Harcourt toujours

Harcourt toujours

Tout le monde, ou presque, a déjà vu une photographie du Studio Harcourt qui, hors du temps et des modes, préserve et cultive les valeurs fondamentales qui ont forgé son succès et sa réputation. À Nice, le Musée de la Photographie Charles Nègre accueille une partie de son fonds jusqu’au 22 mai prochain.

Plus que dans le déroulé d’un film, la mémoire s’incruste dans la fixité de l’image photographique. Même si celle-ci ne relève plus de l’instant décisif, mais ré-pond à une patiente mise en scène : la mémoire défie le temps. Depuis les années 30, selon un protocole immuable, le Studio Harcourt poursuit sa tradition du portrait chargé d’élégance et de luxe à la française. Pourtant, cette exposition d’une partie de son fonds ne se concentre pas seulement sur le célèbre noir et blanc et ses jeux de lumière qui consacrent la signature d’un style. Il permet surtout de dévoiler, au fil du temps, la quintessence des célébrités qui, hier ou aujourd’hui, se sont prêtées au regard du Studio Harcourt.

En son temps, dans ses Mythologies, Roland Barthes avait consacré à ce Studio un chapitre pour ses photographies qui révélaient selon lui « l’essence intemporelle de l’acteur » avec son « visage idéal, détaché des impropriétés de la profession« . Ainsi naissent les mythes. Opposant la scène à la ville, Barthes évoquait « le visage poncé par la vertu, aéré par la douce lumière du studio » et « idéalement silencieux, c’est-à-dire mystérieux, plein du secret profond que l’on suppose à toute beauté qui ne se pare pas« . Le mythe est toujours une fiction de l’immortalité et ici, le sens se trans-forme en forme. Autant de visages gravés dans un rectangle de clair-obscur, autant de figures surgies de l’anonymat d’une scène soumise à un protocole strict pour un même rituel. Travail méticuleux sur le contraste du flou et de la netteté expressive d’un visage. Esthétique de la lumière d’inspiration cinématographique. Codification de la profondeur de champ par laquelle le modèle, dans des angles subtils, est sculp-té par la lumière.

De l’avant-guerre à aujourd’hui, les images demeurent insensibles aux modes et aux techniques. De l’argentique au numérique, le cadre reste identique et le halo de lumière reçoit toujours la marque d’un visage dans l’artifice d’un travail artisanal quand la soumission du photographe au protocole l’astreint à l’anonymat. Ici la pho-tographie est une marque qui témoigne d’un statut social dans un temps suspendu. Pourtant l’effet reste saisissant. On se prend, dans l’immobilité statuaire, à lire une histoire. Celle des stars vivantes avec leurs espoirs et leurs ambitions. Et celle des disparus dont l’image est la signature d’une grandeur passée.

Souvent menacé de disparition, le Studio Harcourt fut sauvé par le Ministère Lang quand l’État en racheta les fonds et acquit quelque quatre millions de négatifs. L’ex-position, particulièrement riche, est accompagnée d’un partenariat entre le Studio Harcourt et Télérama pour une collaboration entre la vidéo, la photographie et la musique. Le film documentaire de 2011, Harcourt, l’histoire d’un mythe, retrace ce voyage dans le temps à partir de l’instant où Cosette Harcourt créa en 1934 le studio éponyme dans un gage d’éternité.

Jusqu’au 22 mai, Musée de la photographie Charles Nègre, Nice. Rens: museephotographie.nice.fr

photos : Carole Bouquet, Cate Blanchett, Jean Dujardin, Laëtitia Casta © Studio Harcourt