08 Oct Mathilda May et Monsieur X
Nous avons rencontré Mathilda May. Elle nous éclaire sur ce spectacle étonnant Monsieur X, à découvrir demain 9 et samedi 10 octobre à Draguignan, puis en janvier prochain à Antibes. Ce théâtre muet, où le geste remplace la parole, convient complètement à Pierre Richard qui campe ici un vieux monsieur, rêveur, qui vit dans son monde et nous rappelle une sorte de Charlie Chaplin, le tout sur une bande son d’Ibrahim Malouf…
La Strada : Ce vieillard isolé, poète et rêveur, n’est-il pas en résonance à ce qui se passe pour les personnes âgées isolées par la pandémie ?
Mathilda May : Pas vraiment car il y a solitude et solitude. Il y a la subie et la choisie. Ici la solitude est un refuge…
Qui est ce Monsieur X ?
Je pense que c’est un artiste : il a une vision d’artiste car il transcende son quotidien. Mais on ne sait pas si son quotidien est transcendé par la création. Un artiste voyage à l’intérieur même de la réalité. Il n’a pas le même regard de la réalité qu’une personne qui n’a pas une vision artistique. On peut avoir une vision artistique sans être artiste. Monsieur X est à la retraite et son quotidien est un lieu d’évasion. Et en réalité tout ce qui vient de l’extérieur est plutôt source de dérangement que de rencontres.
Monsieur X est votre troisième spectacle 100% visuel, sans texte, après Open Space et Le Banquet. Pourquoi ce choix de mise en scène ? Votre formation de danseuse a-t-elle influencé vos choix ?
Oui. D’abord c’est plus qu’un choix, c’est un langage. C’est une écriture et une mise en scène qui ne font qu’un. Et c’est un langage du corps, du geste. C’est un langage musicalisé et chorégraphié aussi. Et puis forcément c’est un peu toutes les disciplines qui m’ont traversée, dont la danse qui est présente en moi.
Pierre Richard, le Grand Blond, sa gestuelle singulière… Il n’y avait que lui pour l’incarner ce Monsieur X ?
Ça a été écrit pour lui. C’est du sur mesure.
Comment êtes-vous parvenue à le convaincre, car il a dit « Elle me propose de rêver avec elle de tout ce qui ne se dit pas, et qui en dit bien plus. »
Je n’ai pas eu besoin de le convaincre c’est lui qui est venu vers moi. Il a vu mes spectacles et a été conquis au point de m’écrire une lettre alors que je ne le connaissais pas, exprimant son regret de ne pas avoir osé faire des films ou des œuvres muettes, choses dont il avait toujours rêvé. Il a été très client de ce type d’expression, étant lui-même un acteur visuel né, inné j’aurais envie de dire, et ayant une culture très nourrie des grands artistes du corps que sont Chaplin, Buster Keyton ou Tati.
Comment aborde-t-on un rôle muet ? Avez-vous tout écrit à l’avance ou Pierre Richard a-t-il réinterprété vos indications ?
Dans le théâtre visuel, je suis un peu la seule à faire comme ça car mes spectacles sont très écrits. Ensuite évidemment que Pierre est un créatif, et évidemment qu’il est un interprète. Et comme c’était du “sur mesure“ non seulement ça l’inspirait mais ça résonnait en lui avec un enthousiasme d’enfant, qui le caractérise. Il a proposé plein de choses, tout en étant extrêmement respectueux en me laissant à chaque fois vraiment la décision de juger si ça rentrait dans le cadre ou pas. Il avait tout le temps plein d’idées et je faisais un peu le tri…
On trouve une certaine similarité avec Jacques Tati dans votre univers. Est-ce délibéré ?
Pas du tout délibéré (un peu agacée). J’ai beaucoup d’admiration pour Jacques Tati, mais si on pouvait ne pas toujours référer des idées nouvelles qui sont le fruit artistique à quelque chose de préexistant, alors que je m’évertue justement à faire quelque chose qui ne ressemble pas à ce qui a été fait. Je trouve cela étrange car j’ai essayé de faire quelque chose d’un peu différent. Car mes spectacles sont polyvalents. Ils sont le fruit de toute une vie artistique et d’inspirations diverses forcément, mais j’aime bien aussi le fait m’attribuer quelque chose qui m’appartienne.
