Julie Meunier, l’hymne à la vie

Julie Meunier, l’hymne à la vie

Elle affiche à peine 34 ans et compte déjà un blog, une entreprise et un livre à son actif. Touchée par un cancer, elle met depuis toute sa nécessaire créativité et toute son âme au service des personnes qui font la cruelle expérience de cette maladie. Rencontre niçoise avec l’inspirante et pétillante Julie Meunier, créatrice des Franjynes.

Laurence Fey : La ville de Nice est-elle célèbre pour ses initiatives sociales et solidaires ? Je ne crois pas. Pour me faire mentir, parlez-nous de votre entreprise, Les Franjynes, dont le showroom est situé dans le quartier bien nommé de La Libération, et qui propose une alternative glamour aux perruques d’après chimio.

Julie Meunier : En 2015, j’avais 27 ans, j’étais juriste en droit immobilier, en couple, heureuse, quand on m’a diagnostiqué un cancer du sein très agressif. Jusqu’alors, j’avais été épargnée, j’étais la première longue maladie de ma famille, sans aucun antécédent ! Je suis allée voir sur internet à quoi j’allais ressembler. Je ne m’identifiais pas du tout à ces personnes qui perdaient leur féminité et leur identité. Pendant des mois, j’ai cherché des blogs sur la gestion de la féminité, de l’image, de la beauté, les stigmates physiques. J’avais le fantasme de créer un blog. Pas sur mes états d’âme, mais pour apporter de l’aide, du soutien, parler de ce que je vivais – les problématiques cutanées, les rencontres avec tous ces professionnels, le poids moral et physique, etc. Ce blog existe toujours sur le site internet des Franjynes.
Les perruques ne me convenant pas, j’ai pensé aux foulards que j’accessoirisais d’une frange, pour un effet plus fun. Cela m’a permis de retrouver ma confiance en moi, si importante quand on est complètement chauve ! Avec mes turbans, j’ai mieux vécu la perte de mes cheveux.
De plus, je recevais tellement de compliments sur mon allure, sans que personne ne soupçonne mon état, que j’ai souhaité généraliser cette idée. Pour créer mes bandeaux, turbans et foulards, et savoir comment bien les nouer, j’ai contacté via Facebook la chanteuse et mannequin Imany, au magnifique look, et, incroyable, elle m’a répondu et conseillée ! Je me suis rendue dans les salons de coiffure afro afin de répertorier toutes les façons de nouer les foulards et turbans.
Cette entreprise, je l’ai voulue sociale et solidaire, en me demandant quel était le monde dans lequel je voulais vivre. J’ai ainsi créé l’entreprise de mes rêves. Je suis très engagée auprès de la recherche contre le cancer et une partie de mon chiffre d’affaires y est d’ailleurs reversé. Je fais très attention également à réduire mon empreinte carbone. La confection de mes bonnets textiles se fait dans un petit atelier, à Nice toujours. Je m’y rends en vélo, sur mon Cruiser si pratique. Je n’utilise que des tissus nobles français, à la texture douce, et uniquement des fins de rouleau de grande maison.
En fait, mon entreprise, c’est un tout. C’est plus qu’une entreprise, c’est une mission !

Julie Meunier, Les Franjynes © Ilan Dehé

Une entreprise qui s’appelle Franjynes, un livre titré À mes sœurs de combat. La sororité est très importante dans votre parcours ?

Cette histoire de sororité est venue des copines virtuelles de mon blog. Quand on est seule, isolée, on ressent cette sororité sur les réseaux ou dans les associations ou salle de chimio. De même, je la ressentais lorsque j’allais aux ateliers de soins de support de la Ligue contre le cancer (1). J’essayais différents espaces : l’espace soins de socioesthétique, l’espace réflexologie plantaire, sophrologie, etc. Là-bas, quand on se croise, nul besoin de se parler, on se comprend en un regard. C’est comme si un fil invisible nous reliait. Avec juste un regard, on sait qu’on est passé par là, passé par les mêmes sentiments. En trouvant le nom de mon entreprise, les Franjynes, j’ai eu de la chance pour le jeu de mots frangine/frange, puisque je crée ces modèles de turbans accessoirisés de franges et de mèches. Le mot frangine est très franchouillard, ça me plaisait aussi. Tout s’est mis en place, s’est aligné comme dans un collier de perles !

