Le TNN en ébullition : qui a dit que le théâtre ne fonctionne pas ?

Le TNN en ébullition : qui a dit que le théâtre ne fonctionne pas ?

Le théâtre est vivant. Le théâtre ne baisse pas les armes. Après Charles Berling à Toulon, Murielle Mayette-Holtz, directrice du Théâtre national de Nice, met les choses au clair… Elle dévoile ses cartouches, tel un remède anti-covid, en attendant des jours meilleurs et l’ouverture des salles de théâtres au public… Pédagogie, création, inventivité, découvertes, talents, nouveaux moyens de communication, un travail d’équipe gigantesque dans sa diversité, à la disposition de tous, gratuitement, se réalise quotidiennement. C’est ce travail de l’ombre que la directrice veut aujourd’hui faire connaître au plus grand nombre, car il est juste… essentiel. Une belle déclaration à la vie.

Muriel Mayette-Holtz a invité la presse le vendredi 12 mars, sans savoir que ce jour-là se tiendrait aussi la manifestation des intermittents du spectacle. « Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous », disait Paul Eluard. Un rendez-vous qui fera date puisqu’un accord fut conclu entre manifestants et direction du théâtre pour une occupation du TNN dès le lundi 15 mars.

Faire savoir

Il y a bien une phrase qui la désespère : « Vous ne faites pas grand-chose puisque le théâtre est fermé ». Certes, le théâtre de Nice, comme tous les théâtres de France, est fermé au public. Mais savez-vous ce qu’il se passe derrière ses murs ? Vendredi dernier, Muriel Mayotte Holtz, sous l’impulsion de l’équipe de Passionnément TNN a donc décidé de faire savoir.

Elle a présenté non pas sa saison — ce qu’il reste de sa première saison axée sur l’Europe de la Méditerranée a presque été entièrement annulée en raison de la pandémie, mais sa position, son action et ses projets durant cette période toujours aussi incertaine quant à sa durée. Notamment toutes les actions menées par son équipe sur le territoire niçois et les prochaines œuvres répétées actuellement dans l’attente d’une réouverture.

« J’ai toujours rêvé d’un théâtre ouvert à tous, où le public viendrait naturellement, sans inquiétude, acceptant avec curiosité les différentes propositions. Un théâtre où il se sentirait chez lui, à la fois rassuré et surpris… » Entrée en fonction en novembre 2019, la nouvelle directrice du théâtre a vu ses rêves balayés d’un revers de mesures par la crise sanitaire. « Une crise est toujours intéressante, c’est une contrainte pour un artiste parce qu’elle te réinvente et donc elle t’oblige à remettre en perspective ton travail. » Ce théâtre, elle l’a donc repensé, reformulé, tricotant et détricotant sa programmation, créant les meilleures conditions d’accès au public dans le respect des règles sanitaires. Le public est interdit dans les salles ? Eh bien, le théâtre viendra au public !

Frédéric de Goldfiem au College Antoine Risso dans le cadre du projet Lettres à… mon père © FB TNN

Les actions pédagogiques en priorité

Elles sont le cœur des activités que mène toute la troupe du TNN. Muriel Mayette-Holtz considère comme la responsabilité du théâtre de former prioritairement des élèves, des plus jeunes à l’université. Le TNN s’est lancé à fond dans la création de vidéo avec des programmes spécifiques à l’écriture camera qui n’a rien à voir avec l’écriture des spectacles sur un plateau. Et pour atteindre un public pas forcément consommateur de théâtre, le TNN est le premier théâtre français à avoir ouvert un compte Tik Tok, plateforme très populaire chez les jeunes !

