qu’acoustique, donne une rythmique proche du rock, mais sans effets, sans distorsion, juste pour le son lancinant de ce violon étrange. Le tout accompagné par la guitare, et autres instruments à cordes, de Sam. Et puis cette voix, qui déchire la musique pour ouvrir un espace de liberté, d’amour et de révolte. Sam Karpienia, c’est le feu, c’est brut, et c’est certainement un axe qui redonne à la musique son énergie primale, sans effets superflus, juste pour nous montrer à quel point l’Humain sait faire vibrer !

Basta de Trabalhar, Sam Karpienia, Fatto in Casa. Rens: fattoincasa.fr