Le vent se lève

Le vent se lève

À force d’être vêtu de noir depuis mes jeunes années punk pour porter le deuil du futur et de la joie, j’avais oublié que l’on pouvait gagner en créant. C’est pour cette raison que je n’ai jamais collectionné les billets de concert ou de théâtre ni les œuvres d’art, mais j’aurais aimé collectionner les créateurs, tant ils m’ont apporté un autre langage, une autre façon de chercher, une solution personnelle tout autant que des moyens d’infléchir le sens de la courbe morbide que prennent nos sociétés et que l’on nomme à présent « l’effondrement ». J’étais un peu agacé de ne voir que de faux rebelles subventionnés et des polémiques convenues menées par des gens qui ne vont jamais au bout et se contentent de se donner bonne conscience en faisant « leur part », comme ils disent, oubliant par là même leur devoir, celui de maintenir un avenir pour nos descendants et un vouloir vivre commun envers et contre tout. 

Et pourtant « le vent se lève », comme ce fut dit un certain 13 mai 1968 quand la grève générale commença. Il est temps d’agir pour que cet effondrement ne soit pas inéluctable dans une atmosphère très second degré, avec ce ton cynique et désabusé de ceux qui croient que ça n’arrive qu’aux autres, alors que nous sommes tous dans le même bateau, sur la même Planète. 

Eh bien, au moins, dans la Création et la Culture, le vent se lève et l’on en ressent le souffle dans les programmes et dans les propositions artistiques : les femmes sont à l’honneur, elles le seront de plus en plus dans La Strada, car elles ont, depuis #MeToo, enclenché la vitesse supérieure pour lutter contre le sexisme, le racisme et toute forme de domination qui inspirent cette montée fascisante en train de détruire notre Planète par sa bêtise, sa cupidité et sa violence.

Vous pourrez faire la connaissance de deux d’entre elles : Emmanuelle Bourret, nouvelle directrice du Théâtre de Grasse au parcours atypique, imprégnée de Droit public pour servir l’intérêt général et d’une passion pour la création (page 9), et Christine Lidon, autrice-compositrice-interprète niçoise issue du rock’n’roll, féministe engagée, première femme élue à la présidence de la SACEM, chasse gardée des hommes depuis sa création. Une performance (page 32) ! 

En page 8, le spectacle Guten tag, Madame Merkel présenté à La Garde et Puget-Théniers, rend hommage à Angela Merkel, qui sut naviguer avec sang-froid dans un monde politique dominé par les hommes et influença profondément les décisions européennes, gagnant le respect de ses homologues masculins, et notamment d’un homme comme Vladimir Poutine ! Sans oublier, un hommage très Jazz Sous les Bigaradiers aux héroïnes de cette musique (page 4).

En jazz, le mot free est un qualificatif important, car c’est LA musique de l’improvisation, mais aussi de l’antiracisme. Jazz à Porquerolles est l’un des 11 lauréats de la Fondation Les Petits Frères des Pauvres, et à ce titre, une année durant, réunira des Hyérois.es en situation d’isolement et des enfants éloignés de la culture vivant sur l’île de Porquerolles, pour créer un album qu’ils interpréteront, accompagnés de musiciens professionnels, lors de l’édition 2024 du festival. Abraham Inc. avec une bande son funk klezmer futuriste, veut « rassembler les gens grâce à la musique, en célébrant les différences et les similitudes » au Théâtre de Grasse. Dans ce même état d’esprit, la fabuleuse et belle histoire de La Trinquette Jazz Club trace sa voie : le nouveau club de jazz, qui repose sur un métissage des cultures, aussi bien musical que culinaire, organise un concert gratuit pour fêter son ouverture avec un parrain de marque : Thomas Delor. Une oasis libertaire dans ce monde de xénophobes. Le tout à lire en page 4.

Ce besoin de vivre ensemble nettement refoulé par le covid et le confinement généralisé a accéléré la prise de conscience de notre besoin de naturel. Ainsi la reprise de La Peste d’Albert Camus, à Antibéa, par Robin Delval, établit-elle clairement des résonnances avec la pandémie et les problèmes sociétaux que nous connaissons aujourd’hui (page 8). Le Nous y voilà de Philippe Torreton est, lui aussi, un véritable cri d’humanité à découvrir à Bandol, au Broc et à Monaco (page 10). Ici, on parle de nous qui vivons dans une réalité différente des marchés financiers et de la demande croissante. Car notre existence est celle des étés qui s’éternisent jusqu’en hiver, des incendies toujours plus vastes et meurtriers, des inondations aux allures de fin du monde qui déciment les populations les plus fragiles. Alors si au lieu de voir la vie en noir, nous tentions d’en distinguer toutes les nuances ? C’est le pari de l’auteur Michel Bellier avec la pièce Quelque chose a disparu mais quoi ? présentée, à l’issue d’une résidence de création, par le Théâtre de Grasse (page 9).

