
09 Mar [Spécial Femmes] La création n’attend pas pour la Cie Antipodes
Au cours des ateliers qu’elle dispense à ses élèves, Lisie Philip leur apprend notamment à chuter pour mieux ensuite se relever. Une pratique qu’elle applique au sens propre comme au sens artistique et qui lui donne la force de traverser les événements en restant toujours debout pour danser et faire danser les autres.
À l’heure où les salles de spectacle attendent désespérément de pouvoir rouvrir, Lisie Philip travaille, crée et peaufine un solo intitulé La fille d’attente dont les premières lignes avaient été esquissées avant le crise sanitaire et dont la programmation est désormais actée dans le cadre du Festival Trajectoires proposé par le Forum Jacques Prévert de Carros en janvier 2022.
Rêver d’espace et de liberté
Unité de temps et unité de lieu pour La fille d’attente, une plongée dans le quotidien d’une adolescente de 14 ans. Elle rêve de liberté, de « se hisser à la hauteur des étoiles. S’inventer à chaque moment ». Mais comme chaque matin, à 6h35, le réveil sonne. Le temps n’est plus au rêve. Aujourd’hui moins que jamais, car c’est le jour où elle devra choisir son orientation.
L’idée de La fille d’attente est née d’une expérience commune à la chorégraphe et son propre fils lors d’un festival autour de l’identité de genre qui s’est déroulé à La Friche La Belle de mai à Marseille. Cette rencontre avait donné lieu à un diptyque proposant le regard croisé de la mère et du fils. Au fil de discussions, La fille d’attente commence à prendre forme.
L’adolescence est une période que Lisie Philip connaît bien puisque cela fait près de vingt ans qu’elle donne des ateliers à des jeunes de cette tranche d’âge. Aujourd’hui si certains aspects semblent s’accélérer et se démultiplier par le jeu des réseaux sociaux, les questionnements demeurent identiques. Qui suis-je ? Quel est le sens de ma vie ? Quel avenir m’attend ? La fille d’attente est une ado « qui rêve d’espace et de temps pour sentir le soleil, l’océan. Pourtant elle doit faire face aux injonctions de la société et de ses parents et déjà faire ses choix ».
Pour refléter au plus près cet univers, la chorégraphe a choisi d’entraîner le spectateur dans la chambre de l’adolescente, une heure durant. Ses états d’âme y sont reflétés par le biais des vidéos confiées à Nicolas Brunet, tandis que Stéphane Edline accorde une partition lumineuse qui habille la scène tout en permettant de conserver une certaine intimité. Pour la musique, on retrouve Mathieu Geghre, complice de la chorégraphe aux premières heures de la Cie Antipodes. Sylvain Levey, auteur reconnu pour sa grande sensibilité en matière de littérature pour la jeunesse, apporte son regard sur la dramaturgie.
Quant à la chorégraphie, Lisie Philip a opté pour une danse très physique : un choix personnel, car elle confie aimer représenter le corps dans toute sa puissance. « C’est aussi une vision symbolique de la société de l’épuisement dans laquelle nous vivons », tient-elle à ajouter. Cette physicalité du mouvement n’exclut pas pour autant les qualités d’expression que l’on retrouve chez la jeune danseuse Malou Bonvissuto qui a déjà pris part aux projets de la Cie Antipodes. Le public a pu apprécier son remarquable talent d’interprète dans la vidéo-danse Animale de Raphaël Thiers primée dans de nombreux festivals. Plus récemment, on se souvient de la merveilleuse poésie qui s’est installée sur le toit du 109 durant l’été, avec Cuando el cielo… signé de Lisie Philip réunissant Malou Bonvissuto et Gonzalo Catalinas Gállego, danseur Buto venu de Saragosse.
Tournée vers l’avenir
La Cie Antipodes est devenue l’un des acteurs majeurs de la danse contemporaine à Nice. Par le biais du Studio Antipodes, elle offre aux compagnies, dans le respect des règles sanitaires, un espace de travail et d’échanges qui sont essentiels pour le renouvellement de la créativité. Elle vient ainsi d’accueillir en résidence la Cie Maurie, basée à Marseille, qui a pu poursuivre son travail sur la pièce Echo n’est pas un mythe en bénéficiant de regards extérieurs.
Lisie Philip, pour sa part, travaille actuellement sur le Manifeste chorégraphique de la Cie Grand Bal d’Isabelle Magnin. Avec Le Vol d’Icare, Isabelle Magnin a imaginé une boîte aux dimensions réduites dans laquelle le danseur est invité à danser en explorant le thème de la contrainte. Elle s’est prêtée au défi auquel pourraient également participer Marie-Pierre Génovese, Emmanuelle Pépin et Antoine Le Menestrel.
Ces créations devraient éclore pour les journées Éclairage Public que l’on espère pour le mois de juin à Nice. Avec des programmations exclusivement en extérieur, il serait enfin possible de retrouver le chemin d’un spectacle véritablement vivant qui permet la rencontre avec les autres et la possibilité d’être de nouveau ensemble.
(photo Une : La fille d’attente © Frédéric de Faverney)
Ce texte fait partie d’un dossier Spécial Femmes qui va paraître tout au long du mois de mars. Bien entendu, La Strada n’a pas attendu pas le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, pour parler de la cause féministe, car nous veillons toute l’année à leur donner la parole, ainsi qu’aux défenseur.e.s de leurs droits ! Retrouverez ci-dessous les autres textes de ce dossier :
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