Lettres à…mon père. À quoi sert d’écrire ? Après le succès des Lettres à Nour l’an dernier, autour du livre de Rachid Benzine, cette année, c’est le journaliste et écrivain Eric Fottorino, auteur de Questions à mon père, qui parraine cette 2e édition, et qui s’est adressé à tous les enfants pour expliquer pourquoi il écrit. Au total, 700 jeunes provenant de 23 collèges et lycées différents du département qui travaillent actuellement avec les artistes du TNN écrivent et vont interpréter leurs lettres cet été au kiosque de la promenade du paillon. Tout l’enjeu de ce magnifique projet est d’amener chaque élève à aborder en toute liberté ce qu’il veut dire, de l’exprimer avec ses mots, accompagné par un artiste qui les aidera aussi à lire, étape difficile pour qui doit notamment vaincre sa timidité. La force de l’écriture et sa représentation théâtrale sont l’enjeu de ce projet qui sera reconduit l’an prochain. Cap Radio Nice, la webradio de l’académie de Nice, enregistrera et diffusera toutes les Lettres à mon père !

À voix haute. Faire jouer les enfants, leur donner les clés du plateau, explorer la scène, la lecture à voix haute, l’improvisation, la mémoire… Proposée par Frédéric de Goldfien, cette rencontre avec le théâtre est destinée aux enfants de 5 à 9 ans et de 9 à 12 ans. Appelée à grandir, un étage entier sera consacré à cette petite école ouverte tous les mercredis, dans les futurs locaux du TNN.

Zoom sur… C’est le dictionnaire amoureux des personnages ! Il s’agit de capsules vidéo de 3 minutes où les comédiens interprètent des personnages du grand répertoire. Lancée au premier confinement, l’idée est percutante : une mise en scène dépouillée donne toute sa force à l’interprétation du comédien et trois petites minutes pour déclencher l’envie irrésistible d’en connaître davantage sur la biographie d’un grand personnage. Une cinquantaine de capsules ont été réalisées et seront données comme support pédagogique dans les écoles. « C’est un acte pédagogique pour montrer que ces grands personnages ont une histoire qui est tirée de la réalité, de la vie, pour rentrer dans la fiction. Et s’ils sont abstraits, inventés totalement, on peut les retrouver dans des dimensions de nos vraies vies. »

Les promenades. L’idée de ce projet simple et poétique, proposé par Eve Pereur, c’est de raconter une vie inventée que chacun d’entre nous écrit, et qui se trouverait à Nice. Un hommage à Nice, à ses rues, et à la place qu’elle occupe dans l’imaginaire des artistes. « Il y a toujours du vrai dans le vrai ressenti d’un mensonge, cela correspond à une vraie nécessité. »

Pastille pour une voix. En quelques minutes d’une vidéo, des œuvres sont chantées et dites avec pour seul accompagnement un piano. Le principe imaginé par Jonathan Gensburger est de montrer que, dans le « grand répertoire », il y a aussi des chansons et qu’entre interprétation et chanson, on redécouvre les textes autrement. Belle manière de redonner sa place à la chanson française, et de revisiter les tubes de notre patrimoine chansonnier !

Se projeter sur l’été

Jouer, jouer autant que possible. La majeure partie des spectacles n’ayant pu être montrés cet hiver, la directrice du TNN mise sur une reprise de l’activité du théâtre en juin et juillet avec comme objectif de les jouer autant que possible dans la petite et la grande salle du théâtre. Jusqu’au 20 juillet, un programme foisonnant vous attend : Electre des bas-fonds de Simon Abkarian, My ladies rock de Jean Claude Gallotta, Dissonances Jeanne d’Arc conçu par Sophie de Montgolfier et mis en scène par Frédéric de Goldfiem entre autres. Pour les enfants : La petite leçon de zoologie de Édouard Signolet, Le petit chaperon rouge de Perrault mis en scène par Sofia Betz. Imaginez le plaisir de ces retrouvailles intimes du public et des artistes en salle !