Et Franjynes avec ce J et ce Y, pour ne pas oublier le nom que vous aviez donné à votre cancer, Jean-Yves ?

Comme je le dis souvent, je n’ai rien contre les Jean-Yves (!), mais c’était un tic de langage, quand je cherchais le nom de quelqu’un, je disais : « Tu sais, Jean quelque chose, Jean-Yves là ? ». Alors quand je parlais de ma tumeur à mes amies, elles entendaient l’horrible « tu meurs » et l’une d’entre elles m’a suggéré de donner un nom à mon cancer, le fameux « Jean-Yves » que je désignais tout le temps sans en connaître. Nommer mon adversaire a été très important dans mon combat. J’ai donc bien entendu affiché ces initiales dans ma marque.

Dans votre entreprise, vous avez également pensé aux hommes et aux enfants. Avez-vous recueilli des témoignages d’hommes à la sortie de votre livre ?

Il existe effectivement une ligne de bonnets thermo-régulant pour Hommes, les Franjyns, et une pour les enfants, les Franjynettes. Le combat se livre pour tous. Les hommes restent plus pudiques que les femmes, se taisent et se terrent, surtout en cas de cancer du sein par exemple. Ils se confient peu sur leur expérience du cancer, sur les réseaux sociaux. Les femmes, elles, libèrent davantage leur parole. En revanche, j’ai beaucoup des retours d’homme soignants, qui ont lu mon livre.

Modèles femme et homme, Les Franjynes © Charlotte Gamus

Votre livre est le prolongement de votre entreprise. Vous y évoquez tous les aspects de la vie avec un cancer… et même les réactions les plus incongrues et blessantes.

Au début, j’étais en colère, et je me posais sans cesse la question : pourquoi ? Puis j’ai arrêté de chercher et je me suis mise en mode « Xena la guerrière » !
J’ai entendu effectivement pas mal de choses incompréhensibles ou douloureuses, du type ; « Ça me fait trop souffrir de te voir souffrir, alors je préfère m’éloigner ». Cela m’a pris du temps, mais j’ai pardonné à ces gens, j’ai compris qu’ils avaient peur. Avec la maladie, on fait du tri, on garde les vrais amis.
Chacun chemine comme il peut. Même moi aujourd’hui, je mets du temps à écrire des messages de soutien, je pèse mes mots !
On me trouvait aussi très courageuse, mais je ne suis pas plus forte que les autres. En fait, je n’avais pas le choix, j’étais obligée et je devais avancer ! Tout le monde a cette force en soi, cet instinct de survie qui se met en marche et prend le dessus. C’est pour tout cela que j’ai vécu cette période comme un combat.
À tous ceux qui rentrent dans la bataille, je rappelle que ce sont les traitements qui fatiguent, pas la maladie. Et ces traitements qui nous fatiguent sont nos alliés, car ils nous emmènent vers la rémission puis, si tout va bien, la guérison. C’est ça mon premier conseil, la chimio, c’est ton pote !

C’est une évidence, l’entourage est primordial dans cette épreuve. Votre mère a été votre roc ?

Ma mère m’a donné la vie deux fois. C’est elle qui m’a poussé à faire une mammographie. Elle a été formidable tout le long, nous sommes hyper soudées. Ses collègues ont été géniaux aussi. Ils lui ont donné leurs jours de repos ou de récupération. Grâce à eux, ma mère a pu être présente pour toutes mes chimios, pour m’aider dans les tâches quotidiennes, et la partie administrative, épuisante. J’avais totalement perdu mon autonomie. Je mesure cette chance, car je croise beaucoup de gens seuls que la maladie entraîne dans la précarité et qui manquent de soutien. Dans cette période, le corps est en berne. Parfois, on est tellement fatigué que c’est une performance de juste regarder la télé !

Quatre ans après sa création, comment votre entreprise a-t-elle traversé la crise ?