Cette écriture théâtrale atypique tranche avec le formatage que le cinéma avait tenté de vous imposer avec toujours le même genre de rôle, qu’en dites-vous ?
C’est vrai qu’il a fallu s’affranchir de tout çà, et je pense que la nécessité d’expression libre au sens où j’ai créé ma propre forme, a été d’autant plus nécessaire qu’elle a été bridée auparavant. Je pense que si je n’avais pas été « réduite », d’une certaine manière, à l’image… je n’aurais pas éprouvé la nécessité à ce point de m’en affranchir.
Est-ce votre manière de mener un combat féministe ?
En fait sur ce cheminement artistique, je ne vois pas l’art de façon sexuée, je ne me considère ni femme, ni homme. Je me considère en recherche artistique d’une forme et donc le genre n’intervient pas là. Je n’ai pas de positionnement de combat de femme. En revanche je sais qu’il m’en a couté plus que si j’étais un homme de pouvoir m’autoriser à prendre cette place, une place de chef de projet, de dirigeant.
J’ai 55 ans, j’ai encore les stigmates de la prise de place dans la société, dans ma jeunesse je rougissais qu’on s’intéresse à moi, et je trouvais très flatteur que l’on veuille bien me considérer. Or pour accéder à un statut de quelqu’un qui dirige, qui entreprend quelque chose, ça a été pour moi un long chemin, avec moi-même. Oui la place de la femme dans la société, pour les femmes de ma génération est encore un sujet. Car la question ne se pose pas pour un homme pour savoir s’il peut entreprendre, alors que pour la génération de ma fille c’est un non-sujet. Elle est, de fait, acquise dans la société, elle la prend sans que ce soit un sujet.
Mais pour le combat des femmes, la violence ne vient pas d’elles car ce sont encore les femmes qui meurent sous les coups des hommes donc si on parle de violence il faut la mettre au bon endroit. Et tant mieux si par mon cheminement qui m’a fait passer de statut d’objet à celui de sujet, ça peut être utile pour certaines femmes. Et je crois qu’au travers du livre que j’avais écrit il y a deux ans et qui s’appelle VO (Chez Plon) qui retrace mon expérience j’ai reçu des témoignages de femmes qui se sont senties encouragées par mon parcours. Et dans ce cas, je suis extrêmement heureuse et fière.
Ce n’est pas « par rapport à », que j’ai travaillé, c’est plutôt « en revanche ». Je ne revendique pas « je ne suis pas celle que vous croyez », je revendique quelque chose dont je suis le vecteur, ce n‘est pas moi que je mets en avant, ce n’est pas égotique comme délire.
Racontez-nous comment Ibrahim s’est intégré au projet ?
C’est une actrice Nora Arnezeder, elle déjeunait avec lui, elle m’a invitée à déjeuner, et elle a dit à Ibrahim qu’elle admirait mon travail. Elle lui a demandé s’il connaissait mon travail. Il dit qu’il me connaît comme actrice. Elle lui dit : « non, non, non, je parle de ses spectacles ». Il ne connaissait pas. Elle lui explique. Il est très intrigué car il est très curieux. Il demande qu’est-ce que c’est que ça ? Est-ce de l’impro. Et je lui explique que non, que c’est très écrit. Il est très intéressé. Je lui propose alors de lui envoyer la vidéo de « Open Space », mon premier spectacle. Je n’avais aucune idée préconçue. Il l’a visionnée et m’a rappelée 2 jours après totalement enthousiaste. Et parce qu’il affichait un tel engouement, mes mots ont devancé ma pensée et je lui ai demandé s’il aimerait travailler sur le prochain. Il a accepté. Je lui ai envoyé la pièce. Il était très étonné et se demandait comment j’allais faire ça, mais il a accepté. Et voilà comment il a travaillé sur Monsieur X.