Le Temps des Trompettes

Le Temps des Trompettes

Est-ce le titre annonciateur d’un événement ? Sont-ce les trompettes de la renommée ? Ou un simple trait d’humour pour comparer le Collectif La Machine à une bande de « branquignols » ? Félicien Chauveau se met lui-même en scène dans ce solo, écrit autour de la première partie de la vie de Molière, qu’il présentera au Festival d’Avignon. Nous l’avons rencontré.

Félicien a 35 ans, il est arrivé à Nice il y a 15 ans, sans aucune formation. Lui-même n’est plus très sûr d’avoir le brevet des collèges, et n’a pas eu son bac. Il n’arrivait pas, dit-il, à être à la hauteur de ses copains au lycée… Il s’est donc très rapidement réfugié dans la fiction : il voulait écrire, écrire des films… Et l’idée est toujours là. Il entre alors au Conservatoire d’où il est rapidement éjecté, car pas assez «formaté». Heureusement un des membres du Jury le rattrape au vol : Paulo Correia l’accueille dans au sein du Collectif 8 qu’il dirige avec Gaële Boghossian. Un tremplin avant de créer en 2011 sa propre compagnie, le Collectif La Machine, avec Benjamin Migneco. 

Depuis près d’une décennie, il crée un à trois spectacles par an, dont certains coproduits avec Anthéa : des petits spectacles itinérants comme Mystique du jeu ou Trajectoire de la flèche, au cœur de L’Avare, et de plus grosses productions comme le récent Bourgeois Gentilhomme. « J’adore le personnage de Madame Jourdain, personnage raisonné et raisonnable de la pièce. J’avais déjà joué un personnage féminin dans Les Bonnes de Genet où je jouais Madame. Mais ce personnage-là était très noir, alors que Madame Jourdain est pleine de vie. On entend souvent que chez Molière les personnages féminins sont moins bien servis que les masculins : chez Madame Jourdain, il y a toute une traversée. Elle passe par énormément d’états. C’est une femme libre, pleine de raison, qui essaie de sauver sa famille, de maintenir à flot l’entreprise familiale… »

DU COLLECTIF AU SEUL EN SCÈNE

Comédien, auteur, metteur en scène, qui vit le collectif au quotidien, Félicien Chauveau prépare un seul en scène qu’il présentera au Théâtre du Chêne Noir, un des lieux emblématiques du Festival Off d’Avignon, dirigé par Julien Gelas. Muriel Mayette, directrice du TNN, lui a proposé d’être « artiste associé », et de produire ce spectacle : Le Temps des Trompettes. Sa création fera la clôture de saison du TNN aux Franciscains (voir article En avant la musique ci-contre). Il y aborde ici la première partie de la vie de Molière, jusqu’à ses 35 ans, l’âge même de Félicien, aujourd’hui. Pour ce faire, il s’est appuyé sur nombre d’ouvrages, notamment sur le Molière de Georges Forestier (2018), LE « moliériste » français qui a corrigé les erreurs de toutes les biographies de Jean-Baptiste Poquelin. Il a commencé son écriture il y a un an, sous forme de dialogue, et s’est rendu compte qu’il fonctionnait mieux en monologue pour développer certains axes théâtraux, idées philosophiques, points de vue et confrontations entre l’époque de Molière et le monde contemporain. 

Il y a eu de nombreux allers-retours entre la biographie de l’auteur et ses fictions, lors de l’écriture. Une méthode qu’il applique dans presque toutes ses créations. Ce qui l’intéresse, c’est ce qui se joue dans la réalité biographique et qui impacte la réalité fictionnelle. « Là où Molière est révolutionnaire, c’est qu’il apporte sa contemporanéité sur le plateau. Il devient le miroir de son époque. On entend souvent dire que les textes de Molière sont toujours d’actualité. Mais le fait est que – comme nous l’a fait remarquer Laurent Grappe, comédien dans Le Bourgeois – c’est la société dans laquelle nous vivons qui, depuis 400 ans, n’a pas évolué. Il y a toujours les mêmes combats sociaux à mener. »

Ce seul en scène, cette mise en lumière, Félicien les mérite. Lui qui a toujours été dans le « collectif » au service de la tribu, au service du théâtre, sans aucun ego déplacé, avec générosité, et surtout une intelligence et une poésie rares. Ce n’est pas un risque, car il n’est seul qu’en scène. Il a toute son équipe autour de lui : « Frédéric de Goldfiem, comédien permanent au sein de la troupe du TNN. Je travaille aussi avec Irène Reva qui est une de mes acolytes depuis de nombreuses années, Claude Boué qui veille à tout, qui fait à la fois la régie générale et m’aide à l’écriture ;
Cécile Bon, une chorégraphe et une personne extraordinaire, qui vient de Montreuil ; Albane Augnacs, une des fidèles du Collectif La Machine qui a réalisé les créations lumières de tous mes derniers spectacles ; et aussi Luc Lagier à la création musicale. C’est la première collaboration que nous faisons ensemble et j’avoue que ça a fait mouche. C’est un véritable spectacle collectif, même si je suis seul au plateau. »

La troupe de Molière était aussi une sorte de famille, de tribu. Un peu comme au cirque où chacun exerce deux métiers, l’un créatif et l’autre bien souvent pratique… Là est le paradoxe : la tradition au théâtre est bien plus moderne que les postures adoptées de nos jours par certains. Félicien et le Collectif La Machine sont de cette trempe, c’est bien pour cela que Le Temps des trompettes devrait séduire public et critique. Une façon aussi de démontrer que le théâtre reste d’une étonnante modernité quand il garde son ADN. Et quelle meilleure preuve que Molière ?! Viva !

Rens : facebook.com/collectiflamachine
Le Temps des Trompettes © Florian Levy