
05 Oct « J’ai la chance de traiter de sujets qui m’interpellent et me révoltent »
Après un ex-douanier en 2018 et un ex-flic en 2019, on se demandait bien qui serait l’invité d’honneur du 3e Festival du Polar de Saint-Laurent du Var. Eh bien, c’est une ex-juriste, Karine Giebel, désormais auteure à plein temps, qui « officiera » du 8 au 10 octobre. Rencontre.
Après Bernard Minier et Olivier Norek, vous êtes la 1e femme invitée d’honneur du Festival du Polar de Saint-Laurent-du-Var. Il ne doit pas s’agir de votre 1e « présidence » ?
Non, j’ai eu la chance d’être la marraine du grand salon Polar Lens, qui existe depuis 1996, et auquel je suis très fidèle. Marraine également du salon du livre et de la BD d’Île-de-France par exemple. Concernant Saint-Laurent-du-Var, j’avais été invitée pour les précédentes éditions, mais hélas je n’étais pas disponible. Je suis très contente cette fois d’y participer et d’être la première auteure invitée d’honneur.
Quelles sont vos autres manifestations préférées autour du polar, dédicaces en librairies, émission de radio…
J’aime beaucoup les rencontres en librairie qui, comme les salons, permettent de rencontrer son public. Pendant presque deux ans, à cause de la crise Covid, tout s’est endormi, j’ai participé à très peu d’événements, hormis la Fête du livre de Hyères en mai, ou des émissions pour la promotion des livres. Là c’est enfin la reprise. Le plus important ce sont les rencontres avec ce public qui vous lit et celui qui ne vous lit pas encore mais peut ainsi vous découvrir. Sans oublier les rencontres et découvertes des autres auteurs. Même si tout écrivain apprécie sa solitude, les salons permettent aussi de sortir de ces tête-à-tête avec son clavier et son écran !
Après La Vie du Rail, puis Fleuve noir, vous avez de nouveau changé de maison d’édition (Belfond) ?
Pour La Vie du Rail, la collection Rail noir s’est arrêtée. Fleuve noir (devenue Fleuve éditions) m’a contactée et j’y ai fait la connaissance de mon éditrice. Puis elle a rejoint Belfond et je l’ai suivie car, même si la maison d’édition est pèse, ce qui compte avant tout pour moi c’est la relation avec l’éditeur.trice. J’ai besoin d’avoir des échanges privilégiés. Cette relation met parfois plusieurs mois à se mettre en place et donc, quand ça marche, je ne lâche pas. Comme mon éditrice est partie ensuite chez Plon, je peux vous dire que mon prochain livre s’éditera chez Plon. Où qu’elle aille, j’irais !
Belle histoire, belle fidélité, en effet ! Si les – talentueuses – écrivaines de polar sont de plus en plus nombreuses, lorsque l’on cite les meilleurs polars, ce sont souvent ceux des hommes ?
Nous sommes en train de rattraper le temps perdu. Il est vrai qu’en France on a longtemps considéré que le monde du polar ou du thriller était masculin. Les lecteurs pensaient que les récits des femmes étaient moins « musclés » et haletants. Contrairement aux Anglo-saxons qui n’avaient plus cet a priori. Les Français ont commencé à changer d’avis avec Fred Vargas notamment. Les mentalités évoluent, les places se prennent, c’est sur la bonne voie. Il se trouve que je suis classée dans les 10 meilleurs vendeurs.euses…
Vous écrivez aussi bien des romans que des nouvelles : une préférence cependant ?
J’aime vraiment les deux. Il s’agit d’un exercice différent mais complémentaire. Mes romans sont assez épais, et lorsque j’ai commencé à écrire, j’avais du mal à m’exprimer dans un format court. De plus, les lecteurs français sont moins fans et moins habitués aux nouvelles. Qui se vendent moins bien d’ailleurs que les romans. Mais mon éditrice m’a encouragée à m’engager dans cette voie et je ne le regrette pas. À présent, j’aime beaucoup ce genre. Écrire des nouvelles fait évoluer un auteur. Cela permet d’aborder des thèmes différents, des sujets qui me tiennent à cœur, de les traiter autrement. J’aime amener les gens vers la nouvelle et d’ailleurs, dans mon public, certains m’ont dit « si ce n’était pas de vous, je ne l’aurais pas lu« . Je tiens particulièrement à écrire chaque année ou presque la nouvelle pour Les Restos du cœur (1).