Je suis un oiseau de nuit, je crée la nuit ! Dans la journée, je me consacrais au Franjynes, et le soir, j’écrivais mon livre, édité par Larousse. Fin 2020, j’étais sur les rotules. Je me suis toujours représenté le cancer sous la forme d’un extraterrestre, et finalement, je me dis que j’ai une bonne étoile, et que je suis peut-être un peu visionnaire. Les Franjynes, c’est une société hybride, appartenant à la fois au secteur de la santé et à celui de la mode, donc nous n’avons jamais arrêté de travailler. Nos produits sont diffusés par les pharmaciens, et les socio-coiffeurs, en France, Hollande, Suisse, Belgique et Canada. 
Je reste sur ma lancée et travaille souvent plus de 80 h par semaine ! Malgré le livre, j’ai continué de sortir des nouveautés, des séries limitées, d’œuvrer pour le cancer. J’ai rencontré l’humoriste niçoise Noëlle Perna et de grands sportifs via la Ligue contre le cancer. À l’occasion du Pink Ribbon Monaco (courses et dons pour la prévention du cancer du sein), j’ai même reçu un prix à Monaco, des mains de… l’actrice Jodie Foster ! J’ai pu manger à sa table, elle parle un français quasi sans accent !
Pour revenir sur la Covid, on le sait, son impact sur les soins et les dépistages a été terrible. Les cancers ont été diagnostiqués plus tardivement. Je l’ai constaté au show-room des Franjynes et cela m’a dévasté. J’espère que les gens vont retourner se faire dépister et se soigner et que les campagnes d’information et de prévention vont se multiplier, notamment pour les jeunes et les hommes, que l’on a tendance à oublier, ou les cancers rares et tabous.

Les tatouages de Julie Meunier, Les Franjynes © Charlotte Gamus

Côté créativité toujours, vous dessinez également, et vous êtes passionnée de tatouages ?

Je dessine depuis que je suis toute petite. J’ai une certaine facilité à dessiner. Je dessine pour m’évader, c’est un exutoire. Je voulais en faire mon métier, mais mes parents avaient peur que je galère, donc j’ai fait des études de droit pour les rassurer ! Depuis les tatouages se sont démocratisés (mes parents en ont !), mais à l’époque, c’était plus risqué de se lancer dans cette voie. Mes études d’art et mon bon coup de crayon me permettent de créer mes modèles de turbans, les cartes de Noël, d’anniversaire et plein d’autres supports.

À chaque fois que l’on vous voit, et même lorsque l’on vous écoute seulement, votre sourire s’entend et votre joie de vivre transparaît. Là encore, vous soutenez les autres.

Mon sourire est ma plus grande force. La maladie m’a enlevé pas mal de choses, j’en garde des cicatrices et des séquelles, mais elle m’a aussi apporté et appris. Je relativise davantage encore, j’ai gagné 30 ans de maturité ! Ce cancer qui a failli me voler tout mon temps m’en a fait gagner au final. Je sais mieux qu’avant que je n’ai qu’une vie, qu’elle est précieuse, et qu’elle file ! J’en profite en menant de front plusieurs projets. Le cancer m’a donné la force de devenir la personne que je rêvais d’être, et pas celle que l’on rêvait que je sois…

Pour en savoir plus : lesfranjynes.com, FB lesfranjynes, Youtube Les Franjynes

À mes sœurs de combat…
…un témoignage de 283 pages à l’image de Julie Meunier et de ses entreprises : authentique, dynamique, empathique et drôle !
…un recueil de conseils sur son parcours du combattant pendant 18 mois et sur « l’après ».
…« À mes sœurs » doit aussi s’entendre « Âmes sœurs », et concerne aussi les hommes, les accompagnants et les soignants.

Lili Sohn et Günther
Auteure de bande dessinée, Lili Sohn a créé la couverture du livre À mes sœurs de combat. Atteinte également d’un cancer du sein, baptisé lui Günther, elle a partagé son expérience avec un grand sens de l’humour via un blog puis des bandes dessinées : La guerre des Tétons (3 tomes). Originaire de Strasbourg, elle a vécu au Canada et s’est installée à Marseille en 2015.

Les 3 tomes de La guerre des tétons, de Lili Sohn © DR

(photo Une : Le 20 janvier 2021, Julie Meunier présente sur les réseaux sociaux son livre À mes soeurs de combat © Lolo)

(1) Hommage à Axel Kahn, médecin, généticien et essayiste, président de la Ligue contre le cancer de 2019 à 2021…