Sixto, c’est pas trop tôt

Sixto Rodriguez dans Sugar Man © Red Box Films

Sixto, c’est pas trop tôt

Profitons de cette pause forcée dans l’actualité culturelle pour découvrir quelques histoires singulières, comme celle de cette star longtemps restée dans l’anonymat. La Strada vous narre l’histoire cocasse et tragique d’un musicien qui voulait être connu et qui a bien failli ne jamais savoir qu’il l’était.

Au début, la mayonnaise n’a pas pris. La carrière de Sixto Diaz Rodriguez était un échec, à tel point qu’on raconte qu’il se serait suicidé sur scène… Son nom aurait bien pu s’ajouter à la longue liste d’artistes de qualité qui ne connaîtront jamais le succès. Le sien s’est révélé à lui dans les années 90. Il l’a pris dans la gueule, par surprise. Dans l’anonymat le plus total aux États-Unis, sa patrie, bien que d’origine mexicaine, a découvert que ces deux albums, Cold Fact (1970) et Coming from Reality (1971), ou encore sa compilation At His Best (1977), étaient tous les trois des hymnes à la liberté, à la libération sexuelle et aux droits sociaux dans un pays qui n’en avait cure à l’époque : l’Afrique du Sud. Comme quoi, l’apartheid a eu du bon pour certains.

L’icône d’un pays

Piratés par des anonymes, ses albums arrivent à la fin des années 70 chez les Springboks. Oscillant entre rock psychédélique et ballade blues ou folk, sa musique est copiée en masse sur des CDs et diffusée au sein de la communauté blanche anti-Apartheid. Les jeunes identifient leurs combats dans paroles de Sixto. Il chante la drogue, le sexe, la violence urbaine, la corruption et la misère sociale avec un ton cru et provocateur. Idéal pour défier l’autorité. La Rodriguez Mania est née, ses CDs sont censurés, mais des radios pirates continuent de faire tourner sa musique en boucle. Il obtient un disque d’or et un disque de platine, mais n’en percevra jamais les recettes. Pour la simple et bonne raison qu’il n’a aucune idée de son succès. Dans un pays replié sur lui-même, il faut attendre l’émergence d’Internet pour rendre à Sixto ce qui lui appartient.

La rencontre

Les Sud-Africains, eux non plus, n’avaient aucune idée de qui était réellement ce personnage. Des rumeurs, plus folles les unes que les autres, circulent sur sa mort. Immolé par le feu ou suicide par balle sur scène, son destin est sans cesse interprété. En réalité, Rodriguez a continué sa petite vie pépère, enchaînant les petits boulots pour faire vivre sa famille. Sa fille tombe par hasard en 1996 sur un site sud-africain lui étant dédié, mis en ligne par un disquaire du Cap, Stephen Segerman. Elle met les deux hommes en contact. Deux ans plus tard, une tournée de six dates est programmée. Des milliers de fans sont au rendez-vous. La rencontre tant attendue est fusionnelle.

La renommée mondiale

Depuis, il est une star. Ses musiques sont reprises par une multitude d’artistes. Son album Cold Fact est réédité et Sixto perçoit enfin des revenus grâce à sa musique, bien que l’argent de ses ventes à l’époque de l’apartheid soit reversé à son label de l’époque. Il revient en Afrique du Sud plusieurs fois et effectue des tournées en Europe et en Océanie. Aujourd’hui, il travaille sur un troisième album qui tarde à sortir. En 2013, le film Searching for Sugar Man, du nom de son single le plus connu, retraçant sa carrière hors du commun est oscarisé. Il n’assistera pas à la cérémonie pour ne pas voler la vedette à Malik Bendjelloul, le réalisateur. Ce documentaire a depuis fait son office, étendant un peu plus le succès de Rodriguez, notamment aux États-Unis. Le dernier pays à le connaître sera celui qui l’a vu naître.

Searching for Sugar Man de Malik Bendjelloul (ARP Selection), sorti en 2012

sugarman.org
(Photo : Sixto Rodriguez dans Searching for Sugar Man © Red Box Films)