Dans tout ce tumulte, nous ne souhaitons qu’une chose : La Paix, et pour cette dernière, la Culture se bouge. Ainsi Cannes s’est-elle jumelée avec la ville de Lviv en Ukraine. Si dans un premier temps, ce rapprochement consistait essentiellement en un soutien humanitaire de la part de la Cité des festivals, cet accord s’est depuis étendu aux domaines de l’éducation, du sport et de la culture… Il est ici question d’un « concert héroïque » où sera interprétée la Symphonie du même nom par l’Orchestre National de Cannes, pour un concert caritatif au profit du programme Unbroken, lancé par l’Hôpital principal de Lviv (page 6). On peut aussi évoquer l’adaptation des Géants de la montagne, pièce inachevée de Luigi Pirandello, donnée en français et en ukrainien (surtitrée en français) au Théâtre de l’Esplanade à Draguignan, où l’on atteint une dimension particulièrement forte avec la volonté de faire entendre la langue d’une nation qui vient tout juste de fêter ses 30 ans, mais vit depuis 2013 en conflit ouvert avec la Russie (page 8).

Ce sont la rue et les cultures urbaines qui sonnent le « réveil » de ce mauvais rêve avec G.R.O.O.V.E., spectacle qui a fait l’ouverture du Festival d’Avignon 2023. Cette collaboration entre le Théâtre National de Nice et Anthéa permet de partager collectivement une traversée dans les méandres d’un lieu et d’une histoire, notre histoire, plus que jamais chargée d’une actualité brûlante (page 12). La Rue et les quartiers, que l’on retrouve, habillés de couleurs à l’occasion du 4e festival Coul’heures Urbaines (page 16).

Et puis il y a la jeunesse, la remise en question, l’énergie pure des jeunes artistes. Un souffle puissant dans le sens de la vie avec, à Nice, l’exposition des diplômé.e.s de la Villa Arson, Ce qui nous oblige, où les étudiants remettent en question l’institution même, qui les forme, avec la bénédiction de leur Direction (page 15). 68 auteurs (tiens, tiens… chiffre symbolique !) se sont réunis et ont trouvé La Manufacture de livres pour éditer STOP ! et lancer un « pavé de mots pour éclabousser la peur et le vide de ceux qui vivent en pensant se sauver dans des fabriques de chiffres d’affaires tout en voulant nous noyer » (page 19). Le Metaxu à Toulon fait Vrrraimant ! ce qu’il faut avec son festival : changer la cité, faire participer, partager, pour que toutes les générations de toutes origines dessinent un autre monde dans l’espace public, et qu’enfin les murs soient laissés à la création et plutôt qu’à la publicité qui ne vend que de l’inutilité polluante (page 16).

Alors nous est revenue l’envie de sentir le vent ! La Strada sera présent au Festival du Livre de Mouans-Sartoux qui a toujours préféré le débat et l’échange au mercantilisme (pages 20-21). Un événement qui s’étend bien au-delà de la littérature, avec de la musique, du cinéma et des performances scéniques. Parce que l’humain aspire avant tout à la paix, thème de cette édition 2023. Nous y tiendrons un stand (Gymnase de la Chênaie, Espace A, Stand 011) où nous vous accueillerons avec quelques-uns des acteurs qui nous donnent envie de continuer… Plus tard, le 23 novembre, nous vous présenterons Tempête(s) par le « Masseglia Sound System », parce que la Tempête Alex est passée par la Roya et que l’accueil des migrants par les habitants de cette vallée a permis à certains rétrogrades de stigmatiser ces montagnards qui ont osé la fraternité. Et si être femme et créatrice en haute montagne ne reçoit guère de compassion dans la « bobo nation », avec ce duo explosif, nous prenons le parti de l’humour, de l’insolence, de l’amour et de la liberté. Ils sont de bien meilleurs moteurs que la haine, l’égoïsme, la cupidité et la peur… Venez partager et parler, tout est gratuit ! Le vent se lève pour une autre Tempête, qui gonflera nos voiles pour quitter ces rivages morbides vers lesquels nous destinent les roitelets qui croient pouvoir nous diriger.