Dans les chantiers du TNN. Les comédiens répètent aussi en ce moment L’école des mères de Marivaux, qui parle de l’oppression des filles, des filles qu’on vend, de la violence faite sur les femmes, du viol. Ce spectacle sera en tournée en août à St Etienne de Tinée, St Martin Vésubie et Clans. Un autre projet ambitieux avec une troupe élargie (Charlie Dupont, Joséphine de Meaux, Jean-Luc Gagliolo …) se prépare aussi : La trilogie Les Amours de Zelinda et Lindoro de Carlo Goldoni, où il est aussi question de la condition des femmes (oui, les femmes sont très présentes dans la programmation !), obligées d’avoir de l’honneur, de l’argent et qui dépendent des hommes pour pouvoir exister et acquérir une liberté. Goldoni l’a écrite au XVIIIe siècle ! Ce spectacle devrait être joué à partir de mai, si le gouvernement le permet et ouvrira en septembre la saison de la Scala à Paris, pendant 1 mois, avant de partir en tournée à Marseille, Aix, Toulon, Toulouse et au théâtre de Liège, partenaire-coproducteur de cette pièce.

Les Contes d’Apéro. Ils reviennent ! On adore l’appellation, et le public en a raffolé l’été dernier. Du 1er juillet au 15 août, dès 19h, tels des levers de rideau, rendez-vous au kiosque de la Coulée verte. Tous les soirs seront donnés des spectacles comme Beauté fatale de Mona Chollet, avec cinq jeunes comédiennes fraîchement sorties de l’école (ERACM) et qui se sont constituées en compagnie. Regard porté avec humour et causticité sur la violence de l’injonction à la beauté dans notre quotidien, réalisé à partir des témoignages de chacune.

Les Contes d’apéro, au Kisoqie du TNN, en 2020 © FB TNN

Il y aura aussi de la musique, des lectures, un spectacle de Félicien Juttner, du léger, du grave… Un moment privilégié pour tous.

Le Comité de lecture. Lancé lors du premier confinement, il est à la recherche de chefs-d’œuvre. Une bien belle idée que ce jurycomposé de personnalités du monde culturel qui sélectionne les plus belles œuvres d’artistes contemporains reçues, en privilégiant les auteurs français, mais aussi européens. Les 5 meilleures pièces sélectionnées seront lues par les comédiens de la troupe du TNN durant les Contes d’Apéro cet été, et le lauréat verra son œuvre montée sur la scène du théâtre la saison suivante. Un soutien inconditionnel du TNN à la création et aux nouveaux talents.

« Du 1er juillet au 30 août, les comédiens du TNN vont être dehors tous les jours, gratuitement, et pour pouvoir faire ça, on passe nos journées à répéter. Ce ne sont pas des spectacles achetés, c’est de la pensée échangée, du travail avec les compagnies locales, une façon d’aller chercher ceux qui sont au travail, de les accueillir. » 

La saison prochaine

2022 est déjà en train de se préparer. Et Muriel Mayette-Holtz est en train de mettre sur pied un festival de la tragédie. Anticipant sur les soupes à la grimace de certains, elle explique pourquoi : « Je pense qu’on a un besoin incroyable d’un rendez-vous avec la tragédie, on a envie de s’amuser, mais on a besoin aussi énormément de s’ouvrir le cœur. La tragédie, ce n’est pas forcément obtus et compliqué, c’est incroyablement beau et c’est parfois incroyablement triste, mais c’est ce que nous vivons. C’est comme un échange, une catharsis, de voir aussi ce qui nous fait peur. Samuel Le Bihan sera le président. Le point de démarrage sera dans les monuments historiques, au Trophée d’Auguste (La Turbie). Une scène au Château de Nice est aussi prévue. »

Une campagne de communication ludique © FB TNN

Communiquer

Comment faire sortir le théâtre de ses murs fermés, comment atteindre le public, comment garder le lien ? Pour donner de l’impact et toucher tous les publics, une campagne de communication s’imposait. Celle imaginée par Régis Rocca a une tonalité à la Magritte, elle raconte tous les jargons du métier, décliné sur plus de 20 termes spécifiques : « Les dessous ne sont pas forcément affolants » ou « La patience n’est pas forcément une qualité »… Ludique et pédagogique, visible sur tous les réseaux de communication classiques et nouveaux.  

Un long travail de réflexion a été mené notamment avec de grandes écoles (EDHEC de Nice et SKEMA) pour étudier comment faire venir et intéresser les jeunes de 18/25 ans au théâtre, passer par des jeux… qui a conduit à la plateforme Tiktok comme étant le meilleur moyen de communiquer avec eux !