Pas d’âge pour les braves

Pas d’âge pour les braves

Patrick Raynal revient à Nice avec un nouveau polar, L’âge de la guerre, dans lequel son personnage Philippe Clerc, aujourd’hui âgé de 75 ans, explore le marigot mafieux et politique de la ville.

C’est un polar, un vrai. Net, précis, ajusté. Qui commence avec une parfaite mise en abîme pour l’auteur (et éditeur) de polar qu’est Patrick Raynal : « C’est comme si un type, sachant que nous avons les mêmes lectures, m’avait piégé dans une toile d’araignée ressemblant à un atelier d’écriture sur le polar : un type se réveille dans un lit inconnu, découvre une femme nue à côté de lui, se rend compte qu’elle est morte et entend la police frapper à la porte. À vous de trouver la suite… ».

Un matin donc, Philippe Clerc (« l’assureur le plus marron dans une ville qui en a connu d’autres« ) ouvre les yeux dans une chambre qu’il ne reconnaît pas, nu, aux côtés d’une jeune femme aussi peu vêtue que lui. Sérieusement morte. Voire franchement assassinée. Ainsi commence L’âge de la guerre de Patrick Raynal, qui va gratter là où ça fait mal dans le milieu des truands et celui des politiciens de Nice (des connexions entre les deux ? Voyons donc !).

Une facture classique de polar, pourrait-on croire. À la différence près que Philippe Clerc (découvert en 1988 dans Fenêtre sur femmes) a aujourd’hui soixante-quinze ans. Un âge où l’on pense avoir fini de prendre des vessies (usées) pour des lanternes. Un âge où on préfère largement s’endormir dans son fauteuil, bercé par une bouteille de vodka aromatisée au miel et un disque de blues plutôt que se finir sous les lumières artificielles des boîtes de nuit de la Côte. Un âge où l’on ne pense plus devoir prendre le sentier de la guerre. « L’essentiel, c’est de rester jeune d’esprit, vous disent ces jeunots qui croient sincèrement vous faire un compliment, mais qui ignorent tout de l’arthrose, des lumbagos, des caprices de la prostate et des fantaisies de la mémoire qui vous lâche au moment de prononcer le nom de votre musicien favori ou le prénom de votre vieux pote. » Mais lorsqu’on se retrouve de toute évidence piégé dans un scénario qui implique un ami depuis longtemps disparu, alors revient l’âge de partir en chasse.

Du Negresco à la maison d’arrêt et de la Réserve aux Moulins, Philippe Clerc sillonne Nice, explorant le côté obscur de la force, entre avocats véreux, conseillers politiques et truands plus ou moins notoires. À ses côtés : son avocat René de Cessole (« comme le boulevard« ) et Moïra, son amour de jeunesse (« Aucun doute, à l’époque, j’avais vraiment tombé la plus belle. Une de celles que les années enrichissent en faisant ressortir lentement, au compte-gouttes, tous les trésors de charme et de séduction qui se cachaient sous l’éclat un peu lisse, un peu évident de la jeunesse.« ). Et pour l’aider à enquêter dans le bourbier affairiste niçois, une certaine Ghjulia Boccanera, détective privée de son état.

« Je suis né en colère, c’est du moins l’impression que j’en ai. C’est comme une flaque noire qui clapote en permanence et n’attend qu’un petit coup de vent pour se muer en mer déchaînée d’une telle violence qu’il ne me reste plus ensuite qu’à cuver mon repentir et faire oublier mon ridicule. Avec le temps, j’ai appris à anticiper ces coups de piaule, mais jamais à les maîtriser quand ils surgissent quand même. »


extrait L’âge de la guerre, Patrick Raynal

« Les vieux baisent peut-être moins, mais, dans l’ensemble, ils réfléchissent mieux« 

Écrivain, éditeur (notamment de la mythique Série Noire), scénariste et traducteur, Patrick Raynal connaît bien Nice qu’il a déjà mise en scène dans ses polars. Avec L’âge de la guerre, il y revient avec un héros fatigué, mais toujours aussi énervé.

Trente-trois ans après Fenêtre sur femme, tu reviens à Nice par l’intermédiaire de ton personnage Philippe Clerc. Qu’est-ce qui t’a donné envie de refaire un tour par ici ? Et qu’est-ce qui t’avait tenu éloigné si longtemps ?
Je ne suis pas parti depuis si longtemps que ça. Retour au noir se passe à Istanbul et à Nice, et Au service secret de Sa Sainteté, se passe à Monaco. Fenêtre sur femme est un des romans que j’ai le plus aimé écrire et c’est aussi celui qui a le mieux marché. Je me suis souvenu des quelques lecteurs qui m’ont demandé si j’allais reprendre mes trois personnages, et comme j’avais envie de faire un roman sur les vieux, je me suis dit que c’était l’occasion d’aller voir comment mes trois lascars avaient vieilli.

Philippe Clerc a vieilli, il a aujourd’hui 75 ans. Comment l’âge d’un personnage influe dans la narration, en particulier d’un polar ?
Mon projet initial était d’écrire un roman sur la vieillesse et la mort, mais sur un ton plutôt guilleret. À 75 ans, mon personnage a perdu ses illusions, sa libido et sa résistance à l’alcool. Autrement dit, il ne croit plus en rien, ne baise plus et ne boit que rarement, et avec la plus grande prudence. Il vit cloitré et pénard dans l’arrière-pays entre la télé pour les films et les séries, ses bouquins et ses souvenirs. Aussi quand on vient le réveiller avec un piège foireux, c’est en vieux qu’il réagit. S’il s’était réveillé dans le lit d’une belle morte à 40 ans, il aurait marché et, en tous cas, il n’aurait sûrement pas douté l’avoir séduite et baisée. Le truc, c’est que je ne cesse pas d’expérimenter une chose : les vieux baisent peut-être moins, mais, dans l’ensemble, ils réfléchissent mieux. « Vivement l’andropause qu’on se serve enfin de sa tête », devrait être le mantra de tout vieux en devenir.

Enfin, tu as invité dans ton histoire Ghjulia Boccanera, le personnage de détective privée que j’ai imaginé il y a quelques années. C’est rare les crossovers dans la littérature… Qu’est-ce qui t’a donné envie de tenter l’expérience ?
J’aime bien tes bouquins, j’aime bien ton personnage et j’adhère complètement à ta vision de Nice, et ce d’autant plus que tu es une vraie niçoise et pas moi. À partir de là, la connexion était évidente, et comme j’avais besoin d’un privé, j’en ai trouvé une.

L’âge de la guerre
Patrick Raynal
Albin Michel, 272 p., 18,90€