08 Mar [Spécial Femmes] L’émancipation de Silva Usta
« Les libertés ne se donnent pas, elles se prennnent… » (1) Dans le monde entier, depuis des siècles, des femmes ont choisi de prendre la parole pour dénoncer, au péril de leur vie, de leur exclusion du cercle familial ou de leur société, la domination et l’exploitation qu’elles subissaient. Remettre en question des dogmes, des présupposés qui se veulent soi-disant historiques, naturels, biologiques ou allant contre le « bon sens commun » demeure, hélas, toujours un combat à l’heure actuelle. Parmi ces combattantes, la plasticienne Silva Usta.
Les années n’ont pas fait pâlir la cause féministe, et malgré ce que l’on voudrait nous faire croire, même dans nos sociétés occidentales dites évoluées, les choses n’ont pas si fondamentalement changé concernant les modes d’exploitation et d’oppression des femmes et des minorités. Le taux des féminicides en France, par exemple, en est une illustration désolante, sans progrès majeur pour les femmes.
D’où l’importance de ne jamais baisser la garde. D’élever filles et garçons dans ce souci d’équité et de respect. La liberté de l’homme passe par celle de la femme ! D’ailleurs, les féministes ont toujours été à la pointe du combat contre l’exclusion, la violence, le racisme et la domination sous toutes leurs formes.
Tous les modes d’expression importent dans ce questionnement permanent qui concerne la condition féminine. L’exposition des Femmes pionnières de Silva Usta nous a rappelé l’importance de leur rôle sur tous les continents. Aujourd’hui, elle érige le mot émancipée comme un credo sur le fronton de ses nouveaux travaux. Qu’évoque-t-il pour chacun.e de nous ? une valeur universelle, un objectif, une cause, un combat ?
L’étymologie du verbe émanciper est éloquente : ex manus capere, hors de la main mise. S’émanciper, c’est se dégager d’une emprise, s’affranchir d’une dépendance. Jadis, on prenait par la main la « chose » dont on se rendait acquéreur et mancipium désignait ainsi l’esclave acquis par imposition de la main. Dès l’origine, la prise en main est un geste témoin de pratiques sociales précises et notamment de pratiques de classes : un geste de domination.
Silva Usta a fait du féminisme sans le savoir. Par instinct. Émancipée, elle le fut dès son plus jeune âge, sans filtre, sans discours. Dans son parcours de femme à la parole libre, à la créativité affranchie de tout académisme, Silva n’a eu de cesse de défendre la liberté : la sienne d’abord, essentielle pour faire sienne, puis celle de toutes celles et ceux qui en étaient privés.
Orpheline de père très jeune, élevée dans un monde de femmes et au milieu de personnes de toutes cultures, elle a très tôt éprouvé le besoin viscéral de n’être ni contrainte ni soumise à un diktat, qu’il soit familial, social, sexuel, religieux ou politique. Lorsqu’elle quitte la Turquie à l’âge de 15 ans pour rejoindre une de ses sœurs à Strasbourg, sur les conseils d’une mère intelligente qui craignait pour les pulsions de liberté débridée de sa jeune fille dans une société patriarcale pesante, Silva va très vite s’adapter à la culture et aux codes de ce nouveau pays. Pas encore majeure, elle est déjà pressée de gagner son indépendance, son autonomie financière, car elle sait que c’est le socle de sa liberté et de la liberté de toute femme.
La connaissance aussi est un des leviers principaux de l’émancipation féminine. C’est peut-être pour cette raison que Silva n’a eu, naturellement, de cesse que d’apprendre, toujours apprendre. Ainsi par sa curiosité insatiable, son énergie, sa détermination, sa grande capacité d’adaptation et de travail, elle a pu embrasser toutes sortes de métiers, de créatrice de bijoux à gouvernante, de vendeuse de chemises à créatrice contemporaine.
L’Art a toujours fait partie de sa vie. Dernière de la fratrie, elle faisait, gamine, des châssis pour un ami peintre de sa sœur. Elle dessinait et ornait ses tenues excentriques. Très jeune aussi, préserver sa liberté de femme est instinctif : ne pas être dépendante d’un homme ou de qui que ce soit.
Quand elle arrive à Nice pour un court séjour touristique avec un petit ami, c’est le coup de cœur, la Côte d’Azur évoque ses racines méditerranéennes et stambouliote. Sa décision est prise, elle restera vivre ici. Le travail ne lui fait pas peur, elle restera 14 ans dans un grand hôtel niçois comme gouvernante générale. Elle en partira avec une fierté : avoir oeuvré à la mise en place d’un syndicat dans l’hôtel. Sa rencontre avec l’homme de sa vie ne changera pas son état d’esprit ni sa soif d’indépendance. Son besoin de créer ne l’a jamais quittée, elle aime les couleurs, les formes, l’érotisme ; elle découvre la gravure, la mosaïque, et se rappelle avec bonheur ses 7 années à la Villa Thiole, sa deuxième maison.
Avec son compagnon, ils ouvrent la Conciergerie Gounod, un lieu atypique dédié à la culture, à but non-lucratif, qui accueille des expositions d’artistes qu’ils choisissent ensemble. Accueillant, libre, à leur image. Silva multiplie les expositions personnelles ou de groupe. D’ailleurs son désir de créer connaît presque une croissance exponentielle avec le temps. Solaire, sensuelle, gentiment provocatrice avec humour, telle est cette artiste qui ne se résigne jamais et aime à partager du bonheur.
L’histoire de Silva est celle d’une femme libre. À l’image de toutes celles qui ont contribué à l’éveil de la condition féminine. Son art est sa forme d’engagement pour les causes humanitaires, qu’elles soient féministes, politiques ou sociales. Ce lundi 8 mars, la Galerie Sveta accueille ses œuvres qu’elle dédie à toutes les femmes, avec l’exposition Émancipation, visible jusqu’au 17. « La femme n’est victime d’aucune mystérieuse fatalité : il ne faut pas conclure que ses ovaires la condamnent à vivre éternellement à genoux. » Message reçu, Simone ! (2)
(1) extrait de Paroles d’un révolté de Petr Alekseïevitch Kropotkine
(2) Simone de Beauvoir (bien sûr)
(photo Une : Silva Usta © Janaka Samarakoon, Artworks Nice Côte d’Azur)
Ce texte fait partie d’un dossier Spécial Femmes qui va paraître tout au long du mois de mars. Bien entendu, La Strada n’a pas attendu le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, pour parler de la cause féministe, car nous veillons toute l’année à leur donner la parole, ainsi qu’aux défenseur.e.s de leurs droits ! Retrouverez ci-dessous les autres textes de ce dossier :
Louise Michel, Viro Major
La barque noire de Virginie Peyré
Au revoir à toi, femme de Culture
Carole Paulin : l’art de donner de la voix
La création n’attend pas pour la Cie Antipodes
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Une guerre mondiale contre les femmes