L’un de vos romans a été adapté pour la télévision – Jusqu’à ce que la mort nous unisse. Vous aviez lu le scénario, participé au tournage ? Vous êtes satisfaite du résultat ?
J’ai effectivement lu le scénario avant le tournage, sans y contribuer. Je suis également restée 15 jours sur le tournage. Une expérience très enrichissante. Mon livre était très long et là, on se trouvait sur un format de 90 minutes. Forcément, je savais que mon œuvre allait être « trahie » à un moment ou à un autre, car tous les aspects ne pouvaient être développés ou pas de la même façon. Le résultat est très honnête. Le casting est très bon – notamment le héros Bruno Debrandt, un habitué des séries policières. Le décor parfait, l’intrigue se situant sur les lieux mêmes du roman… Ce téléfilm a été diffusé trois fois en peu de temps et il a très bien marché. Il était même en tête des audiences.
D’autres propositions du même type depuis ?
Oui, mais la crise sanitaire a tout mis entre parenthèses. D’une manière générale, au cinéma, nombre de projets sont bloqués, en sommeil, ou se libèrent petit à petit. Cela crée un embouteillage. Mon roman Ce que tu as fait de moi, dont le thème est la passion destructrice, doit être adapté au cinéma en France. Une autre de mes œuvres est en train d’être adaptée pour le cinéma coréen. Un cinéma qui excelle dans les thrillers. Le 7e Art français est plus axé sur la comédie. Le polar ne fait plus recette à la télé, qui elle n’hésite pas à contacter les auteurs de romans.
Vous avez été traduite en douze langues : avez-vous un droit de regard ?
On me demande parfois mon avis sur la couverture du livre. Et c’est toujours intéressant de lire les commentaires des lecteurs étrangers sur les plateformes.
De nombreux auteurs de l’univers noir prennent des pseudos. Vous écrivez sous votre vrai nom ?
Oui et non ! J’ai fait un mixte… C’était plus pratique quand j’exerçais mon activité de juriste. Depuis 2015, je écrivaine à plein temps, mais je conserve mon pseudo.
Votre marque de fabrique, c’est le thriller psychologique, avec, par exemple, un livre dont le thème est l’esclavage moderne – Toutes blessent la dernière tue. Autant de sujets de société, dont beaucoup sur l’enfermement, le huis clos et la privation de liberté. Vous avez également à cœur de créer des personnages forts et attachants ?
Les personnages c’est essentiel, je me concentre là-dessus. Si on s’attache au personnage, on a envie de savoir ce qu’il va lui arriver. Le suspense est là, les émotions fortes aussi. Je cherche à créer cela. Les émotions que l’on transmet et que l’on fait vivre aux lecteurs, c’est ça l’important. Après les thèmes, le rythme, le style… sont bien sûr déterminants, mais l’essentiel, pour moi, reste les personnages. Tous les thèmes qui m’interpellent ou me révoltent, j’ai la chance de pouvoir les aborder et les traiter.
Que représente cette édition du Festival du Polar de Saint-Laurent ?
Après la période de crise sanitaire, ce festival est le premier pour moi depuis mai. Le premier entièrement consacré à mon domaine. Je vais le découvrir et j’attends une belle surprise, car je connais et je fais confiance à l’organisateur qui réussit toujours de belles manifestations. Ce salon, c’est tout simplement celui des retrouvailles – retrouvailles avec les auteurs, les libraires et les lecteurs…
(1) Depuis fin 2014, chaque année, les éditions Pocket et la chaîne du livre s’associent bénévolement au profit des Restos du cœur. Ils éditent un recueil de nouvelles baptisé 13 à table !, écrit par de grands noms de la littérature policière. Les fonds de ce recueil sont intégralement reversés à l’association, ce qui représente plus de 4 millions de repas servis.
(photo : Karine Giebel © Melania Avanzato)